jeudi 5 juin 2008

LES ECRANS DE LA GUERRE (EDITIONS DE FALLOIS)

Pendant l’occupation, le cinéma était pour les français une des rares échappatoires à un quotidien incertain. Si le Septième art et ses scrutateurs de la critique ne furent pas à l’abri de commettre les tristes excès qu’engendrent des périodes aussi troubles, l’impression sur pellicule de ces instants d’évasion servis par des gens de cinéma plus actifs que jamais mérite autant l’intérèt du cinéphile que celui de l’historien.

« C’était la meilleure des époques, c’était la pire des époques, c’était l’époque de la sagesse, c’était l’époque de l’inconséquence... » (Charles Dickens, Un conte de deux villes)

SALLES OBSCURES DU PARADOXE

Face au destin de ces moments qui seront forcément trop longs pour n’être que subis, il est dans la nature de la majorité de celles et ceux qui ne peuvent les éviter que de tenter de s’affranchir de la servitude du temps présent. Art et industrie, le cinéma s’impose de facto comme un des rares remèdes à cette servitude dans une France qui l’a vue naître et qui en 1940 est à terre.

La plupart des réalisateurs, scénaristes, acteurs voire producteurs d’avant la débâcle sont toujours là : tièdes ou zélés, hésitants ou indifférents aux secousses du monde, visibles ou parfois clandestins - mais au savoir-faire dont on ne peut se passer malgré les prescriptions politiques. Certains profiteront du système en place et le paieront (ou ne le paieront pas) à l’heure des comptes, d’autres en seront victimes.

Mais The Show must go on, cette maxime que le cinéma américain honni mais pas complètement (il occupera les écrans de la zone dite libre quelques temps encore), a fait sienne, est alors plus que jamais à l’ordre du jour dans l’hexagone. Les salles sont rouvertes et il faut les remplir.

En ces heures où la volonté compte parmi les victimes du conflit - elle devait triompher, selon une réalisatrice en grâce à Berlin - les pouvoirs publics se soucient de redynamiser l’industrie cinématographique française. Des partenariats entre la France et l’Italie et surtout entre la France et l’Allemagne (la fameuse firme Continental) les aideront parfois à le faire.

QUATRE ANS POUR UNE REFLEXION

Du paradoxe d’une ère obscure (une époque de ténèbres aurait dit Dickens) naîtront beaucoup de chefs d’œuvre, des films de qualité honorable et un tout petit nombre d’objets dérisoires dont l’absence dans la mémoire cinématographique collective plaide d’elle-même, sans parler de scories d’un cinéma de propagande qui ne prêcha que des convertis.

Avec la rigueur de l’historien, la patience du chercheur ainsi que l’œil avisé et le savoir du cinéphile averti, Philippe d’Hugues réalise avec son livre le film des films d’une production qui ne méritait ni la place subconsciente que lui accordèrent longtemps les mémorialistes du cinéma par embarras ou perplexité, ni cette hâtive indignité fruit d’une auto-défense subconsciente ou de la mauvaise foi.

Les Ecrans de la guerre (Editions de Fallois) comblera autant l’amateur de cinéma intrigué et intéressé par ces drôles de films nés d’une guerre qui fut tout sauf « drôle », que le lecteur désireux de comprendre ces quatre années où l’homme ne fut « jamais aussi libre » (pour reprendre les mots d’un philosophe célèbre) que le temps passé sur le siège en velours ou en moleskine d’une salle de cinéma.

L’ouvrage ne néglige aucun aspect du sujet (voir ce chapitre sur les critiques sous l’occupation) tout en posant les bases de possibles développements ultérieurs, comme avec ce chapitre abordant la place du cinéma allemand en France avant et pendant les années de guerre. Cinéphiles et germanophiles ne pourront s’empêcher d’y voir un des instruments nécessaires pour tenter de comprendre pourquoi le cinéma germanique est aussi peu distribué aujourd’hui.

Sans parti pris, même si une description ou une citation habilement placées valent ici mieux que dix remarques véhémentes, mais sans naïveté ou froideur clinique, Philippe d’Hughes offre avec son livre un travail équilibré et indispensable. Et la très belle préface est signée par Alexandre Astruc.

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