jeudi 12 juin 2008

POPETOWN (KAZE)

A Popetown, cité du Saint-Siège, le Pape passe plus de temps à s’intéresser à ses jouets qu’à la bonne marche des affaires de l’Eglise. Mandaté par un triumvirat de cardinaux obsédés par le profit à court terme, le jeune et enthousiaste Père Nicholas doit veiller à ce que le comportement erratique de Sa Sainteté ne nuise pas aux desseins commerciaux de ces éminences à l’âme grise.

Mais Sœur Marie, l’assistante du Père Nicholas, est complètement « à l’ouest » et la chaîne info permanente de Popetown, en la personne de la plantureuse Sœur Penelope, scrute les moindres faits et gestes du prètre.

« Les gens ne viennent pas à l’église pour les serments, bien sûr, mais pour rêver tout éveillé de Dieu. » (Kurt Vonnegut, Jr)

« Le Pape est beau, le Pape est chouette. Il est le Pape, il aime gars et fillettes... » (Les orphelins de Leeds, Popetown, Episode 1)

KAMIKAZE ROCK’N ROLL

« Je vous apporte une très importante tasse de thé et une nouvelle bien chaude. » (Sœur Marie - A l’ouest du nouveau)

C’est assurément un fort joli coup que réalise Kaze, éditeur bien connu des amateurs d’animation, avec la sortie en dvd des dix épisodes de la série Popetown. L’événement est à double titre, d’abord parce que Kaze a acheté pour la première fois une série d’animation ne venant pas du Japon, et ensuite parce que quitte à en choisir une hors de son champs d’action habituel, l’éditeur a choisi celle qu’il fallait.

Popetown est une co-production franco-britannique commandée en 2002 par la chaîne numérique BBC Three (une espèce d’équivalent anglais de France 4), laquelle cherchait un programme fort et audacieux pour sa grille de rentrée 2004-2005. Et le moins que l’on puisse dire c’est que les producteurs sont allés au-delà des espérances du diffuseur.

« C’était bien plus fort que quand il a célébré la messe de Pâques déguisé en Dark Vador. » (Un des cardinaux)

La compagnie anglaise Channel X, responsable pour BBC Choice (l’ancètre de BBC Three) du jeu comique à succès Shooting Stars, se joint aux français de Moi j’aime la télévision, la société de Phil Ox, producteur touche-à-tout de génie. Le tandem de scénaristes Isabelle Dubernet et Eric Fuhrer, experts en développement de concepts, et Phil Ox - à la fois producteur et réalisateur, imaginent l’univers hilarant et complètement déjanté de Popetown.

« Tu t’attendais à quoi en demandant un sosie du Pape ? Raquel Welch ? » (Jackie Cohen, sosie du Pape)

LES QUATRE CAVALIERS DE L’APOCALYPSE

« Le Pape ?
- Oui, le petit bonhomme en jaune. Vous savez bien... » (Episode 2)

A Popetown, le chef de l’église catholique est un enfant rondouillard à l’âge indéterminé (entre quatre et huit ans ?) qui aime le catch, les cascades et saute en baton pogo dans les couloirs. Il est hyper-actif, capricieux , égocentrique (« D’abord je hais les enfants, surtout les orphelins »), accro au poisson pané ainsi qu’au « Bubulle Papal Soda », et très sale - dans un épisode on apprend qu’il ne s’est pas lavé depuis trois mois ! En version originale il a la voix de la plus britannique des comiques américaines : Ruby Wax.

« Bon, nous n’avons plus le choix mais vous, vous ne dites rien c’est d’accord ?
- J’ai compris, pas un mot. Pas même un petit shalom ?
- Surtout pas SHALOM ! » (Le Père Nicholas et Jackie Cohen, le sosie du Pape)

Le père Nicholas est apparemment le seul être rationnel et équilibré de Popetown. Les cardinaux l’ont fait venir de Leeds, au nord de l’Angleterre, où il s’occupait d’orphelins en fauteuils roulants. Son travail est officiellement de gérer l’intendance mais en réalité c’est le baby-sitter du Pape, dont il tente de contenir tous les débordements. Parfois il se laisse emporter par son enthousiasme, comme lorsque il se lance dans le catch sous le pseudonyme de Nicholas le Taureau (Nicholas the... Ox ) En VO, c’est le comique anglais Bob Mortimer (la version 2000 de la série Mon ami le fantôme) qui lui prête sa voix.

Sœur Marie est la gentille et généreuse assistante du Père Nicholas. Malheureusement son côté lunaire et son sens naturel de la gaffe (voir la recette du panda qu’elle trouve dans le livre « Plats traditionnels des régimes corrompus ») en font une sorte de pendant humain de la Ermintrude (Azalée en VF) du Manège enchanté. En VO elle a la voix de Morwenna Banks.

Star de la chaîne Popetown Infos, Sœur Penelope, la vamp à la french manucure, est à la fois présentatrice, reporter de choc, conseillère en communication et attachée de presse. Seuls le sensationnel et un bon cadrage de Judas, son caméraman, l’intéressent. Dans la version originale, elle a la voix particulièrement bien choisie du mannequin et actrice Jerry Hall, ex-madame Mick Jagger à la ville.

SATIRE, LA COLERE DE DIEU

« Just can’t believe all the things people say - controversy » (Prince, Controversy)

« Rappelle moi comment on fait du fric avec des orphelins paralytiques ? » (Un cardinal)


Ces quatre personnages évoluent sous les regards suspicieux et inquisiteurs de trois cardinaux exploitant la moindre situation dans une perspective de bénéfices immédiats. Confortablement assis dans leurs fauteuils gonflables flottant sur l’eau de leur spacieuse piscine, ils suivent de près le classement des plus grosses fortunes du monde : 1° la présentatrice de talk-shows Oprah Winfrey 2° Les prestidigitateurs animaliers Siegfried & Roy 3° Eux-mêmes (Eux) 4° Le sultan de Brunei 5° J.K. Rowling, la créatrice de Harry Potter !

« Hot dogs, hamburgers... salmonelle ! » (Un autre cardinal)

Ces cardinaux, organisateurs de combats de catch ou de tournées pour un sosie du pape juif, commercialisent des produits dérivés (boule à neige, savon, cigarettes marqués de l’effigie du Pape, Best of The Pope...), le prètre gérant du Pope Market est alcoolique, le sergent Richter - chef des gardes suisses - est un tueur fanatique, le Père Bosch est zoophile et le Pape saute avec son baton pogo mais sans sa tête, coupée accidentellement par le Père Nicholas avec le « taille-haies de cérémonie de Pie VII ».

C’en est trop pour les catholiques romains de Grande Bretagne, lesquels protestent auprès de la BBC. Après mûre réflexion, Stuart Murphy, contrôleur de la chaîne BBC Three décide de retirer la série de sa grille avant même qu’elle ne soit diffusée.

« Après beaucoup de considération et de consultation, et une mise en balance entre le risque créatif et l’offense potentielle à certaines catégories du public, nous avons décidé de ne pas diffuser le programme », dit-il dans un communiqué du 29 septembre 2004. Ce faisant il tire un trait sur une production de 2,5 millions de livres sterling et espère limiter les dégats financiers sur les ventes en vidéo.

« La décision de retirer Popetown laisse à penser que la religion ne peut pas rire d’elle-même. » (Giles Fraser vicaire de Putney, enseignant en philosophie au Wadham College Oxford et éditorialiste, octobre 2004)

CHEMIN DE CROIX

« Ah oui, comment il disait déjà le barbu ? Ah oui ! Lève toi et marche ! » (Le Pape)

Alan Marke, directeur de Channel X, la compagnie anglaise co-productrice de Popetown, déclare : « Je suis incroyablement déçu par cette décision car je suis très fier de ce projet et des talents impliqués mais je comprends que le monde a changé depuis que la série a été commandée et je sympathise face à la décision difficile que la BBC a eu à prendre ».

« Ca c’est moi avec Lee Majors. On avait monté un numéro de torche humaine. » (Le Pape)

C’est à l’autre bout de la Terre que les protagonistes de la série trouvent le salut de l’âme en juin 2005, sur la chaîne néo-zélandaise C4, dont l’audience gagne une part de marché de 25% sur les 15-29 ans. Un mois après le début de la diffusion, la conférence des évêques catholiques de Nouvelle-Zélande appelle les 500 000 catholiques du pays à boycotter, non seulement C4 mais aussi les autres chaînes de télévision ou de radio du groupe qui la possède.

Les DVD de la série sortent au Royaume Uni en septembre 2005. En Allemagne Popetown déchaîne les passions lorsqu’est diffusé le premier épisode en mai 2006 sur la chaine MTV, précédé d’un encart publicitaire dans le magazine TV Today représentant le Christ ayant quitté sa croix pour rire devant la télévision, publicité dont on peut penser sans être catholique qu’elle était inutilement provocatrice (sans doute cet aspect avait-il été savamment évalué).

L’archevêché de Munich demande le retrait de l’antenne et poursuit, conjointement avec le parti démocrate-chrétien de Bavière, pour « blasphème » les responsables de la série en vertu de l’article 166 du Code pénal allemand : « Celui qui publiquement ou par le biais d’ écrits insulte le contenu de la croyance de la conception du monde ou de la religion, de sorte à perturber la paix publique sera puni d’une amende pécuniaire ou une peine d’emprisonnement à concurrence de trois ans ».

« Joyeux anniversaire, Votre Sainteté.
- C’est une arbalète ? » (Le Père Bosch et le Pape)

VIDEO GRATIAS

« Tu m’as planté mon dépucelage aérien, moule à couille ! » (Le Pape... celui de Popetown en tout cas)

Beaucoup de bruit pour rien ? S’il est éminement concevable que des télespectateurs de foi chrétienne puissent se sentir offensés par Popetown, force est de constater qu’il y a eu des séries (Father Ted) ou des films (La vie de Brian, voire Le Parrain III) beaucoup plus redoutables à l’égard du Vatican et de la religion catholique que cette série d’animation qui s’inscrit plutôt dans un registre délirant très britannique que dans la parodie ou la satire à la South Park. En revanche il est indéniable que la controverse a admirablement servi le « buzz » autour de la série.

Et pourtant la meilleure réponse à la controverse vient des scénaristes et créateurs eux-mêmes : ce qui se passe à Popetown n’est pas réel et ne représente pas le Vatican. C’est le fruit de l’imagination d’un collégien d’une école catholique (Rhys Thomas) qui rêve éveillé les aventures de ce pape en jaune et de son entourage, qu’il dessine durant les cours d’un prêtre sympathique et excentrique (Ben Miller, l’assistant de Rowan Atkinson dans Johnny English). Une idée simple, efficace et poétique illustrée par une séquence « live » avant chaque épisode (au terme du générique de fin le collégien referme son cahier), un peu à la manière de La vie secrète de Walter Mitty.

« Moi je suis plus célèbre que les Beatles. » (Nicholas le Taureau)

Si le graphisme des personnage est loin d’être exceptionnel (le genre M6 le mercredi avant l’influence de Dexter’s Laboratory), les personnages ont une apparence très attachante (surtout le Pape et Sœur Marie) et les décors en trois dimensions sont criants de vérité. Les histoires sont rythmées, drôles et truffées de références discrètes à l’actualité anglaise ainsi que de clins d’oeils élégants et savoureux au Blow Up d’Antonioni, à L’Exorciste, aux Beatles (« Je crois qu’il est temps de dissoudre le groupe »), à Psychose (un running gag avec Sœur Marie), Frankenstein, Pinball Wizard de The Who, etc... Et le générique composé par Julian Moore est un monument d’humour à lui tout seul.

En France c’est MCM qui diffuse Popetown depuis septembre 2006, après que la série soit passée par l’Australie et ait été rediffusée en Allemagne (dans un climat beaucoup plus serrein que lors de la diffusion initiale). Le doublage français - réalisé par la société belge Made in Europe - est de première classe, et l’adaptation de Laurence Crouzet est excellente.

Loin des tourments qui ont présidé à son lancement en Angleterre, Kaze nous propose maintenant l’intégrale de cette série d’animation humoristique indispensable en deux dvd réunis dans un charmant packaging jaune papal... enfin, celui de Popetown, bien sûr. On espère un éventuel revival, le DVD serait le support idéal pour un spécial d’1h15 (les trois cardinaux seraient ravis).

(Cet article vous est offert par les Industries bio-chimiques du Yorkshire, sponsor officiel des Orphelins de Leeds)

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