vendredi 1 février 2008

BASIC INSTINCT 2, de Michael CATON-JONES

La police londonienne enquête sur la mort, dans des circonstances douteuses, de Kevin Franks, un joueur de football européen très connu. Le Detective Superintendant Roy Washburn (David Thewlis), porte immédiatement ses soupçons sur la maîtresse du footballeur, la romancière américaine Catherine Tramell (Sharon Stone). Il confie à l’éminent psychiatre Michael Glass (David Morrissey), le soin de procéder à une évaluation du profil psychologique de la suspecte.

FAITES REVENIR L’ACCUSEE

Sorti en 1992, Basic Instinct, fut un tel succès au box office mondial que produire une suite à ce surestimé thriller érotisant de Paul Verhoeven avec Michael Douglas et Sharon Stone semblait presque aller de soi dans cette fabrique de produits en série qu’est Hollywood. Cette liaison fatale entre un flic de San Francisco et la romancière au pic à glace avait consacré Douglas comme la dernière vraie « star » de son temps et braqué les projecteurs sur Sharon Stone, devenue avec ce film le symbole sexuel numéro un de la fin du 20ème siècle.

Basic Instict 2 demeura pourtant longtemps un serpent de mer noyé sous des péripéties industrielles, financières, artistiques et juridiques (le développement du film mériterait à lui seul un livre) avant qu’enfin, en 2004, le projet ne se concrétise. Le producteur Mario Kassar, un des responsables du premier, fait appel au couple de scénaristes Leora Barish et Henry Bean, lesquels lui proposent de confronter Catherine à un psychanalyste de New York, où le couple réside, avant d’avoir l’idée subtile de transposer cette confrontation de la Mecque de la psychanalyse américaine à la Mecque de la finance européenne : Londres.

Avec la bénédiction de Sharon Stone, qui s’implique dans le processus créatif de ses tournages, la production choisit l’écossais Michael Caton-Jones (le remake du Chacal) pour réaliser cette suite très attendue avec un budget confortable (70 millions de dollars) quoique raisonnable au regard de la démesure quasi-pathologique du coût moyen actuel d’un blockbuster. Reste alors, pour que revienne l’accusée, à trouver le premier rôle masculin, celui qui aura la tâche, ô combien difficile, de succéder à Michael Douglas.

LE POUVOIR DU JEU

L’anglais David Morrissey, un des plus grands acteurs britanniques contemporains, est choisi par Stone et Caton-Jones pour interpréter le docteur Michael Glass, psychiatre renommé chargé d’évaluer le mental sinueux de Catherine Tramell à la demande de Roy Washburn, de Scotland Yard. Né à Liverpool et diplômé de l’Académie Royale des Arts dramatiques, Morrissey s’est distingué dans des productions télévisuelles telles que State of Play – Jeux de pouvoir (2003) ou Blackpool (2004).

« David possède cette apparence de droiture morale, explique Mario Kassar dans le dossier de presse du film. A la surface il est l’opposé de toutes les choses étranges qui traversent la psyché de Catherine. Alors qu’il tombe tout doucement sous son charme, il est transporté dans ces endroits ténébreux où vous vous rendez seulement lorsque la curiosité morbide s’empare de ce qu’il y a de meilleur en vous. » Sans doute son interprétation tout en nuance et complexité du parlementaire dans State of Play aura concouru à ce que l’époux de l’arrière petite-fille de Sigmund Freud décroche ce rôle

Le reste de la distribution est à la hauteur de ce choix audacieux et contribue à donner à cette co-production essentiellement américano-germanique estampillée Sony/MGM le cachet « classieux » d’une mini-série de la BBC : David Tewlis (Washburn), Indira Varma (l’ex-épouse de Glass) et surtout Charlotte Rampling dans le rôle du docteur Milena Gardosh, mentor de Michael. Le tournage de Basic Instinct 2 a lieu aux studios de Pinewood et à Londres entre avril et août 2005.

LA MAISON DE VERRE

Fort judicieusement, le réalisateur Michael Caton-Jones souhaite ne pas montrer un « Londres de carte postale » avec les éternels plans sur Big Ben ou des autobus à impériale et donne pour consigne au responsable des extérieurs Keith Hatcher de sélectionner des lieux en adéquation avec l’univers à la fois sexuellement transgressif et glacé de la manipulatrice Catherine Tramell. La très « cronenbergienne » spectaculaire séquence d’ouverture – où la romancière se jette délibérément avec sa voiture de sport dans la Tamise, tandis qu’est attaché sur le siège passager Kevin Franks (interprété par un authentique ex-footballeur, Stan Collymore) à demi-conscient, est tournée à Canary Wharf, le cœur financier de la capitale du Royaume-Uni.

La tour Swiss Re, dessinée par l’architecte Lord Norman Foster, abrite le bureau du docteur Glass. Les habitants de Londres ont affublé cet immeuble, au style destiné à rivaliser avec l’architecture des constructions de Canary Wharf, des doux surnoms de « cornichon » ou « phallus de verre ». Sachant que le mot anglais « glass » signifie « verre » en français, il y a fort à parier que le choix de la Swiss Re comme maison de verre des certitudes d’un psychanalyste d’apparence très sûr de lui est loin d’être anodin.

Les habitués de MI-5 (Spooks) noteront avec amusement que la facade du palais de justice où comparaît Catherine n’est pas celle du Old Bailey, bâtiment que V faisait exploser dans le film V pour Vendetta, sorti la même année que Basic Instinct 2 (1), mais bien celle de Freemasons Hall, censé être le siège de la sécurité intérieure dans cette excellente série de la BBC. Le spectateur se trouve néanmoins bien loin de la vision de Londres très « patrimoniale » de certains films américains tournés dans la capitale du Royaume-Uni (2). Ici les décors sont au service d’une intrigue où, comme dans la vie, seul le diamant raye le verre.

HEARTS OF GLASS

Les fêlures de l’âme n’ont aucun secret pour le docteur Michael Glass, elles n’en ont pas non plus pour Catherine Tramell. Son art à lui est de les discerner et de les analyser. Son instinct à elle est de les cerner et de les exploiter pour satisfaire sa soif d’ascendance sur des hommes ou des femmes, qu’elle charme, séduit ou manipule selon ses besoins émotionnels ou physiques. Puis, lorsqu’elle en a terminé, elle les trivialise en en faisant les personnages de ses romans policiers. L’ennui l’effraie, le risque la stimule et Michael lui offre un nouveau défi à relever après s’être lassée de Kevin Franks. Peut-être a-t-elle enfin trouvé un challenger à sa hauteur, un égal même, mais jusqu’à quel point ?

Les fêlures du docteur Glass n’ont aucun secret pour Catherine : un client dénommé George Cheslav ; Denise, sensuelle ex-femme de Michael, aujourd’hui avec un journaliste qui a juré la perte du psychiatre ; un entretien à venir pour une chaire universitaire prestigieuse ; la douce et raisonnable Milena, analyste de Glass ; Roy Washburn, le flic pugnace au passé équivoque. Une lithographie sur un des murs de l’appartement du thérapeute est titrée « Ich rieche Blut » (« Je flaire le sang »).

La romancière flaire les failles de l’univers apparemment feutré et balisé de Michael Glass pour s’y insinuer, devient sa cliente, envoûte ses proches et ses ennemis et hante ses pensées les plus intimes jusqu’à l’obsession. Du sud-ouest de Londres aux coins les plus huppés de Soho, en passant par les recoins les plus louches de ce quartier chaud, tous les chemins mènent fatalement jusqu’à la tanière de la fatale attraction. Aux murs, Egon Schiele (3).

RISQUE MAXIMUM

Basic Instinct 2 sort le 31 mars 2006 aux Etats-Unis, les critiques rivalisent de sarcasmes et le public n’est pas au rendez-vous. S’attendaient-ils à un thriller d’action et à des scènes de sexe rassurantes dans le contexte respectable d’un gros budget hollywoodesque ? Plusieurs scènes explicites (d’ailleurs « fuitées » sur internet) ont disparu de la version définitive pour le plus grand bien de la narration. Sharon Stone, la plus intelligente, la plus distinguée et la plus francophile des actrices américaines, fait même l’objet d’une certaine goujaterie y compris en France – alors qu’elle est au sommet de sa séduction. Mais après tout, comme dit le très rusé slogan du film : « Everything interesting happens in the mind » (« Tout ce qui est intéressant se passe dans l’esprit »).

Pourtant, cette nouvelle page dans le livre de la vie tumultueuse de Catherine Tramell est cent fois, mille fois supérieure à son chapitre d’introduction, livré 14 ans plus tôt. Le thème musical du regretté Jerry Goldsmith est toujours là (mis en valeur avec respect dans une bande originale composée par John Murphy) mais Basic Instinct 2 est à la fois plus efficace et plus réfléchi que son boursouflé devancier, de fait plus européen aussi, tant par son casting et ses extérieurs que par les décors du designer Norman Garwood ou les costumes choisis par Beatrix Aruna Pasztor.

Basic Instinct 2 est un thriller techno-noir dont le climat rappelle les romans d’Ira Levin. Les références élégantes, au premier film (parfois pour être détournées) ou à d’autres œuvres (Crash, Liaison Fatale…) abondent dans une histoire solide montant crescendo jusqu’au retournement final dans la cour d’un impressionnant hôpital psychiatrique (en fait le Holloway Royal College, dans le Surrey). Le dernier roman de Catherine Tramell est en librairie, peut-être en êtes-vous le personnage principal ? Elle n’aurait pas pu y arriver sans vous…

« But I can’t help falling in love with you » (Elvis Presley repris par UB40)

(1) A propos de ce film : http://thierryattard.blogspot.com/2008/05/v-pour-vendetta.html + http://thierryattard.blogspot.com/2008/06/v-pour-vendetta.html
(2) Pour ce qui concerne cette vision par le cinéma britannique, voir http://thierryattard.blogspot.com/2008/05/visions-of-england.html
(3) Un des artistes favoris de Sharon Stone et de Mylène Farmer.

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