Le major Bennett Marco (Denzel Washington), vétéran du premier conflit du Golfe cantonné à des tâches de relations publiques, fait une conférence sur la Médaille d’honneur du Congrès - la plus haute distinction militaire américaine - attribuée à Raymond Shaw (Liev Shreiber), aujourd’hui probable candidat à la vice-présidence pour le compte de son parti.
Douze ans plus tôt, au cours d’une embuscade dans le désert du Koweït, le sergent Shaw, taciturne héritier d’une famille de patriciens de la côte Est, sauva à lui seul la patrouille commandée par son supérieur, le major Marco. A l’issue de la conférence, Al Melvin (Jeffrey Wright), ancien membre de la patrouille, aborde Marco. Dans un état de détresse psychologique avançée, l’ex-caporal Melvin lui parle des rêves horribles qu’il fait chaque nuit, des rêves en relation avec l’embuscade.
Pour le major Bennett Marco, c’est le début de la prise de conscience que les cauchemars de son ancien frère d’armes sont aussi les siens et qu’ils pourraient devenir ceux du pays tout entier à l’aube de l’élection présidentielle toute proche...
UN LIVRE DANS LES TÊTES
« Bien que les paranoïaques fassent de grands leaders, ce sont les personnes rongées par le ressentiment qui sont leurs meilleurs instruments parce que ceux-là, affligés du cancer de la psyché, font les grands assassins. » (Richard Condon, Un crime dans la tête)
Tout commence en 1959 avec Un crime dans la tête, le roman best-seller de Richard Condon, un thriller politique qui terrifie alors ses lecteurs et alimente très vite les conversations sur le thème : « cela peut-il réellement arriver ? » Il ne faut pas longtemps avant qu’Hollywood ne prenne les droits de cette version moderne de l’assassinat du président Lincoln mettant dos-à-dos le communisme et le maccarthysme pour l’adapter au grand écran.
John Frankenheimer met son expérience et sa précision acquises à la télévision au service d’un scénario effrayant et tragique signé George Axelrod. Frank Sinatra livre une de ses meilleures performances d’acteur dans le rôle du major Marco, Laurence Harvey est magistral dans le rôle de Raymond Shaw, l’anti-héros pathétique de l’histoire et Angela Lansbury, à mille lieues de son futur personnage de la série Arabesque, personnifie ce qu’il faut bien appeler « la mère de toutes les peurs ».
Sortie en 1962, cette première adaptation du roman de Condon va trouver un écho tristement inattendu avec l’assassinat l’année suivante du président John Fitzgerald Kennedy, ce qui lui vaudra d’être retiré de la circulation pendant 25 ans. En 1991, Tina Sinatra, fille de Frank, et son père discutent de l’idée de produire un remake du film mais c’est seulement en 2004 que le producteur Scott Rudin, Tina Sinatra et le réalisateur-producteur Jonathan Demme (Le Silence des agneaux) s’associent pour plonger de nouveau les spectateurs dans les ténèbres de l’esprit de Raymond Shaw.
LE CANDIDAT MANDCHOU
Le candidat mandchou c’est Raymond Shaw, Raymond Prentiss Shaw. Héros de guerre, enfant chéri de l’Amérique et de sa mère, Eleanor Prentiss Shaw (Meryl Streep, imaginez la mère de Norman Bates en pire). Sénateur depuis le décès de son époux, la dame de fer nourrit de hauts desseins pour son politicien d’héritier, congressiste apprécié.
N’est-il pas charismatique, charmeur et si consensuel avec un programme ambigu teinté à la fois de New Deal post-moderne et de sécuritarisme républicain. Il ne lui manque plus que le visa de son parti pour être candidat à la vice-présidence, ce qu’Eleanor lui obtient après d’âpres négociations de dernières minutes. Oui, Raymond Prentiss Shaw est bien l’homme providentiel dont les Etats-Unis d’Amérique ont besoin.
Si seulement il n’avait pas ce sourire étrange lorsqu’on prononce distinctement son nom complet au téléphone et si seulement son médecin, le docteur Atticus Noyle (Simon McBurney) n’était pas un généticien sud-africain recherché pour crimes de guerre. Mais à l’instar des hommes qu’il avait sous ses ordres dans le Golfe Ben Marco en convient : « Raymond Shaw est le type le plus courageux, le type le plus généreux que j’ai connu jusque-là. » D’ailleurs tout le monde en convient à la virgule près.
LE CAUCHEMAR A DEJA COMMENCE
Plus qu’une simple copie carbone du film de Frankenheimer, la version 2004 de Un crime dans la tête devient sous la plume des scénaristes Daniel Pyne et Dean Georgaris et la vision de Jonathan Demme un thriller contemporain à clés. Le contexte de 1962 (la Guerre froide) est habilement remplaçé par les angoisses sécuritaires des Américains, mais si la trame du livre et du film original, d’une rigueur intemporelle, reste quasi-inchangée, le petit plus du film réside dans de savoureuses allusions à des dossiers politico-financiers d’actualité.
Ainsi le puissant fond d’investissement Manchurian Global (notons au passage l’habile justification du titre car point de méchants asiatiques comme dans la première version), sponsor des activités politiques d’Eleanor Shaw et de son fils, rappelle furieusement un groupe que nous appellerons ici Carliburtel. Des flashs de chaînes d’information permanentes dans le plus pur style Fox News sont là pour enfoncer le clou avec notamment un compte-rendu d’une situation de crise en Indonésie.
Avec un cadre pareil, il fallait offrir une distribution soignée : Jon Voight (le sénateur Jordan, adversaire d’Eleanor), Kimberly Elise (Rosie, l’unique alliée de Ben), Ted Levine et le Suisse Bruno Ganz, dont le personnage n’aurait pas dépareillé dans X-Files - entre autres, sont réunis autour de Denzel Washington, Meryl Streep et Liev Shreiber, de facto candidats (...) de choix à la course aux Oscars.
Liev Shreiber confirme avec ce film qu’il est un des acteurs dont il faudra suivre de près la carrière ces prochaines années. Si le Raymond Shaw du grand Laurence Harvey n’inspirait qu’une sympathie de dernière minute, celui de la version 2004 a de telles qualités humaines que la tristesse que nous inspire sa situation de pion manipulé, si ce n’est de victime, n’en est que plus grande.
Douze ans plus tôt, au cours d’une embuscade dans le désert du Koweït, le sergent Shaw, taciturne héritier d’une famille de patriciens de la côte Est, sauva à lui seul la patrouille commandée par son supérieur, le major Marco. A l’issue de la conférence, Al Melvin (Jeffrey Wright), ancien membre de la patrouille, aborde Marco. Dans un état de détresse psychologique avançée, l’ex-caporal Melvin lui parle des rêves horribles qu’il fait chaque nuit, des rêves en relation avec l’embuscade.
Pour le major Bennett Marco, c’est le début de la prise de conscience que les cauchemars de son ancien frère d’armes sont aussi les siens et qu’ils pourraient devenir ceux du pays tout entier à l’aube de l’élection présidentielle toute proche...
UN LIVRE DANS LES TÊTES
« Bien que les paranoïaques fassent de grands leaders, ce sont les personnes rongées par le ressentiment qui sont leurs meilleurs instruments parce que ceux-là, affligés du cancer de la psyché, font les grands assassins. » (Richard Condon, Un crime dans la tête)
Tout commence en 1959 avec Un crime dans la tête, le roman best-seller de Richard Condon, un thriller politique qui terrifie alors ses lecteurs et alimente très vite les conversations sur le thème : « cela peut-il réellement arriver ? » Il ne faut pas longtemps avant qu’Hollywood ne prenne les droits de cette version moderne de l’assassinat du président Lincoln mettant dos-à-dos le communisme et le maccarthysme pour l’adapter au grand écran.
John Frankenheimer met son expérience et sa précision acquises à la télévision au service d’un scénario effrayant et tragique signé George Axelrod. Frank Sinatra livre une de ses meilleures performances d’acteur dans le rôle du major Marco, Laurence Harvey est magistral dans le rôle de Raymond Shaw, l’anti-héros pathétique de l’histoire et Angela Lansbury, à mille lieues de son futur personnage de la série Arabesque, personnifie ce qu’il faut bien appeler « la mère de toutes les peurs ».
Sortie en 1962, cette première adaptation du roman de Condon va trouver un écho tristement inattendu avec l’assassinat l’année suivante du président John Fitzgerald Kennedy, ce qui lui vaudra d’être retiré de la circulation pendant 25 ans. En 1991, Tina Sinatra, fille de Frank, et son père discutent de l’idée de produire un remake du film mais c’est seulement en 2004 que le producteur Scott Rudin, Tina Sinatra et le réalisateur-producteur Jonathan Demme (Le Silence des agneaux) s’associent pour plonger de nouveau les spectateurs dans les ténèbres de l’esprit de Raymond Shaw.
LE CANDIDAT MANDCHOU
Le candidat mandchou c’est Raymond Shaw, Raymond Prentiss Shaw. Héros de guerre, enfant chéri de l’Amérique et de sa mère, Eleanor Prentiss Shaw (Meryl Streep, imaginez la mère de Norman Bates en pire). Sénateur depuis le décès de son époux, la dame de fer nourrit de hauts desseins pour son politicien d’héritier, congressiste apprécié.
N’est-il pas charismatique, charmeur et si consensuel avec un programme ambigu teinté à la fois de New Deal post-moderne et de sécuritarisme républicain. Il ne lui manque plus que le visa de son parti pour être candidat à la vice-présidence, ce qu’Eleanor lui obtient après d’âpres négociations de dernières minutes. Oui, Raymond Prentiss Shaw est bien l’homme providentiel dont les Etats-Unis d’Amérique ont besoin.
Si seulement il n’avait pas ce sourire étrange lorsqu’on prononce distinctement son nom complet au téléphone et si seulement son médecin, le docteur Atticus Noyle (Simon McBurney) n’était pas un généticien sud-africain recherché pour crimes de guerre. Mais à l’instar des hommes qu’il avait sous ses ordres dans le Golfe Ben Marco en convient : « Raymond Shaw est le type le plus courageux, le type le plus généreux que j’ai connu jusque-là. » D’ailleurs tout le monde en convient à la virgule près.
LE CAUCHEMAR A DEJA COMMENCE
Plus qu’une simple copie carbone du film de Frankenheimer, la version 2004 de Un crime dans la tête devient sous la plume des scénaristes Daniel Pyne et Dean Georgaris et la vision de Jonathan Demme un thriller contemporain à clés. Le contexte de 1962 (la Guerre froide) est habilement remplaçé par les angoisses sécuritaires des Américains, mais si la trame du livre et du film original, d’une rigueur intemporelle, reste quasi-inchangée, le petit plus du film réside dans de savoureuses allusions à des dossiers politico-financiers d’actualité.
Ainsi le puissant fond d’investissement Manchurian Global (notons au passage l’habile justification du titre car point de méchants asiatiques comme dans la première version), sponsor des activités politiques d’Eleanor Shaw et de son fils, rappelle furieusement un groupe que nous appellerons ici Carliburtel. Des flashs de chaînes d’information permanentes dans le plus pur style Fox News sont là pour enfoncer le clou avec notamment un compte-rendu d’une situation de crise en Indonésie.
Avec un cadre pareil, il fallait offrir une distribution soignée : Jon Voight (le sénateur Jordan, adversaire d’Eleanor), Kimberly Elise (Rosie, l’unique alliée de Ben), Ted Levine et le Suisse Bruno Ganz, dont le personnage n’aurait pas dépareillé dans X-Files - entre autres, sont réunis autour de Denzel Washington, Meryl Streep et Liev Shreiber, de facto candidats (...) de choix à la course aux Oscars.
Liev Shreiber confirme avec ce film qu’il est un des acteurs dont il faudra suivre de près la carrière ces prochaines années. Si le Raymond Shaw du grand Laurence Harvey n’inspirait qu’une sympathie de dernière minute, celui de la version 2004 a de telles qualités humaines que la tristesse que nous inspire sa situation de pion manipulé, si ce n’est de victime, n’en est que plus grande.
CAPRICORN 911
Au premier degré The Manchourian Candidate 2004 est un film à suspense haletant dont l’intrigue bénéficie en prime d’un retournement de situation destiné à ceux qui connaissent le film original et pourraient imaginer se trouver en terrain connu avec cette nouvelle exploration des rêves horrifiques du major Bennett Marco.
Plus profondément, Un crime dans la tête s’inscrit dans la lignée des thrillers contestataires des années 1970 comme Les hommes du président, A cause d’un assassinat ou Capricorn One mais ce n’est pas un pamphlet, plutôt un constat lucide et inquiet bien que non dépourvu d’espoir. Héritier d’Hitchcock et de Pakula, Jonathan Demme nous offre un film efficace et salutaire dont on aimerait qu’il en inspire d’autres de cette espèce car le cinéma américain n’est jamais aussi bon que lorsque l’Amérique s’interroge sur elle-même.
Le téléphone sonne. Raymond Shaw, Raymond Prentiss Shaw va répondre. Son cauchemar, celui d’Al Melvin et de Ben Marco va commencer. C’est aussi le nôtre.
Parce que Raymond Shaw est le type le plus courageux, le type le plus généreux que nous ayons connu jusque-là.
Plus profondément, Un crime dans la tête s’inscrit dans la lignée des thrillers contestataires des années 1970 comme Les hommes du président, A cause d’un assassinat ou Capricorn One mais ce n’est pas un pamphlet, plutôt un constat lucide et inquiet bien que non dépourvu d’espoir. Héritier d’Hitchcock et de Pakula, Jonathan Demme nous offre un film efficace et salutaire dont on aimerait qu’il en inspire d’autres de cette espèce car le cinéma américain n’est jamais aussi bon que lorsque l’Amérique s’interroge sur elle-même.
Le téléphone sonne. Raymond Shaw, Raymond Prentiss Shaw va répondre. Son cauchemar, celui d’Al Melvin et de Ben Marco va commencer. C’est aussi le nôtre.
Parce que Raymond Shaw est le type le plus courageux, le type le plus généreux que nous ayons connu jusque-là.
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