Depuis 25 ans, le futur de l’industrie de la musique de films et de séries est invariablement écrit en Allemagne.
Lorsque Hermann Joha, le producteur qui a repoussé les limites de l’action à un niveau jamais atteint auparavant, a eu besoin d’un univers musical totalement original pour le film adapté de la série Le Clown, il s’est naturellement tourné vers Kay Skerra pour le concevoir. Rencontre avec un des compositeurs allemands de musique de cinéma et de télévision les plus prometteurs, créatifs et talentueux.
Longtemps avant de devenir un compositeur pour le cinéma et la télévision, vous avez créé un groupe, Anchorage. Pourriez-vous nous dire quelques mots de votre travail avec ce groupe et du genre de musique que vous interprétiez alors ?
Kay Skerra : J’ai débuté ma carrière musicale comme batteur sur plusieurs projets. Anchorage fut ma première expérience au sein d’un véritable groupe. Au début il n’y avait qu’un bassiste (Heiko Nitsche), un guitariste (Kai Saffran) et moi - à la batterie. Plus tard, sous l’influence de Olaf Parusel et de son projet musical Stoa, j’ai acheté mon premier ordinateur Atari et plusieurs modules son.
On a beaucoup travaillé avec ça, particulièrement en ajoutant des éléments orchestraux à la musique et cela a modifié notre façon de composer de manière fondamentale. C’était surprenant de voir comment mes idées émergeaient facilement pour se transformer en résultats concrets.
Quelles étaient vos influences musicales à l’époque ?
Kay Skerra : Nous étions influençés par des groupes tels que Slowdive, My Bloody Valentine, The Swans, Dead can dance ou And also the trees. Anchorage jouait principalement un genre de musique Wave aux influences symphoniques. La musique de film est devenue rapidement une source majeure d’inspiration.
Vous avez une solide formation théorique et pratique en musique. Parmi tout ce que vous avez appris durant vos études en musicologie, musique de film et conception sonore que considérez vous comme le plus important et que vous gardez toujours à l’esprit aujourd’hui avec votre travail pour le cinéma et la télévision ?
Kay Skerra : J’essaye toujours d’être ouvert aux nouvelles influences et je m’efforce d’éviter d’utiliser tout le temps les mêmes structures - même si ça pourrait sembler plus facile. Ainsi je peux avoir un point de vue neuf sur les différents besoins d’un nouveau projet et - du moins je l’espère - trouver quelque chose de spécial pour convenir et soutenir à l’ambiance de la scène.
Néanmoins je pense qu’il est important de se souvenir de ses racines - la raison et le sentiment qui ont fait qu’un jour on a commençé à composer.
Depuis 2001 vous avez travaillé pour d’importantes productions télé et en 2004 vous avez composé la bande originale de votre premier long métrage, Le Clown - Le film, l’adaptation cinéma de la série Le Clown. C’est une composition totalement originale sans aucun lien avec l’univers musical de la série (spécialement le thème composé par Helmut Zerlett, non-utilisé dans le film - ce qui est une idée très intelligente).
Quel genre d’ambiance musicale Hermann Joha, le producteur, et Sebastian Vigg, le réalisateur, recherchaient-ils ?
Kay Skerra : Ils voulaient tous les deux séparer Le Clown de ses origines télévisuelles, renouveler le personnage et l’élever à un niveau cinématographique. C’est pour ça qu’ils souhaitaient que la musique approfondisse l’émotion et les parties dramatiques du personnage principal ainsi que l’histoire sur une échelle épique. Et bien sur la musique devait soutenir les séquences d’actions très élaborées du film et accentuer leur côté « rapide et dangereux ».
Comment avez-vous travaillé avec eux durant le tournage du film ?
Kay Skerra : J’ai rejoint le projet alors que le montage final était achevé. Dès le début il était clair que nous travaillerions avec un grand orchestre. Donc quand Hermann Joha et Sebastian Vigg m’ont dit quel effet ils voulaient que la musique produise sur le film j’ai fait des suggestions pour des scènes spécifiques. Lorsqu’ils ont entendu la musique, ils ont été très enthousiastes et l’ambiance sonore était bouclée.
Qu’aviez-vous à l’esprit pendant que vous réinventiez un thème principal pour Le Clown ? Qu’elles étaient vos exigences personnelles sur ce thème efficace, impressionnant et épique ?
Kay Skerra : Nous voulions un thème qui souligne d’un côté les aspects héroïques et de l’autre l’instant de tragique fèlure du personnage (uniquement dans ce film, dans la série il y a des différences scénaristiques). Le but était d’ajouter une profondeur émotionnelle au personnage. Et ça devait être un thème qui fonctionne sur différents plans : pour les scènes dramatiques comme pour les moments épiques ou les moments d’émotion... parce que le personnage principal est tiraillé entre pleins de sentiments différents, tels le désespoir - quand il perd sa meilleure amie et compagne, la rage - lorsqu’il traque le méchant, l’amour de nouveau...
Find my love par Dare, illustre un des moments les plus dramatiques du film (malheureusement la chanson a été remplaçée dans certains pays). Avez-vous travaillé directement sur cette chanson et avez-vous été consulté pour le choix de la chanson d’Exilia comme générique de fin ?
Kay Skerra : Dare est un groupe composé d’amis. Gabriela Carasusán, qui a écrit le texte et la partie vocale, Dirk Leupolz, qui a écrit et programmé le playback avec moi et jouait de la guitare, et Kerim König, qui chantait. Et nous avons écrit et interprété la chanson ensemble spécifiquement pour cette scène.
Pour les autres chansons j’ai été consulté à certains égards, mais - bien sûr - il y avait une compagnie de disques impliquée et un plan marketing.
Pourriez-vous nous parler de Gabriela Carasusán et de votre travail avec elle, ainsi que de vos autres collaborations, avec les compositeurs Kai Saffran ou Andreas Koslik ?
Kay Skerra : Gabriela et moi nous nous sommes rencontrés durant nos études en musique de film, nous avons travaillé ensemble, nous sommes tombés amoureux et nous nous sommes mariés. Nos studios sont côte à côte - ce qui facilite nos collaborations et les rend efficaces. Elle a composé des musiques additionnelles pour Le Clown.
Kai Saffran est un ami et confrère que je connais depuis très longtemps, il faisait partie d’Anchorage. Pour l’instant nous n’avons pas de projet en commun mais nous sommes toujours en contact. J’avais beaucoup entendu parler d’Andreas Koslik avant de le rencontrer et il avait beaucoup entendu parler de moi, et nous avons finalement fait connaissance chez des amis. Nous avons sympathisé et il m’a invité à travailler avec lui sur Mauer des Schweigens (un thriller télé de Jorgo Papavassiliou). A propos, j’aime beaucoup les collaborations. C’est très constructif et la plupart du temps c’est beaucoup plus sympathique que de travailler seul.
Un de vos titres les plus notables pour la télévision est le thème de la série Millennium Man. Cette série était le paroxysme d’une tendance à vouloir imiter des succès de la télé US mais vous avez réussi à créer un ton complètement original. Est-ce difficile d’être novateur en composant le thème principal d’une série qui, c’est le moins que l’on puisse dire, était loin d’être novatrice ?
Kay Skerra : C’est toujours un défi d’être novateur. Mais ce qui était spécial pour ce projet c’est que je devais travailler sur la base d’un synopsis de la série, d’esquisses, de dessins et de storyboards (parce que la conception des génériques n’était pas terminée), ce qui était réellement très stimulant.
A propos d’innovation, votre nom est associé à action concept, la compagnie qui a révolutionné la production des séries télé en Allemagne. Comment avez-vous commençé à travailler avec Hermann Joha ?
Kay Skerra : Ma première collaboration avec action concept (AC) était Megalodon (2004), mais je n’ai pas rencontré Hermann Joha à ce moment-là. Le Clown était alors le plus gros projet de la compagnie et une sorte d’ « obsession » pour lui. Lorsqu’il m’a rendu visite pour la première fois à mon studio, à Berlin, j’ai découvert que c’était un homme d’une grande simplicité qui peut brûler de passion lorsqu’il tombe litéralement amoureux d’un projet en particulier.
En fait, je suis vraiment reconnaissant et heureux qu’une compagnie comme AC existe en Allemagne, parce que - au-delà de leur champs d’action habituel - relève le défi de produire des films que pratiquement aucune compagnie n’oserait produire, parce qu’il n’y a pas de marché sûr pour ces productions - par exemple des films d’action ou des productions de genre telles que Megalodon. Et le succès de leur travail est à la hauteur du risque.
Il vient d’être annoncé que vous allez vous occuper de la bande originale d’Alerte Cobra, leur titre le plus glorieux si ce n’est une institution de la télévision allemande. Que voulez-vous apporter musicalement à cette institution ?
Kay Skerra : On m’a demandé de moderniser la sonorité de la musique sur la base du style que les anciens compositeurs de la série, Reinhard Scheuregger et Klaus Garternicht, ont créé. C’est très sympathique, car ça me permet d’expérimenter des sons et des techniques, qui normalement n’auraient pas leur place dans le format en vigueur à la télévision allemande.
Qui sont vos compositeurs de musique de cinéma et de télévision préférés ? Y a-t-il des compositeurs qui influencent votre travail et la conception artistique de votre travail ?
Kay Skerra : Etablir la liste de mes compositeurs préférés serait vraiment très longue si on s’attelait à cette tâche très serieusement. Par exemple j’aime le travail de James Newton Howard (pour la noblesse et le style certain de sa musique), Alan Silvestri (pour le grand impact de sa musique), Howard Shore (particulièrement ses morceaux sombres pour les films de Fincher comme Seven ou The Game), ou Elliot Goldenthal.
Ce sont les « grands classiques », mais à part ça, il y a beaucoup de « jeunes » compositeurs dont je suis le travail avec grand intérêt, par exemple Roque Banos ou Alexandre Desplat. Mais je crois que je suis influençé par toute la musique que j’écoute.
Quels sont les thèmes qui vous ont marqué le plus quand vous étiez plus jeune ?
Kay Skerra : A 14 ans, je m’intéressais aux arts et plus particulièrement à l’œuvre de H.R. Giger. Un jour j’ai regardé un documentaire sur lui, où étaient montrées des images du film Alien. Quelques jours plus tard le premier Alien passait à la télévision. J’ai même manqué une fête parce que je tenais à le voir - et j’ai été subjugué par la musique de Jerry Goldsmith.
Je ne m’étais pas intéressé aux musiques de film ou à la musique classique auparavant mais à partir de ce moment quelque chose s’est déclenché en moi. Un peu plus tard j’ai découvert Le Poème de l’extase et Prométhée/Le poème de feu de Scriabine, et ces œuvres ainsi que la musique du premier Alien m’ont révélé un univers sonore qui illustrait magnifiquement l’univers artistique de Giger. Pour moi cette expérience a été le début de ma passion pour la musique de film et la musique illustrative.
Est-ce que la télévision et l’industrie cinématographique d’Allemagne offrent à l’artiste que vous êtes toutes la satisfaction personnelle et professionnelle que vous souhaitez ?
Aimeriez-vous avoir l’occasion de travailler aux Etats-Unis et, peut-être, de contribuer à y changer la conception et la production de musiques de film, comme Hans Zimmer et Klaus Badelt l’ont fait ?
Kay Skerra : Comme j’ai toujours de nouveaux rêves et de nouvelles idées, ce n’est donc pas facile d’être pleinement satisfait - mais je crois que cela ne dépend pas du pays où vous vivez ou de l’industrie cinématographique au sein de laquelle vous oeuvrez. Dans toutes les situations c’est la même chose partout. J’attends toujours avec impatience le prochain projet et je rêve de ceci ou de cela. En fait ce que j’aimerais c’est travailler sur plus de productions cinéma, mais en Allemagne il y a très peu de films produits par an. C’est triste, mais le nombre n’augmentera que si on fait du bon travail ici. Et je pense que c’est le cas en ce moment.
Et l’Europe après tout ? Je serais très heureux d’avoir l’occasion de travailler pour des productions françaises, britanniques ou italiennes... Beaucoup de films intéressants et ambitieux sont produits ici en Europe, je crois que c’est un marché vraiment intéressant. Bien sur je ne rejèterais pas l’occasion de travailler aux Etats-Unis si elle se présentait dans la mesure où ils ont la plus grosse industrie cinématographique du monde, beaucoup de productions intéressantes sont faites là-bas.
Mais finalement je travaillerais n’importe où pourvu que le projet soit intéressant et stimulant.
En tant que spectateur, quels genres de film préférez-vous ? Quel est le dernier film que vous ayez vu récemment ?
Kay Skerra : J’aime les films qui ont un impact émotionnel sur moi. Par exemple la plupart des films de David Lynch ou Ouvre les yeux, d’Alejandro Amenabar, ou encore l’œuvre de Brian de Palma - je suis très impatient de voir son adaptation du Dahlia noir de James Ellroy.
Récemment j’ai vu Stay en DVD. C’est un film très mystérieux avec une photographie fantastique, un montage novateur, une superbe musique de Asche and Spencer et une histoire qui occupe encore mes pensées.
Quels sont les thèmes dont vous êtes le plus fier ?
Kay Skerra : C’est toujours difficile d’être fier de son propre travail - au moins pour moi, parce que je recherche toujours l’amélioration et je ne suis jamais complètement satisfait. Et parce que les capacités de chacun se développent constamment, le travail le plus récent est toujours proche de ce qui semble « parfait » sur le moment. Lorsque la personne avec laquelle je travaille - par exemple le réalisateur ou le producteur d’un film - quitte mon studio heureux, inspiré et satisfait, alors je suis fier du travail accompli.
Sur quoi travaillez vous actuellement et quels sont vos prochains projets professionnels ?
Kay Skerra : En ce moment je travaille sur la série Alerte Cobra. Nous sommes aussi en discussion pour deux téléfilms vraiment intéressants, mais ce n’est pas confirmé pour l’instant, donc je ne peux vous donner plus d’informations dans l’immédiat.
(Entretien réalisé en 2006)
(c) Thierry Attard
Lorsque Hermann Joha, le producteur qui a repoussé les limites de l’action à un niveau jamais atteint auparavant, a eu besoin d’un univers musical totalement original pour le film adapté de la série Le Clown, il s’est naturellement tourné vers Kay Skerra pour le concevoir. Rencontre avec un des compositeurs allemands de musique de cinéma et de télévision les plus prometteurs, créatifs et talentueux.
Longtemps avant de devenir un compositeur pour le cinéma et la télévision, vous avez créé un groupe, Anchorage. Pourriez-vous nous dire quelques mots de votre travail avec ce groupe et du genre de musique que vous interprétiez alors ?
Kay Skerra : J’ai débuté ma carrière musicale comme batteur sur plusieurs projets. Anchorage fut ma première expérience au sein d’un véritable groupe. Au début il n’y avait qu’un bassiste (Heiko Nitsche), un guitariste (Kai Saffran) et moi - à la batterie. Plus tard, sous l’influence de Olaf Parusel et de son projet musical Stoa, j’ai acheté mon premier ordinateur Atari et plusieurs modules son.
On a beaucoup travaillé avec ça, particulièrement en ajoutant des éléments orchestraux à la musique et cela a modifié notre façon de composer de manière fondamentale. C’était surprenant de voir comment mes idées émergeaient facilement pour se transformer en résultats concrets.
Quelles étaient vos influences musicales à l’époque ?
Kay Skerra : Nous étions influençés par des groupes tels que Slowdive, My Bloody Valentine, The Swans, Dead can dance ou And also the trees. Anchorage jouait principalement un genre de musique Wave aux influences symphoniques. La musique de film est devenue rapidement une source majeure d’inspiration.
Vous avez une solide formation théorique et pratique en musique. Parmi tout ce que vous avez appris durant vos études en musicologie, musique de film et conception sonore que considérez vous comme le plus important et que vous gardez toujours à l’esprit aujourd’hui avec votre travail pour le cinéma et la télévision ?
Kay Skerra : J’essaye toujours d’être ouvert aux nouvelles influences et je m’efforce d’éviter d’utiliser tout le temps les mêmes structures - même si ça pourrait sembler plus facile. Ainsi je peux avoir un point de vue neuf sur les différents besoins d’un nouveau projet et - du moins je l’espère - trouver quelque chose de spécial pour convenir et soutenir à l’ambiance de la scène.
Néanmoins je pense qu’il est important de se souvenir de ses racines - la raison et le sentiment qui ont fait qu’un jour on a commençé à composer.
Depuis 2001 vous avez travaillé pour d’importantes productions télé et en 2004 vous avez composé la bande originale de votre premier long métrage, Le Clown - Le film, l’adaptation cinéma de la série Le Clown. C’est une composition totalement originale sans aucun lien avec l’univers musical de la série (spécialement le thème composé par Helmut Zerlett, non-utilisé dans le film - ce qui est une idée très intelligente).
Quel genre d’ambiance musicale Hermann Joha, le producteur, et Sebastian Vigg, le réalisateur, recherchaient-ils ?
Kay Skerra : Ils voulaient tous les deux séparer Le Clown de ses origines télévisuelles, renouveler le personnage et l’élever à un niveau cinématographique. C’est pour ça qu’ils souhaitaient que la musique approfondisse l’émotion et les parties dramatiques du personnage principal ainsi que l’histoire sur une échelle épique. Et bien sur la musique devait soutenir les séquences d’actions très élaborées du film et accentuer leur côté « rapide et dangereux ».
Comment avez-vous travaillé avec eux durant le tournage du film ?
Kay Skerra : J’ai rejoint le projet alors que le montage final était achevé. Dès le début il était clair que nous travaillerions avec un grand orchestre. Donc quand Hermann Joha et Sebastian Vigg m’ont dit quel effet ils voulaient que la musique produise sur le film j’ai fait des suggestions pour des scènes spécifiques. Lorsqu’ils ont entendu la musique, ils ont été très enthousiastes et l’ambiance sonore était bouclée.
Qu’aviez-vous à l’esprit pendant que vous réinventiez un thème principal pour Le Clown ? Qu’elles étaient vos exigences personnelles sur ce thème efficace, impressionnant et épique ?
Kay Skerra : Nous voulions un thème qui souligne d’un côté les aspects héroïques et de l’autre l’instant de tragique fèlure du personnage (uniquement dans ce film, dans la série il y a des différences scénaristiques). Le but était d’ajouter une profondeur émotionnelle au personnage. Et ça devait être un thème qui fonctionne sur différents plans : pour les scènes dramatiques comme pour les moments épiques ou les moments d’émotion... parce que le personnage principal est tiraillé entre pleins de sentiments différents, tels le désespoir - quand il perd sa meilleure amie et compagne, la rage - lorsqu’il traque le méchant, l’amour de nouveau...
Find my love par Dare, illustre un des moments les plus dramatiques du film (malheureusement la chanson a été remplaçée dans certains pays). Avez-vous travaillé directement sur cette chanson et avez-vous été consulté pour le choix de la chanson d’Exilia comme générique de fin ?
Kay Skerra : Dare est un groupe composé d’amis. Gabriela Carasusán, qui a écrit le texte et la partie vocale, Dirk Leupolz, qui a écrit et programmé le playback avec moi et jouait de la guitare, et Kerim König, qui chantait. Et nous avons écrit et interprété la chanson ensemble spécifiquement pour cette scène.
Pour les autres chansons j’ai été consulté à certains égards, mais - bien sûr - il y avait une compagnie de disques impliquée et un plan marketing.
Pourriez-vous nous parler de Gabriela Carasusán et de votre travail avec elle, ainsi que de vos autres collaborations, avec les compositeurs Kai Saffran ou Andreas Koslik ?
Kay Skerra : Gabriela et moi nous nous sommes rencontrés durant nos études en musique de film, nous avons travaillé ensemble, nous sommes tombés amoureux et nous nous sommes mariés. Nos studios sont côte à côte - ce qui facilite nos collaborations et les rend efficaces. Elle a composé des musiques additionnelles pour Le Clown.
Kai Saffran est un ami et confrère que je connais depuis très longtemps, il faisait partie d’Anchorage. Pour l’instant nous n’avons pas de projet en commun mais nous sommes toujours en contact. J’avais beaucoup entendu parler d’Andreas Koslik avant de le rencontrer et il avait beaucoup entendu parler de moi, et nous avons finalement fait connaissance chez des amis. Nous avons sympathisé et il m’a invité à travailler avec lui sur Mauer des Schweigens (un thriller télé de Jorgo Papavassiliou). A propos, j’aime beaucoup les collaborations. C’est très constructif et la plupart du temps c’est beaucoup plus sympathique que de travailler seul.
Un de vos titres les plus notables pour la télévision est le thème de la série Millennium Man. Cette série était le paroxysme d’une tendance à vouloir imiter des succès de la télé US mais vous avez réussi à créer un ton complètement original. Est-ce difficile d’être novateur en composant le thème principal d’une série qui, c’est le moins que l’on puisse dire, était loin d’être novatrice ?
Kay Skerra : C’est toujours un défi d’être novateur. Mais ce qui était spécial pour ce projet c’est que je devais travailler sur la base d’un synopsis de la série, d’esquisses, de dessins et de storyboards (parce que la conception des génériques n’était pas terminée), ce qui était réellement très stimulant.
A propos d’innovation, votre nom est associé à action concept, la compagnie qui a révolutionné la production des séries télé en Allemagne. Comment avez-vous commençé à travailler avec Hermann Joha ?
Kay Skerra : Ma première collaboration avec action concept (AC) était Megalodon (2004), mais je n’ai pas rencontré Hermann Joha à ce moment-là. Le Clown était alors le plus gros projet de la compagnie et une sorte d’ « obsession » pour lui. Lorsqu’il m’a rendu visite pour la première fois à mon studio, à Berlin, j’ai découvert que c’était un homme d’une grande simplicité qui peut brûler de passion lorsqu’il tombe litéralement amoureux d’un projet en particulier.
En fait, je suis vraiment reconnaissant et heureux qu’une compagnie comme AC existe en Allemagne, parce que - au-delà de leur champs d’action habituel - relève le défi de produire des films que pratiquement aucune compagnie n’oserait produire, parce qu’il n’y a pas de marché sûr pour ces productions - par exemple des films d’action ou des productions de genre telles que Megalodon. Et le succès de leur travail est à la hauteur du risque.
Il vient d’être annoncé que vous allez vous occuper de la bande originale d’Alerte Cobra, leur titre le plus glorieux si ce n’est une institution de la télévision allemande. Que voulez-vous apporter musicalement à cette institution ?
Kay Skerra : On m’a demandé de moderniser la sonorité de la musique sur la base du style que les anciens compositeurs de la série, Reinhard Scheuregger et Klaus Garternicht, ont créé. C’est très sympathique, car ça me permet d’expérimenter des sons et des techniques, qui normalement n’auraient pas leur place dans le format en vigueur à la télévision allemande.
Qui sont vos compositeurs de musique de cinéma et de télévision préférés ? Y a-t-il des compositeurs qui influencent votre travail et la conception artistique de votre travail ?
Kay Skerra : Etablir la liste de mes compositeurs préférés serait vraiment très longue si on s’attelait à cette tâche très serieusement. Par exemple j’aime le travail de James Newton Howard (pour la noblesse et le style certain de sa musique), Alan Silvestri (pour le grand impact de sa musique), Howard Shore (particulièrement ses morceaux sombres pour les films de Fincher comme Seven ou The Game), ou Elliot Goldenthal.
Ce sont les « grands classiques », mais à part ça, il y a beaucoup de « jeunes » compositeurs dont je suis le travail avec grand intérêt, par exemple Roque Banos ou Alexandre Desplat. Mais je crois que je suis influençé par toute la musique que j’écoute.
Quels sont les thèmes qui vous ont marqué le plus quand vous étiez plus jeune ?
Kay Skerra : A 14 ans, je m’intéressais aux arts et plus particulièrement à l’œuvre de H.R. Giger. Un jour j’ai regardé un documentaire sur lui, où étaient montrées des images du film Alien. Quelques jours plus tard le premier Alien passait à la télévision. J’ai même manqué une fête parce que je tenais à le voir - et j’ai été subjugué par la musique de Jerry Goldsmith.
Je ne m’étais pas intéressé aux musiques de film ou à la musique classique auparavant mais à partir de ce moment quelque chose s’est déclenché en moi. Un peu plus tard j’ai découvert Le Poème de l’extase et Prométhée/Le poème de feu de Scriabine, et ces œuvres ainsi que la musique du premier Alien m’ont révélé un univers sonore qui illustrait magnifiquement l’univers artistique de Giger. Pour moi cette expérience a été le début de ma passion pour la musique de film et la musique illustrative.
Est-ce que la télévision et l’industrie cinématographique d’Allemagne offrent à l’artiste que vous êtes toutes la satisfaction personnelle et professionnelle que vous souhaitez ?
Aimeriez-vous avoir l’occasion de travailler aux Etats-Unis et, peut-être, de contribuer à y changer la conception et la production de musiques de film, comme Hans Zimmer et Klaus Badelt l’ont fait ?
Kay Skerra : Comme j’ai toujours de nouveaux rêves et de nouvelles idées, ce n’est donc pas facile d’être pleinement satisfait - mais je crois que cela ne dépend pas du pays où vous vivez ou de l’industrie cinématographique au sein de laquelle vous oeuvrez. Dans toutes les situations c’est la même chose partout. J’attends toujours avec impatience le prochain projet et je rêve de ceci ou de cela. En fait ce que j’aimerais c’est travailler sur plus de productions cinéma, mais en Allemagne il y a très peu de films produits par an. C’est triste, mais le nombre n’augmentera que si on fait du bon travail ici. Et je pense que c’est le cas en ce moment.
Et l’Europe après tout ? Je serais très heureux d’avoir l’occasion de travailler pour des productions françaises, britanniques ou italiennes... Beaucoup de films intéressants et ambitieux sont produits ici en Europe, je crois que c’est un marché vraiment intéressant. Bien sur je ne rejèterais pas l’occasion de travailler aux Etats-Unis si elle se présentait dans la mesure où ils ont la plus grosse industrie cinématographique du monde, beaucoup de productions intéressantes sont faites là-bas.
Mais finalement je travaillerais n’importe où pourvu que le projet soit intéressant et stimulant.
En tant que spectateur, quels genres de film préférez-vous ? Quel est le dernier film que vous ayez vu récemment ?
Kay Skerra : J’aime les films qui ont un impact émotionnel sur moi. Par exemple la plupart des films de David Lynch ou Ouvre les yeux, d’Alejandro Amenabar, ou encore l’œuvre de Brian de Palma - je suis très impatient de voir son adaptation du Dahlia noir de James Ellroy.
Récemment j’ai vu Stay en DVD. C’est un film très mystérieux avec une photographie fantastique, un montage novateur, une superbe musique de Asche and Spencer et une histoire qui occupe encore mes pensées.
Quels sont les thèmes dont vous êtes le plus fier ?
Kay Skerra : C’est toujours difficile d’être fier de son propre travail - au moins pour moi, parce que je recherche toujours l’amélioration et je ne suis jamais complètement satisfait. Et parce que les capacités de chacun se développent constamment, le travail le plus récent est toujours proche de ce qui semble « parfait » sur le moment. Lorsque la personne avec laquelle je travaille - par exemple le réalisateur ou le producteur d’un film - quitte mon studio heureux, inspiré et satisfait, alors je suis fier du travail accompli.
Sur quoi travaillez vous actuellement et quels sont vos prochains projets professionnels ?
Kay Skerra : En ce moment je travaille sur la série Alerte Cobra. Nous sommes aussi en discussion pour deux téléfilms vraiment intéressants, mais ce n’est pas confirmé pour l’instant, donc je ne peux vous donner plus d’informations dans l’immédiat.
(Entretien réalisé en 2006)
(c) Thierry Attard
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