vendredi 13 juin 2008

BLACKPOOL (KOBA FILMS VIDEO)

A Blackpool, le flamboyant Ripley Holden, petit entrepreneur propriétaire d’une salle de jeux, veut bâtir un hôtel-casino. Il a une magnifique maison, une superbe épouse et deux enfants. Certes, un petit groupe veut contrecarrer ses projets, il a un arriéré d’impôts et sa fille veut se marier avec un homme plus vieux qu’elle, mais Ripley a foi en son rêve.

Jusqu’au jour où il trouve un cadavre au beau milieu de son établissement. Le Detective Inspector Carlisle débarque alors dans la station balnéaire en renfort sur l’enquête policière et le rêve de Ripley Holden se fissure de toutes parts.

Le DVD est aujourd’hui clairement le meilleur moyen d’apprécier une série télé dans de bonnes conditions, surtout lorsqu’il s’agit de découvrir une production britannique de très grande qualité, toujours étrangement snobée par les chaînes hertziennes françaises en clair.

Heureusement, Koba Films Video (http://www.kobafilms.fr/index.php?option=com_frontpage&Itemid=51) s’est fait une spécialité de proposer en DVD les fleurons de la fiction télé britannique contemporaine : Les Arnaqueurs VIP, La fureur dans le sang, Life on Mars, State of Play – Jeux de pouvoir, et bien d’autres… Il n’est donc guère surprenant que ce distributeur nous propose un chef d’œuvre tel que Blackpool.

LES JEUX DE RIPLEY

« Sa trinité : sa famille, l’argent et Blackpool. Pas forcément dans cet ordre. » (D.C. Blythe)

Ripley Holden (David Morrissey) est propriétaire d’une arcade sur le front de mer, à Blackpool, et d’un immeuble vétuste qu’il a l’intention de faire raser pour transformer sa salle de jeux en un gigantesque hôtel-casino comme ceux que l’on trouve à Las Vegas, afin d’apporter sa version très personnelle du rêve américain dans cette station balnéaire anglaise. Il a un bagout de télévangéliste (« Celui qui a recevra encore et il sera dans l’abondance »), de l’aplomb, une haute stature, des favoris à la Elvis Presley (dont il possède par ailleurs les intonations), des costumes de texan, une grosse voiture américaine, ainsi qu’une magnifique maison avec piscine baptisée « Shangri-La ».

Sa charmante épouse, Natalie (Sarah Parish), bénévole dans une association d’écoute, ainsi que Shyanne (Georgia Taylor), sa fille de 20 ans, et Danny, son jeune fils (Thomas Morrison), endurent son extravagance avec plus ou moins d’indulgence. Ses employés, Ruth (Jacqueline Pilton) et Barry (Jim Whelan), comme ses amis le policier Jim Allbright (David Hounslow) et Terry Corlette (John Thomson), ont investi dans son ambitieux projet (« Vous me remercierez d’avoir sorti Blackpool de la Préhistoire »). Hailey (Lisa Millett), une prostituée qui réside dans l’immeuble de Ripley (mis au nom de son épouse pour raisons fiscales) recueille ses confidences et Adrian Marr (Steve Pemberton), son expert-comptable, ses railleries à défaut du paiement de son arriéré d’impôts (« J’ai une mutuelle, je paie l’école de mes gamins. A quoi l’Etat consacrerait ce fric ? »).

« Que vous conseillent-ils ? Aller à la banque, ouvrir un plan de retraite. C’est aussi risqué que le jeu mais sans l’éclate. » (Ripley Holden)

Ripley Holden s’amuse, le jeu c’est sa vie (« La salle de jeux, c’est la bourse du peuple »). Des difficultés de financement, l’idylle de sa fille Shyanne avec Steve (Kevin Doyle), un régisseur de théâtre qui a le même âge que lui, et les protestations de l’Anti Gambling Alliance (« Vegas Never ») – un petit groupe contre le jeu dirigé par le religieux Hallworth (David Bradley) – ne ternissent pas le rêve. D’ailleurs, tout le monde rêve chez Ripley : Chantelle (Michelle McCaw) – mère célibataire qui y dépense ses allocations (« C’est comme l’économie de marché. Si c’était que de la chance y aurait plus de banquier ») – un prêtre, un mathématicien amateur qui cherche la martingale…

LES LUMIERES DE BLACKPOOL

« Car Ripley Holden a trouvé sa place, sur le front de mer. » (Ripley Holden)

Réalisé par Coky Giedroyc et Julie Anne Robinson en 2004, Blackpool (6 épisodes de 58 minutes) a été écrit par Peter Bowker, scénariste en 2003 d’une brillante version modernisée des Contes de Canterbury de Chaucer (il renouvellera l’exploit deux ans plus tard sur Songes d’une nuit d’été pour la série ShakespeaReTold). La seule présence dans le rôle principal de David Morrissey (State of Play, The Deal…), un des plus grands acteurs britanniques de ce siècle, justifierait en soi que l’on s’intéresse à cette œuvre estampillée du sceau si prestigieux de la BBC – gage de qualité s’il en est.

Mais deux « ingrédients » font de Blackpool une œuvre vraiment intéressante. Le premier, c’est son style : la trame narrative est introduite et ponctuée par des séquences surréalistes où les personnages accompagnent en chantant et en dansant des standards de la chanson (le premier épisode s’ouvre sur le célèbre Viva Las Vegas d’Elvis Presley), selon un procédé popularisé par le grand Dennis Potter (1935-1994), auteur, entre autres, classiques de l’immortel Du rouge à lèvres sur ton col (Lipstick on your collar, 1993).

« Selon Freud, les blagues trahissent le subconscient.
- Tiens donc ! Un flic qui a lu un bouquin…
- Avec deux je dirigerais une salle de jeux. »
(Ripley et Carlisle)

Le deuxième élément d’intérêt majeur de Blackpool c’est l’Ecossais le plus célèbre du Royaume-Uni, aujourd’hui connu comme étant la dixième incarnation du personnage le plus populaire et le plus vénéré de la télévision britannique. Dans State of Play – Jeux de pouvoir David Morrissey côtoyait John Simm. Blackpool est illuminé par le face à face entre Morrissey et David Tennant, qui deviendra un an après la vedette de cette véritable institution qu’est la série Docteur Who.

THE SINGING DETECTIVE

« Etonnant, je pensais cette ville oubliée par le cappuccino » (D.I. Blythe)

David Tennant est le D.I . Peter Carlisle, un policier d’origine écossaise. Il est cultivé, sarcastique (« Comment on appelle une femme veuve avant le mariage ? Une pré-veuve ») et grand amateur de pâtisseries. Lorsque Ripley Holden découvre le cadavre de Mike Hooley (James Cartwright) sur le sol de sa salle de jeux, Carlisle est envoyé spécialement à Blackpool en renfort pour enquêter sur cette affaire en compagnie de son jeune adjoint, le D.C. Blythe (Bryan Dick). Il lui confie : « Un ami à moi a grandi à Blackpool, il y a longtemps. Tu sais pourquoi il n’aimait pas cette ville ? Quand c’était pas Newcastle c’est Glasgow qui les éclatait. Quand c’était pas Manchester c’était Liverpool. Blackpool perdait à tous les coups » .

« Il est comment, le gérant ?
- Un con.
- Coupable ?
- Les cons n’ont pas de morale ? »
(Blythe et Carlisle)

Les soupçons de Carlisle se portent immédiatement sur Ripley Holden, lequel n’apprécie pas que le policier ferme temporairement son établissement durant l’enquête préliminaire (« Ne jamais rien dire à un flic, même pas l’heure »). La veille, Ripley avait surpris Hooley tentant de trafiquer une de ses machines et il avait eu une petite altercation avec lui quelques heures après devant témoins.

Cynique (« Comme moi vous travaillez dans le service public » dit-il à Hailey), Peter mène son enquête avec une rigueur intellectuelle d’universitaire qu’il camoufle derrière une apparente décontraction (il interroge les témoins au théâtre local ou de manière « informelle » au commissariat). Philosophe, il explique à son jeune adjoint que le jour où celui-ci tombera amoureux, il comprendra que « le cœur est un organe complexe et capricieux », sans savoir combien son affirmation est prémonitoire.

THIS IS NOT AMERICA

« Un gars comme vous peut pas comprendre Blackpool. » (Ripley Holden)

Blackpool est un véritable feu d’artifices de talents artistiques comme seule la télévision britannique est capable de nous en offrir. L’ensemble de la distribution – avec en tête le trio composé de David Morrissey, Sarah Parish et David Tennant (Parish et Tennant se retrouveront dans The Runaway Bride, un spécial de Noël de Docteur Who, ainsi que dans Recovery) – est à l’aise aussi bien dans les scènes dramatiques que dans les numéros musicaux sur des titres populaires comme Should I stay or should I go, (The Clash), The Boy with the thorn in his side, (The Smiths) ou Don’t stop me now, (Queen).

La mini-série a donné naissance à une suite en 2006, sous la forme d’un téléfilm de 90 minutes intitulé Viva Blackpool, (titre sous lequel Blackpool a été diffusé aux Etats-Unis en 2005) – avec David Morrissey et Georgia Taylor [téléfilm dont nous espérons qu’il sortira en DVD en France, NDA]. Les Américains ne se privant jamais de venir chercher en Europe les bonnes idées de leurs cousins britanniques pour en faire des remakes (on attend sans impatience le State of Play, avec Russell Crowe et la version américaine de Life on Mars), Viva Laughlin, (2007), le Blackpool, américanisé, fut une des prémices d’une saison télé américaine 2007-2008 absolument désastreuse (grève des scénaristes oblige).

Supprimée par le réseau CBS au bout de seulement deux épisodes, cette série produite par l’acteur Hugh Jackman, fut qualifiée par le New York Times de « vraisemblablement le pire show de toute l’Histoire de la télévision ». Comme quelqu’un le faisait remarquer en réponse à un excellent article du quotidien anglais The Guardian sur Viva Laughlin, il serait peut-être nécessaire d’expliquer à certains ce que signifie le B de BBC (« C’est toujours un détail qui fait que tout s’écroule »).

Des personnages complexes, drôles, attachants et émouvants ; une bande originale sublime ; une histoire fabuleuse (quand Shakespeare rencontre Top of the Pops, mythique émission musicale de la télé britannique) avec des répliques d’anthologie (« Les maçons aimaient Boy George avant de savoir que c’était un mec ») ; des acteurs magnifiques…

Le rôle d’une vie pour David Morrissey – qui ne déçoit jamais quoi qu’il fasse (http://thierryattard.blogspot.com/2008/02/basic-instinct-2-de-michael-caton-jones.html). Un grand numéro d’acteur de David Tennant, qui confirmera avec Casanova (2005) et son incarnation du Docteur. « It’s a nice day to start again ». Allez donc passer quelques heures dans la salle de jeux de Ripley Holden à Blackpool. Comme dirait Peter Carlisle : « Proust ivre mort aurait décrit ces moments » .

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