2006, le Detective Chief Inspector Sam Tyler, de la police de Manchester, enquête sur un tueur en série avec sa partenaire, Maya, qui est également sa petite amie. Peu après qu’il l’ait écartée du dossier, elle est enlevée par le tueur. En plein désarroi, Sam est renversé par une voiture. Le choc passé, il se réveille… en 1973. Est-il fou, dans le coma, ou a-t-il remonté le temps ? Pour Sam Tyler, vivre en 1973 c’est un peu comme s’il devait vivre sur la planète Mars.
« Take a look at the lawman beating up the wrong guy.
Oh man ! Wonder if he’ll ever know
He’s in the best selling show. Is there life on Mars ? »
(David Bowie, Life on Mars)
La fiction télévisuelle américaine est dans le coma et, malheureusement pour elle, elle ne s’est même pas réveillée en 1973. Seul le câble la relie encore à notre intérêt avec les productions de Showtime (Dexter, Californication,…), HBO, voire dans une certaine mesure, USA Network (Burn Notice). Les héros d’un autre font partie des disparus, Jack Bauer devrait prendre une journée de congé et les beautés sont désespérantes.
Dynamisme, créativité, originalité et talents s’unissent au royaume de la fiction de qualité. Britannia domine les ondes avec une vitalité qui rappelle celle des « Swinging Sixties », lorsque Lew Grade enchantait en Merlin avisé et au chéquier généreux, les petits écrans du monde avec les productions ITC. MI-5 (la meilleure série d’espionnage jamais réalisée, avec peut-être La Taupe), Docteur Who (la meilleure série de l’Histoire de la télévision), Torchwood (spin-off du précédent), Robin des Bois, Jekyll (créé par Steven Moffat, un des scénaristes de Docteur Who), ne sont que quelques-unes des merveilles proposées par la télévision britannique.
VIVA BLACKPOOL
« Nos séries ont pris une telle proportion, j’aime le fait qu’elles soient devenues un des sujets de conversation de la nation. » (Julie Gardner, responsable des dramatiques à la BBC et chef du département dramatiques de BBC Pays de Galles, citée dans le Western Mail)
Oui, c’est bien au Royaume-Uni que ça se passe et les gens de Koba Films Vidéo (http://www.kobafilms.fr/index.php?option=com_frontpage&Itemid=51) l’ont compris : La fureur dans le sang, State of Play (dont les américains tournent un remake!), Femmes de footballeurs, Blackpool, et surtout deux des titres phares de chez Kudos (les producteurs de MI-5 pour la Beeb) : Les Arnaqueurs VIP (Hustle) et Life on Mars. Allons-y franchement : amener de tels fleurons au catalogue de Koba c’est comme avoir acheté les droits de Chapeau Melon et bottes de cuir ou du Prisonnier si la vhs ou le dvd avaient existé alors.
« On doit avoir quelque part une trace photographique de leur session de brainstorming (ou, devrait-on dire, de leur session de beuverie). » (Claire Parker, productrice de Life on Mars)
1998, Stephen Garrett, un des dirigeants de Kudos Film & Television (compagnie fondée en 1992), envoie les scénaristes Matthew Graham, Tony Jordan et Ashley Pharoah en « séminaire » à Blackpool (à la demande de Jordan), le Las Vegas britannique, avec – selon la légende – « un sac en papier bourré de liquide » (1500 livres sterling dans un sac de chez Sainsbury’s) et le mandat, s’il leur reste un peu de temps (dixit l’associée de Garrett, Jane Featherstone ) de trouver des concepts de séries. Ce qui se passe à Blackpool ne sort pas de Blackpool… sauf un titre de travail : Ford Granada.
Matthew Graham explique : « Aucun d’entre nous n’appréciait particulièrement l’idée de pourrir les ondes avec encore plus de séries policières et pourtant on savait que c’est ce que les gens aiment regarder. Alors on a eu l’idée d’une série policière que, nous on aimerait regarder : un flic remonte le temps et essaie de résoudre des crimes au beau milieu d’un épisode de Regan ».
« Remets ton pantalon. T’es cuit. » (Jack Regan)
Regan (The Sweeney), un monument de la télévision britannique diffusé sur Thames Television entre 1975 et 1978, mettait en vedette John Thaw dans le rôle de Jack Regan – un flic aux méthodes expéditives suant la testostérone. La série est à ce point ancrée dans le subconscient des télespectateurs du Royaume-Uni, qu’une publicité anglaise très populaire pour la Nissan Almera parodiait les personnages et l’ambiance, et qu’un remake cinématographique est annoncé pour 2009.
Le projet de Graham, Jordan et Pharoah est rejeté par les responsables de la BBC. « A l’époque les diffuseurs étaient mal à l’aise avec l’idée qu’un programme ne se déroule pas dans le monde réel et possède un élément fantastique ». C’était avant la résurrection de Mon ami le fantôme (Randall & Hopkirk (Deceased)) en 2000, ce remake pour la Beeb d’un classique de la ITC où un privé fait équipe avec le fantôme de son partenaire décédé.
LIFE ON BEEB
« Nous aimions le concept : une série policière pleine d’action se passant en 1973, mais avec une spécificité originale – notre héros est un homme du présent qui se réveille après un accident sans la moindre idée du pourquoi ou du comment il est arrivé dans ce monde étranger. » (Claire Parker, productrice)
Le concept de Life on Mars (d’après le titre de la célèbre chanson de David Bowie) chemine durant sept années, durant lesquelles il est rejeté par Channel Four – longtemps détentrice du monopole de l’insolence et de l’innovation en matière de fictions télé au Royaume-Uni (« Des gens haut placés dans la chaîne alimentaire ont dit que c’était trop stupide ») – puis soumis à Julie Gardner, responsable des dramatiques à BBC Wales, en pleine préparation du revival de Docteur Who. Gardner en parle à son tour à Jane Tranter, responsable de l’ensemble du département dramatiques à la BBC et génie de la programmation de la Beeb, puisque c’est sous son règne qu’ont triomphé des programmes comme MI-5 (Spooks), Meurtres en sommeil (Waking the Dead), State of Play et bien d’autres titres. Elle a fait de la BBC une marque exportable dans le monde entier.
Jane Featherstone et Claire Parker, de Kudos, arrivent à convaincre Bharat Nalluri, réalisateur anglais né en Inde, de réaliser les deux premiers épisodes de Life on Mars. Nalluri a réalisé le premier épisode de MI-5 ainsi que celui des Arnaqueurs VIP et s’est beaucoup impliqué dans l’aspect créatif et stylistique de ces deux séries.
« Je suis un enfant de la télé des années 70. Ca m’a vraiment beaucoup influencé car c’était en télévision une époque très cinématographique. » (Bharat Nalluri)
L’histoire de la série doit se dérouler à Londres puis à Leeds, mais la production débarque finalement à Manchester, « la capitale du nord » de l’Angleterre (« chaque planète possède un nord » comme dit le Docteur), car la BBC souhaite développer la production de programmes dans cette ville. Sam Tyler peut commencer son grand voyage dans le Manchester de 1973 , où il est brutalement « transféré » (« Il est écrit que vous avez été transféré de la division C de Hyde ») lorsqu’il est percuté par une voiture.
C’est John Simm, révélé au grand public par State of Play – la mini-série de Paul Abbott (2003) et un des meilleurs acteurs anglais actuels, qui est choisi pour être Sam Tyler. « Le casting de Sam est un des plus difficiles que l’on ait fait pour une de nos séries », explique Jane Featherstone, « parce que Sam est dans chacune des scènes. Il faut donc un acteur capable de tenir le rythme, un acteur qui possède à la fois le tempérament et l’intelligence, et qui peut toucher le public et lui faire croire en son voyage. Il n’y a pas beaucoup d’acteurs qui peuvent faire ça. » Une des plus belles scènes de la saison 1 en témoigne, lorsqu’à la fin de l’épisode 5 Sam se croise à l’âge de quatre ans revenant d’un match avec son père… qui a abandonné le foyer familial à cette époque.
MANCHESTER’73
« Tu es en colère.
- Je ne suis pas seulement en colère, je suis comateux » (Annie et Sam)
« Sam est un vrai héros du XXIème siècle. Il est très passionné, dévoué et il croit à la police, au système. Il croit qu’il faut faire les choses dans les règles car il croit que les règles et le système ont évolué d’une façon qui tend à améliorer les choses » dit Claire Parker. Mais Sam Tyler, modèle de l’Homo Technologicus parfaitement intégré dans son temps et le système qui le régit, doit renoncer au moindre de ses repères (son téléphone cellulaire, son VUS Jeep, son ordinateur de bureau, sa couverture médicale…), ainsi qu’à l’ensemble de ses certitudes lorsqu’il prend contraint et forcé son nouveau poste à la Division A.
« J’avais quatre ans en 1973, Annie. » (Sam)
Le principal atout du concept de Life on Mars c’est l’ambiguïté du sort de Sam Tyler. Peut-être est-il plongé dans le coma en 2006 : il entend sa mère – qu’il va rencontrer dan un épisode – et des médecins lui parler (« Vous nous avez fait peur, Sam. On a cru que vous aviez perdu l’envie de vivre »). Ou bien est-il un flic de 1973 mentalement instable : il regarde le conférencier de l’Open University (inspiratrice des « Amphis de la Cinquième ») parler de son cas aux télespectateurs (« Je tiens à signaler que Sam est en état de basse réceptivité… ») et la petite fille en robe rouge de la mire F (interprétée par Rafaella Hutchinson), la plus célèbre des mires de la BBC, sort du poste de télévision avec son clown pour s’adresser à lui en des termes plus qu’énigmatiques (« Vous ne croyez pas que vous êtes aussi seul là-bas qu’ici ? »)
Mais peut-être bien que Sam Tyler vient de 2006 et qu’il a réellement été transporté 33 ans dans le passé, et dans ce cas, pour quelle raison ? Est-ce pour résoudre cette affaire de meurtres en série et sauver sa partenaire grâce à des indices découverts sur des cas analogues en 1973 ? Mais alors que signifie cette vision de poursuite dans la forêt ? « Etranger dans un pays étrange », le Manchester de 1973 – l’ensemble immobilier qui abrite son appartement en 2006 n’est encore qu’une usine textile (« J’habite ici. Enfin un jour, j’habiterai ici »), Sam doit trouver des réponses à toutes ces questions, tout en apprenant à s’adapter à son nouvel univers et aux problèmes de conscience qu’il suscite en lui.
THIS IS A MAN’S WORLD
« Vous êtes qui, vous ?
- Gene Hunt, ton commissaire principal. On est en 1973, c’est bientôt l’heure du dîner. T’as une autre question ? » (Sam et Gene)
Le désormais Detective Inspector Sam Tyler subit un choc plus violent encore que celui du véhicule qui l’a heurté, le choc des cultures policières. Car à ses méthodes très « Les Experts Manchester » (« Qu’est-ce que vous avez appris sur le contenu de son estomac ? ») s’oppose l’empirisme brut de décoffrage du policier instinctif des années 1970 : Gene « Gene Genie » Hunt. Philip Glenister, né à Londres, fils du réalisateur John Glenister et frère de l’acteur Robert Glenister – Ash dans Les Arnaqueurs VIP (dont une image subliminale apparaît dans le pilote de Life on Mars) – est le très mancunien Detective Chief Inspector Gene Hunt (accent inclus… dans la v.o. du moins).
« Analyse sanguine par schéma, écrit par D.H. Crombie.
- J’attendrai que le film sorte, merci.
- Le livre devrait vous plaire, il y a des images. »
(Sam Tyler et Gene Hunt)
Brutal, arrogant (« Quoi que ce soit arrive à cette caisse et je viens chez vous pour bousiller tous vos jouets, pigé ? » dit-il à des enfants), misogyne (« Il n’y aura pas de femme Premier ministre tant que j’aurai un trou du cul »), homophobe, buveur, Gene Hunt pourrait être le petit frère du Jack Regan de The Sweeney, avec lequel il partage un mépris total des procédures et une approche « virile » du travail de police. Malgré toutes ces « qualités » il a un grand sens de la justice forgé par son caractère, son expérience et une passion pour les westerns (« Je suis peut-être le shérif, mais je suis l’adjoint de la Loi »).
Gene et Sam sont contraints d’apprendre à se connaître (« J’ai besoin d’un verre. – C’est la chose la plus sensée que tu aies dite depuis que tu es arrivé ici ») et travailler ensemble les conduit à une ébauche de respect mutuel voire à une certaine complicité face à des adversaires communs tels que le DCI « Paco Rabanne » Litton du Regional Crime Squad (l’excellent Lee Ross).
« Ca fait les gros titres, Litton. Pour une fois que la brigade empêche un braquage sans descendre tout le monde. » (Hunt)
Gene Hunt est adulé par ses lieutenants, Ray Carling (Dean Andrews) et Chris Skelton (Marshall Lancaster), lesquels ont une attitude ambivalente à l’égard de Sam Tyler : Ray ne dissimule même pas son ressentiment à l’égard du nouveau venu (qui occupe le poste qui devait lui revenir), tandis que le jeune Chris, plus réceptif à la nouveauté des méthodes de Sam, n’hésite pas à s’en inspirer.
Annie Cartwright (la charmante Liz White), officier féminin en uniforme, est le seul membre de la division qui, d’emblée, fait preuve de bienveillance à l’égard de Sam. Tyler confie le secret de son étrange aventure à cette diplômée en psychologie accoutumée à travailler dans un environnement phallocrate. Elle croit que son discours est le fruit de complications causées par son accident mais, intriguée, se lie d’amitié avec lui. Ce ne sera pas de trop dans ce 1973 hostile (« Je serai pour toi une très bonne amie. Vu tes ennemis tu vas avoir besoin d’amis ») où, à l’extérieur du commissariat, seul Nelson (Tony Marshall), le très philosophe patron rasta du pub local dans lequel Hunt et ses hommes aiment se retrouver, sympathise avec lui (« Tu n’es pas paumé, l’ami. Tu es là où tu es et tu dois faire au mieux avec » ).
LA LOI DU MILIEU DE TERRAIN
« Je veux un avocat.
- Et moi je veux Fiona Richmond comme secrétaire. Mais on va devoir attendre. » (Billy Kemble aux bons soins de Gene Hunt)
Koba Films Video permet enfin d’apprécier ce chef-d’œuvre de la télévision britannique qu’est Life on Mars dans des conditions idéales après une diffusion française sur la chaîne 13ème Rue avec un doublage belge pour le moins embarrassant, même s’il faut reconnaître que Frank Dacquin, voix de John Simm, fait du bon travail (il a récupéré cet acteur pour la fin de la saison 3 de Docteur Who) et que Lionel Bourguet ne démérite pas sur Hunt, défi quasi-impossible à relever. Les sous-titres inédits du coffret DVD de cette saison 1 (raison supplémentaire de l’acheter) permettront aux non-anglophones de mieux savourer en version originale la « vie sur Mars » de Sam Tyler.
« J’ai beaucoup utilisé Get Carter comme une espèce d’influence sur le style de la série » explique le réalisateur Bharat Nalluri. Il va jusqu’au bout de la démarche en demandant à un de ses collaborateurs habituels, le directeur de la photographie Adam Suschitzky, de travailler avec lui sur l’ambiance de Life on Mars. Or, ce dernier n’est autre que le petit-fils de Wolfgang Suschitzky, directeur de la photo de Get Carter (La loi du Milieu) – film-référence du « Gangster Chic » anglais réalisé en 1971 par Mike Hodges. La bande originale de la série contribue largement à cette ambiance (outre Life on Mars de Bowie, Live and Let Die des Wings, Nina Simone, The Who,…) et le générique de Edmund Butt est très inspiré des compositions de John Barry des années 1970 ou de celles du grand Roy Budd.
« United. Bon, qui que ce soit il a un bon mobile. (Gene Hunt, supporter de Manchester City devant un cadavre du club adverse)
« J’essaie de ne pas trop faire dans le réalisme social » poursuit Nalluri mais une des nombreuses forces de la fiction télé britannique c’est qu’elle est le reflet volontaire ou subconscient (selon les séries) des réalités de la société du Royaume-Uni – à l’instar du cinéma de ce pays (http://thierryattard.blogspot.com/2008/05/visions-of-england.html) , comme avec l’épisode 5 déjà mentionné, qui traite du hooliganisme entre supporters des deux clubs de football rivaux de Manchester, City et United. Les références au football impriment jusqu’à l’intéressant et drôle Making Of de Life on Mars (Take a look at the Lawman, présent sur le 3ème dvd), lorsque Marshall Lancaster (Ray) dit de John Simm : « John Simm est un type bien mais malheureusement il est pour United » ou quand Philip Glenister compare son personnage à un entraîneur à la manière de Brian Clough (le « Manager » du grand Nottingham Forrest des années 1970) ou José Mourinho, l’entraîneur de Chelsea.
Listes des choses du monde réel : une Ford Cortina, des gaufres roses ou des Garibaldis, une boîte de Watneys Party Seven, un radio-téléphone Pye, une maquette de Thunderbird 2, un flacon de Haï Karate, une route de briques jaunes, le coffret dvd de la saison 1 de Life on Mars…
« Pourquoi es-tu encore ici, Sam ? » (La petite fille de la mire F)
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