samedi 24 mai 2008

ROCKY BALBOA

A Nathalie ATTARD et Eric SALOU

Retiré depuis longtemps des rings, Rocky Balboa, un des plus grands champions de l'histoire de la boxe, partage son temps entre les visites sur la tombe de son épouse décédée d'un cancer, les pélérinages sur les lieux de son passé à Philadelphie avec son beau-frère et confident Paulie, la direction de son restaurant et ses tentatives pour se rapprocher de son fils.

Lorsqu'une chaîne câblée sportive montre un combat virtuel entre Rocky Balboa et l'actuel champion, le très controversé Mason « The Line » Dixon, remporté par le champion à la retraite, Rocky décide de reprendre la boxe au niveau local. Mais les promoteurs de Dixon ont autre chose à lui proposer.

« Une fois dans une vie, durant un moment de mortalité, on doit essayer de saisir l'immortalité ; sinon on a pas vécu. » (Sylvester Stallone)


Années 1980, après le jingle de la United Artists composé par Joe Harnell retentissaient dans les salles obscures les mesures du thème de James Bond tandis que Roger Moore tirait sur un adversaire invisible, ou bien la fanfare de Rocky composée par Bill Conti. Le vingtième siècle était le siècle des héros et United Artists nous offrait deux des plus grands. On devenait cinéphile pour moins que ça.

LE PRESTIGE

« Ce n'est pas fini tant qu'il n'y a pas la cloche. » (Rocky Balboa)

2006, James Bond n'est pas revenu depuis quatre ans, il aurait été porté disparu du côté du Montenegro. La United Artists d'antan n'est plus et ses deux grands héros du siècle précédent sont la propriété de Leo le lion et de la dame qui a le visage d'Ida Lupino. Après Casino Royale renouer avec l'autre grande figure mythique de la UA relevait du sacerdoce voire du masochisme. Et pourtant...

Lorsque le tournage d'un nouvel opus de la saga Rocky est annonçé en automne 2005 le consensus général au sein de la critique cinématographique américaine est que le jour de sa sortie sera un véritable jeu de massacre. Sylvester Stallone n'a plus son aura médiatique de star hollywoodienne depuis longtemps, ses derniers films sont pratiquement tous sortis directement en dvd, le premier Rocky date de 1976 et Rocky V (c'était l'époque où on collait encore des chiffres romains aux titres de films) de 1990, autant dire l'Antiquité pour les spectateurs de l'ère d'internet.

« But he's no bum, he works down the street
He bought the neighborhood deli
Back on his feet, now he's choppin' up meat »
(Weird Al Yankovic, Theme From Rocky XIII (Rye And The Kaiser), parodie de Eye of the Tiger)


Sylvester Stallone, grand acteur, grand réalisateur et auteur, star du cinéma d'action et créateur d'un des personnages les plus illustres de la culture populaire occidentale, fait le Fernando Lamas ou David Hedison de service dans des apparitions classieuses et amicales pour Las Vegas (la série avec James Caan), le La croisière s'amuse des années 2000. Quant aux deux autres icônes du blockbuster d'action à l'ancienne, Arnold Schwarzenegger gouverne l'état de Californie et Bruce Willis est Bruce Willis en attendant de redevenir John McClane relooké à la action concept.

Déjà déconsidéré et moqué du temps de ses triomphes, Stallone n'est plus que le souvenir du champion du box office qu'il fut. Rien qu'en France, l'homme est depuis longtemps synonyme de rire à peu de frais grâce au commandant Sylvestre des Guignols de l'info. Dans ces conditions certains se demandent bien pourquoi la MGM, rachetée par Sony/Columbia, et Revolution Studios, la compagnie de Joe Roth, tiennent tant que ça à offrir à « Sly » un dernier tour de ring en tant que réalisateur, scénariste, producteur et acteur de ce Rocky Balboa.

La réponse est simple : c'est précisément de ça dont il s'agit. Ceux qui connaissent bien l'œuvre de Sylvester Stallone le savent, le créateur ne fait qu'un avec sa création. Rocky Balboa n'est pas le seul à devoir une fois encore grimper les marches qui mènent au Musée des Beaux-Arts de Philadelphie.

PHILADELPHIA STORY

« Je me sentais obligé d'essayer et de finir la série comme elle aurait dû se terminer. J'ai été très négligent avec Rocky V[dans les années 1990]. Ca n'a laissé le moindre espoir à personne. Ca reflète bien où j'en étais à l'époque. » (Sylvester Stallone)

Sylvester Stallone veut donner à ce dernier épisode de la saga le cachet du premier film. Le tournage dure 38 jours à Las Vegas, Los Angeles et Philadelphie (et non a Vancouver, Sydney ou Prague, rien que cela mériterait une nomination aux Oscars ®) avec un budget de production estimé à 24 millions de dollars américains, ce qui comparé au tournoi de poker de Casino Royale à 150 millions de dollars US ferait passer Rocky Balboa pour un film indépendant.

« Tu sais on dit que si tu vis durant longtemps dans un endroit tu deviens cet endroit. » (Rocky Balboa)

Rocky Balboa n'est pas monté sur un ring depuis très longtemps. Il habite toujours à Philadelphie et possède un restaurant italien très fréquenté, le Adrian's, fondé en 1995 et baptisé ainsi du prénom de son épouse, décédée en 2002 d'un cancer. Sa gloire passée de champion demeurée intacte, il enchante ses clients et invités avec le récit de ses grands combats (notamment contre Apollo Creed) et occupe le reste de son temps avec des visites sur la tombe d'Adrian et des pélérinages nostalgiques sur les traces de son passé (l'animalerie où travaillait Adrian lorsqu'il lui faisait la cour, les vestiges de la patinoire...) en compagnie de son meilleur ami, beau-frère et confident, le grognon Paulie (Burt Young, touchant d'humanité et de drôlerie).

Son fils, Robert « Rocky, Jr » (Milo Ventimiglia) n'a pas véritablement trouvé une voie qui lui conviendrait. Employé dans une firme de courtage, il fuit son père et ne se rend jamais sur la tombe de sa mère au grand dam de son oncle. Il a les pieds bien ancrés dans son temps alors que Rocky Balboa est ancré dans les lieux qui ont marqué sa vie.

LA LÉGENDE S'ECRIT JUSQU'AU DERNIER ROUND

« La vie te mettra à genoux et tu y resteras si tu renonces. Toi, moi, personne ne frappe aussi dur que la vie. Il ne s'agit pas de comment tu frappes, mais de comment tu es frappé et comment tu vas de l'avant, ce que tu peut endurer pour continuer à avancer. C'est comme ça qu'on gagne ! » (Rocky)

Au détour de sa nostalgie, Rocky retrouve Marie (Geraldine Hughes), croisée trente ans plus tôt. Elle est barmaid et a un fils adolescent, « Steps » (James Francis Kelly III), avec qui il sympathise et choisit son nouveau chien, Punchy. Punchy est une métaphore de Rocky Balboa, un vieux chien qui a encore quelques tours en réserve, à moins que ce ne soit la vie qui lui joue un dernier tour...

Un combat virtuel (« en dessin animé » comme dit Paulie) entre l'actuel champion, le controversé Mason « The Line » Dixon (Antonio « Magic Man » Tarver, authentique boxeur professionnel) et un Rocky Balboa au temps de sa splendeur sportive se solde par la victoire de Rocky et incite ce dernier à reprendre la boxe à un niveau modeste.

« Et tu répètes tout le temps, « Muhammad, tu n'es pas l'homme que tu étais il y a dix ans. » Et bien j'ai demandé à ta femme, et elle m'a dit que tu n'es pas le même homme qu'il y a deux ans ! » (Muhammad Ali répondant à Howard Cossell, When we were kings)

Dixon est accusé par les puristes de dénaturer le Noble Art faute d'adversaire à la hauteur, dans une catégorie (« les lourds ») longtemps dominée par les charismatiques Muhammad Ali, Joe Frazier, George Foreman, Mike Tyson (qui apparaît dans Rocky Balboa), etc... Devant l'efficacité guerrière et expéditive de Mason les media spécialisés et le public regrettent l'âge d'or et ses promoteurs voient dans l'idée d'un combat « exhibition » entre leur client et l'ancienne gloire de la boxe l'opportunité de redorer son image.

« J'ai encore des trucs pas rangés dans ma cave. » (Rocky)

La série des Rocky n'a jamais trompé son public même si parfois le personnage et son créateur se sont égarés en parallèle avec les errements de leurs temps. Chacun des films qui la constitue est un chapitre d'une vie guidée par des qualités et des défauts, par des choix et des erreurs, des triomphes et des défaites et la volonté de trouver un sens à ce qui fait que l'on est encore vivant malgré les coups durs. Les Rocky sont des films sur la boxe, sur la boxe comme reflet de la vie dans son âpreté et sur la vie elle-même.

NOUS AVONS GAGNÉ CE SOIR

« Le seul respect qui compte est le respect de soi. » (Martin, Rocky Balboa)

Respect et honnêté animent Rocky Balboa. Stallone ne triche pas avec le spectateur. Sa réalisation est d'une sobriété formelle chaque fois que l'intimité, la nostalgie et les personnages l'exigent, filmant Philadelphie comme si la caméra, dirigée par John Avildsen en 1976, n'avait jamais cessé de tourner. Il endosse l'exagération stylistique des media contemporains pour mettre en scène le spectacle autour du sport (les séquences avec les chaînes sportives, la conférence de presse...) et ajoute un chapitre à l'histoire du sport au cinéma en nous offrant le plus beau combat (par ses enjeux humains) de toute la série.

Le scénario est d'une grande sincérité, à la fois accessible au spectateur (ou la spectatrice) qui découvrirait le personnage pour la première fois et respecteux des admirateurs de l'homme et du héros, avec ces retours émouvants sur les moments clés de la vie du champion, ses dilemmes personnels, sa générosité et ses valeurs. Les proches du héros sont toujours là, comme Duke (Tony Burton), fidèle d'entre les fidèles.

« When troubles call, and your back's to the wall
There a lot to be learned, that wall could fall »
(Frank Sinatra, High Hopes)


Spider Rico (Perdo Lovell, présent dans Rocky) est l'invité permanent de Rocky à son restaurant et décide de payer en retour cette gentillesse en allant faire la plonge dans les cuisines. « Petite Marie » a grandi et contribue à aider Rocky à aller de l'avant et bien sûr Paulie est toujours Paulie, faisant de la peinture durant les pauses aux abattoirs où il travaille toujours, culpabilisant d'avoir parfois involontairement fait souffrir sa sœur Adrian, mais se sentant revivre à la faveur du retour de Rocky Balboa sur le ring et négociant des contrats publicitaires comme au bon vieux temps.

Bill Conti, alter-ego musical de Rocky, compositeur de tous les films (sauf le quatrième) est toujours là. Pas de chanson à la Survivor mais des thèmes familiers tels que la fanfare d'ouverture - un des plus grands thèmes de l'Histoire du cinéma, le toujours émouvant Mickey, Gonna Fly Now ou le sublime Rocky's reward - avec parfois de discrets nouveaux arrangements.

Magnifique, émouvant, drôle, épique, intelligent, nostalgique, optimiste... Rocky Balboa est tout cela. Le poker a remplaçé le baccarat mais Rocky ne change pas, il se bonifie, il vieillit, évolue avec son créateur et avec nous. Le Musée des Beaux-Arts de Philadelphie est notre Everest à tous, comme le montre le très beau générique de fin avec ces personnes, hommes, femmes et enfants, qui grimpent les marches menant au batiment dans un clin d'œil au champion.

Parce que pourvu que l'on se sente vivant il y a du Rocky en chacun d'entre nous.

« Comme Rocky Balboa, elle allait travailler. Travailler encore et encore. » (Emmanuèle Bernheim, Stallone)

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