Stephen Tobolowsky est supposé être l'acteur dont tout le monde connaît le visage mais ignore le nom. Connaître son nom est pourtant plus qu'un devoir, c'est un privilège. Great Balls of fire, Un jour sans fin/Le jour de la marmotte, Memento... plus de 100 titres dans sa filmographie. Une longue liste de participations dans des productions pour la télévision. Et bien sûr, le théâtre.
Stephen Tobolowsky est en fait un des plus brillants et des plus intéressants acteurs américains. Devant la caméra de Robert Brinkmann, il nous invite chez lui à l'écouter nous narrer des histoires sur sa vie et sa carrière dans le documentaire cinématographique Stephen Tobolowsky's Birthday Party.
Pourriez-vous, s'il vous plaît, nous dire quelques mots sur votre vie avant vos années en université et nous parler de votre famille.
Stephen Tobolowsky: Je suis né à Oak Cliff - à 35 kilomètres de Dallas, Texas. Ca ressemblait un peu à la Provence mais sans les montagnes. Nous avions des bois, des fleuves... et des rongeurs. Nous avons aux Etats-Unis quatre espèces de serpents vénimeux et les quatre vivaient dans nos bois ! Avec les scorpions (comme en Provence), les tarentules, les sangsues et les centipèdes. Billy Hart et moi avions formé le « Club des Animaux Dangereux ». Notre profession de foi était de capturer toutes les créatures mortelles qui vivaient dans nos bois. On a fait du très bon boulot.
Mon père était pédiatre. Un jour, quand j'avais douze ans, il est rentré à la maison très ému et a dit : « Maintenant je sais pourquoi je suis devenu médecin. J'ai sauvé la vie d'un bébé aujourd'hui. Personne n'arrivait à comprendre ce qu'il avait. J'ai vu que c'était une pneumonie. Je lui ai donné le bon traitement et il va vivre ».
J'ai dit à mon père il y a quelques années combien ce jour était émouvant et combien j'ai vu ce que c'était que de réussir et d'avoir un but dans la vie. Il m'a répondu : « Je n'ai pas la moindre idée de ce dont tu parles ».
Votre tante, Hermine Dalkowitz Tobolowsky, fut une personnalité très importante dans l'histoire de l'Etat du Texas.
Stephen Tobolowsky: Ma tante Hermine était une vraie, une véritable héroïne pour moi. C'était une femme de courage, d'intelligence et de compassion. Elle a co-écrit l'Amendement pour les Droits égaux aux Etats-Unis. Elle était sénateur de l'Etat du Texas, où elle a rédigé et fait passer l'Amendement pour les Droits égaux de cet état américain. On lui a tiré dessus, on l'a humiliée, insultée - mais elle a tenu bon et a changé notre pays. Et elle avait des poiriers dans son arrière-cour et, les dimanches, elle me donnait un sac en papier et je le remplissais à rabord.
Quand avez-vous eu l'idée de devenir acteur ?
Stephen Tobolowsky: J'ai toujours voulu être acteur. Quand j'étais jeune les autres enfants jouaient aux cowboys et aux indiens... je voulais jouer à faire des films. Je me battais contre moi-même. Je me tirais dessus, je m'étranglais, je tombais de falaises... Plus sérieusement, j'ai toujours joué dans des pièces.
A huit ans, j'ai obtenu le prix de deuxième meilleur acteur dans la catégorie poussins. Je jouais Hansel dans Hansel et Gretel. Je devais embrasser Marsha Housewright pendant qu'elle me nourissait avec une fraise avant que nous soyons sauvés par l'honnête forrestier. Ironiquement, je devais obligatoirement me coucher à 20 heures donc je ne pouvais pas rester pour la remise des prix et je n'ai pas pu faire de discours. Je me suis toujours demandé qui avait eu la première place.
En fait, je pensais que si je devenais acteur je vivrais toutes sortes d'expériences. Je combattrais des dinosaures, je ferais la guerre (ça semblait alors quelque chose de drôle), je volerais dans l'espace. J'ignorais que lorsque vous êtes VRAIMENT un acteur vous passez la plupart du temps dans une caravane et souvent vous n'y faites rien.
Vous avez étudié l'art dramatique à la Southern Methodist University de Dallas, Texas. Une de vos condisciples était une merveilleuse actrice, Patricia Richardson.
Stephen Tobolowsky: Cette classe à la SMU était extraordinaire. Vous avez mentionné Pat Richardson, c'est en effet une merveilleuse actrice. Elle était ma sœur à Broadway dans The Wake of Jamie Foster. Elle était mon épouse dans le film In Country, avec Bruce Willis. Je l'ai dirigée dans la pièce The Miss Firecracker Contest à New York.
Elle est incroyable ! Elle était enceinte alors que nous étions à New York et elle craignait d'avoir trop chaud. Je suis venu au théâtre un après-midi et elle cachait des thermomètres partout autour de la scène afin qu'elle puisse dire à tout moment quelle chaleur elle devait supporter. Le soir elle jouait... allant d'un bout à l'autre de la scène en vérifiant en même temps les thermomètres cachés.
Il ne faut pas oublier pour autant les autres de cette époque à la SMU. Kathy Bates... J'ai eu le plaisir de faire trois films avec elles depuis la SMU. Powers Boothe, que j'ai retrouvé sur la série Deadwood. Les designers John Arnone (lauréat d'un Tony Award), Francis Aronson, Robert Blackman, Joe Tompkins. La lauréate du prix Pullitzer Beth Henley, l'auteur James McLure... avec lequel je partageais une chambre à l'époque.
Jack Clay était un de vos professeurs à la SMU. Pourquoi vous a t'-il marqué et pour quelles raisons ?
Stephen Tobolowsky: J'ai été renvoyé du Programme professionnel d'Art dramatique lors de ma troisième année d'université par une enseignante qui me détestait cordialement. A ce jour je n'ai aucune idée de la raison pour laquelle elle me détestait autant. Je n'étais ni meilleur ni pire que les autres dans cette classe mais on m'a conseillé d'abandonner la comédie et de choisir une autre carrière. Je n'étais plus le bienvenu.
J'ai alors songé à abandonner. Puis je me suis énervé. J'ai pensé : « Hé, je paye leurs salaires ! » Ils ne sont pas les gardiens de mes rêves (où quelque chose comme ça). Donc j'ai rempilé. Mais personne ne m'enseignait. Personne ne m'adressait la parole. Ni scène, ni test. Personne ne répondait à mes questions. C'était l'ignorance totale molle et académique à grande échelle. J'ai continué à travailler... en toute inutilité. Et le désespoir s'est installé.
Puis un jour, alors que j'assistais au cours de Jack Clay, sans l'avoir préparé, il s'est tourné vers moi pour m'interroger. QUOI ? POUR M'INTERROGER ? Je me suis levé et j'ai peiné durant tout l'exercice. Il m'a fixé et avec dédain m'a dit : « Tobo, tu peux te rassoir. Ne viens jamais plus à ce cours sans l'avoir préparé ».
Je n'ai plus jamais commis cette erreur. Et à partir de là il m'a interrogé encore et encore. Il m'a donné deux fois plus de travail qu'aucun autre étudiant. Il m'a fait plus de critiques CONSTRUCTIVES que personne n'en avait jamais fait auparavant. Il m'a poussé comme personne d'autre dans ma vie. Il m'a aidé à m'intéresser de nouveau à ce que je faisais. C'était un grand professeur et je lui serais toujours reconnaissant.
Qu'avez-vous retenu de cette période et dont vous vous servez encore aujourd'hui ?
Stephen Tobolowsky: De la SMU j'ai appris à ne jamais renoncer. Si on vous dit non, si on vous tourne le dos, si on vous dit que vous n'êtes rien... continuez quand même.
Juste après la SMU quels furent vos premiers engagements ?
Stephen Tobolowsky: Rien ne bougeait avec la SMU alors j'ai commençé à jouer en tant que professionnel à Dallas... ce qui a rendu vraiment furieux les membres de la faculté qui avaient le sentiment que je ne savais pas jouer. J'étais une sorte d' « idole de matinée » en ville, j'étais jeune et j'avais des cheveux. J'ai joué Jesus dans Godspell, Algernon dans L'Importance d'être constant... Les filles me demandaient des autographes dans les lavomatiques. La vie était très belle.
J'ai alors entendu parler d'un film professionnel devant être tourné à Dallas et qui était produit par Martin Jurow, producteur de Diamants sur canapé - il avait travaillé aussi avec Marlon Brando !!! Mais le projet n'était pas de ce calibre-là, il s'agissait de Keep my Grave Open. Je jouais Robert, le garçon d'écurie et j'étais séduit puis assassiné sous la douche par une épée de samuraï. Un des bons côtés était que le directeur de la photo était John Valtenburger, le dernier étudiant de Sergeï Eisenstein encore en vie.
En tant qu'acteur vous avez eu le plaisir d'apparaître dans plus de 100 films ainsi que dans un nombre impressionnant de productions télé, de la comédie au drame, donnant de manière égale la quintessence de votre talent aux personnages les plus plausibles comme aux figures comiques les plus hilarantes. Qu'essayez-vous d'apporter à chacun de ces rôles, même les plus caricaturaux ?
Stephen Tobolowsky: Les gens pensent qu'ils sont compliqués mais ils sont seulement inconsistants. Ils se considèrent comme une phtoto instantanée : J'aime çi ou je n'aime pas ça. Je suis bon à ceci et pas si bon à cela.
Si j'arrive à trouver ces éléments sur un personnage peu importe que ce soit pour un drame comme Mississippi Burning ou une comédie déjantée comme Un jour sans fin. La tâche est la même : rester simple et authentique. Si vos réponses sont inconsistantes... c'est la complexité. Si je peux décrire mon personnage en un mot j'ai fait mon travail correctement.
A propos de Un jour sans fin (1993), en France vous êtes particulièrement connu pour votre participation à ce monument de poésie, d'invention et d'humour. Pourriez-vous nous parler de la façon dont vous avez approché la subtile construction de ces scènes, pendant que vous les prépariez avec le réalisateur Harold Ramis ?
Stephen Tobolowsky: Un jour sans fin était spécial en bien des façons. C'était vraiment un film merveilleux, même si ça n'a pas démarré ainsi. Le script original relevait plus de la formule d'un projet typique avec Bill Murray. Bill était dans une situation où il ne subissait aucune conséquence de ses actes et le premier script le décrivait couchant avec de nombreuses partenaires, commettant des crimes, étant disjoncté et fou sans que ça n'ait le moindre sens.
Après que nous ayons commençé le tournage la moitié du script a été abandonnée. Harold Ramis est revenu sur tout ça et s'est demandé ce qui arriverait vraiment si une personne avait tout le temps du monde. Que ferait-elle ? Comment réagirait-elle ? Le résultat : Bill se suicidant, ça a été déplaçé de la fin du film au milieu. Des scènes ont été ajoutées : Bill sauvant le maire, l'enfant tombant de l'arbre, les cours de piano, etc... Le film est devenu un poème boudhiste sur ce qui fait un Homme. C'était charmant.
Petite parenthèse intéressante : Harold Ramis n'avait pas décidé ce que ce « jour » serait. Donc non seulement nous avons tourné les scènes encore et encore, mais nous les avons tournées dans toutes les conditions météo... la pluie, la neige, le soleil... Finalement, Harold a décidé que le « jour » serait nuageux et que le temps reviendrait en arrière lorsque la neige commence à tomber. Nous avons tourné tout le film près de quatre fois.
Vous êtes un des éléments clé de Memento (2000). Comment avez-vous travaillé avec Christopher Nolan sur votre personnage ?
Stephen Tobolowsky: J'ai lu le scénario et je l'ai aimé immédiatement. Mon agent disait qu'il s'agissait d'un petit rôle et je lui ai répondu : non, c'est un rôle crucial... la mort de la femme de Sammy est un des moments du film qui vous prend aux tripes. J'ai rencontré Chris et je lui ai dit qu'il pourrait auditionner plein d'autres acteurs pour le rôle mais que je serais le seul à avoir été réellement amnésique ! J'ai dû subir une opération chirurgicale il y a quelques années et on m'a donné une anesthésie expérimentale qui ne vous fait pas dormir mais oublier. Pendant trois jours après cette opération j'ai été complètement amnésique et c'était terrifiant.
Sammy est un des rôles les plus difficiles que j'ai eu à jouer. Nous avons beaucoup improvisé dans ces scènes. J'ai réalisé que ce qui mène un acteur dans une scène est son but, son propos. Donc que ce passe t'-il si vous êtes amnésique et que vous ne pouvez donc pas vous souvenir de ce but ? La scène meurt. Je devais décider le moment de la laisser mourir.
Une moitié de mon cerveau devait se souvenir de ce que j'avais fait pour que la scène soit couverte de différents points de vue et l'autre moitié de mon cerveau devait oublier tout ce que j'avais fait.
Comment avez-vous travaillé avec Guy Pearce ?
Stephen Tobolowsky: Guy Pearce a été merveilleux sur le plateau. Plein d'humour, tout comme Chris Nolan. Le projet a été un grand plaisir.
Vous avez dirigé un film, Two idiots in Hollywood (1988), considéré comme culte dans certains cercles pour son sens de la satire. C'était basé sur votre propre pièce, écrite en 1984. Comment a surgi l'opportunité d'adapter cette pièce au cinéma ?
Stephen Tobolowsky: Je travaillais avec un groupe très large d'acteurs et d'auteurs baptisé Canyon Pictures. Le groupe incluait des auteurs comme Fred Bailey et Beth Henley, ainsi que des acteurs comme Kurtwood Smith et Mike Gainey. Nous avions même le danseur Bonny Oda Homsey de la compagnie de danse Martha Graham. J'ai écris Two Idiots pour ce groupe incroyable.
Ce fut un événement impliquant 25 acteurs. Il y avait des scènes dans le théâtre, dans le couloir, hors du théâtre, et sur Melrose Boulevard. On avait vendu toutes les places dès le premier jour et on a eu de très bonnes critiques, sauf de la part de Variety qui a déclaré que l'humour du spectacle était « en deçà de la dignité d'un enfant de neuf ans ». J'ai pris cette citation et je l'ai plaçée sur une bannière devant le théâtre. Avec ça notre succès était scellé.
Un producteur est venu voir le spectacle et m'a demandé si je voulais en faire un film. J'ai accepté. Il nous a donné 2 millions de dollars pour le tourner. Robert Brinckmann était notre directeur de la photo. Mais les deux compagnies de productions qui nous finançaient (Film Dallas and New World Pictures) ont fait faillite avant la sortie du film, ce qui nous a « plombés ».
Est-ce qu'on peut considérer que la pièce était, par certains égards, en avance sur son temps et a pavé la voie pour des duos comiques comme ceux de Bill & Ted ou Wayne's World ?
Stephen Tobolowsky: L'histoire de Two Idiots parlait de deux crétins complets qui ne faisaient rien d'autre que s'asseoir sur un canapé pour regarder la télévision et manger. Leur unique ambition est d'avoir des conquêtes sexuelles. C'était des années avant Beavis et Butthead.
Les similitudes sont frappantes. Tout comme les similitudes avec Wayne's World et Dumb & Dumber. Two Idiots a certainement précédé tous ces films et pour ça fut une réussite, mais c'est peut-être aussi comme la « Théorie des cent singes ». Peut-être que nous avons tous répondu à une évolution plus large dans le sens que le monde voulait plus de comédies stupides.
Vous avez travaillé avec des réalisateurs comme John Carpenter (Les aventures d'un homme invisible) ou, parmi de nombreux autres, Ridley Scott (Thelma et Louise). Qu'avez-vous appris de ces expériences et de ces réalisateurs en tant qu'acteur et metteur en scène ?
Stephen Tobolowsky: On apprend toujours. Lorsque vous travaillez avec de grands réalisateurs vous apprenez beaucoup. Pour généraliser : les grands réalisateurs apprécient les apports des autres. Les talents moindres sont sur la défensive et tentent de forcer les acteurs à retenir certaines options. Ces plateaux-là sont toujours tendus. Alan Parker et Ridley Scott sont de grands généraux. Ils ont une vision, de la clareté et une GRANDE PREPARATION. Ils ont une logistique formidable : de formidables monteurs, de formidables chefs d'équipe, de formidables cameramen. Les grands réalisateurs n'ont pas peur des surprises, ils s'en servent. Sur le plateau on sent que nous somme tous membres de la même équipe.
Une parenthèse sous forme de lettre d'amour à Alan Parker... J'étais supposé être sur Mississippi Burning pour deux semaines. A cause de la météo j'y suis resté dix semaines. Alan est venu me voir et m'a dit qu'il avait cru comprendre que la réalisation m'intéressait... et il m'a demandé si je voulais le suivre partout pour regarder comment il travaillait. Pendant deux mois il m'a fait assister à des réunions de prises de vue, de conception des décors, il m'a invité au montage et même aux réunions sur la promo du film.
Il m'interrogeait, il me demandait de réfléchir à l'emplacement des caméras pour telle ou telle scène... puis il m'expliquait patiemment ou j'avais pu faire erreur et ce que j'aurai dû faire. A l'époque je n'avais pas idée du cadeau que je recevais. C'est une des plus grande expérience d'apprentissage que j'ai jamais eu... et la plus généreuse.
Le premier film du directeur de la photo Robert Brinkmann, Stephen Tobolowsky's Birthday Party (2005), est un documentaire sur l'art de raconter des histoires qui vous utilise comme medium, vous filmant chez vous racontant à vos amis et à nous vos souvenirs et vos mésaventures.
Comment est née cette grande idée simple et comment Robert Brinkmann, son associé Andrew Putschoegl et vous-même avez travaillé pour la matérialiser sur grand écran ?
Stephen Tobolowsky: Robert et moi sommes devenus amis sur Two Idiots. Lorsque nous donnions une fête chez moi, après un verre ou deux je racontais des histoires de choses qui m'étaient arrivées. Il y a une quinzaine d'années Robert m'a dit qu'il voulait faire un film sur moi assis dans ma salle à manger racontant ces histoires. C'était un peu avant la naissance de mon premier fils et j'ai pensé : « Quel formidable présent pour mon fils. Voir dans la maison de son enfance son père jeune racontant des histoires sur sa vie ». Une idée formidable que nous avons promptement oublié les quinze années suivantes.
Dans l'intervalle, la National Public Radio m'a demandé de raconter certaines de mes histoires en direct sur leur antenne J'ai donné mon accord et vu comment les histoires fonctionnaient devant un public, pas juste dans une cuisine devant une poignée de personnes ayant bu. Et j'ai commençé à croire qu'il y avait peut être une valeur cinématographique à en faire un film. En octobre 2003, Robert m'a appelé par hasard et m'a dit qu'on devrait faire ce film avec mes histoires. Il ne faisait rien de précis à ce moment-là... je ne faisais rien de précis non plus... et ça semblait donc être le bon moment.
Il faut aussi mentionner que ces dernières années ont vu apparaître le numérique. Robert a toujours voulu faire le film en 35 millimètres. Il voulait que ça ait la chaleur et l'aspect d'un vrai film, pas d'une vidéo amateur. Avant le coût aurait été prohibitif. Avec le numérique nous avons été capables de produire ça nous-mêmes et Andy est le magicien technologique qui a été capable de monter une bonne partie du film avec un ordinateur Apple.
Parlons de votre travail au théâtre... The Wake of Jamey Foster (1982) est une pièce écrite par Beth Henley et dirigée par Ulu Grosbard, un merveilleux metteur en scène. Vous partagiez la scène avec de grands acteurs : Anthony Heald, Holly Hunter et Patricia Richardson.
Stephen Tobolowsky: On me demande souvent de discuter les différences du travail à l'écran et au théâtre. J'ai une position simple. Quand vous êtes au théâtre vous êtes confronté à Moliere, Ibsen, Tchekhov, Shakespeare, Tennessee Williams... en clair, les grands de la littérature occidentale. Quand vous faites un film vous accompagnez différents points d'intrigue dans une comédie ou vous vous demandez si Spiderman trouvera l'amour. Un film a un mérite visuel mais ce n'est que ça. Un acteur est toujours anobli lorsqu'il travaille avec de grands auteurs, de grands mots et de grandes idées.
Jamey Foster fut un tel succès lorsqu'on l'a testé à Hartford, Connecticut. On avait vendu toutes les places, on avait de superbes critiques dont Time Magazine qui disait que c'était une des pièces les plus fortes de la décennie. On anticipait tous une longue carrière à Broadway. J'ai loué une chambre d'hôtel pour huit mois.
Après notre avant-première, Patty LuPone (grande actrice et chanteuse très connue à Broadway, NDLR) est venue me voir dans la rue pour m'embrasser et me souhaiter la bienvenue à Broadway. Nous avions un hit... jusqu'à la première. Les critiques étaient horribles... on a fermé au bout de 28 jours (le minimum). Nous étions sous le choc. Qu'était-il arrivé ? Je n'en ai aucune idée. Le nouveau décor ? La relation du public avec la scène, la nouvelle distribution ? La compression du script ? Des réécritures inutiles ? Tout ce que je peux dire c'est qu'en fait la magie avait disparu. Ce n'était pas seulement les critiques.
En 2002 vous avez été nominé pour le Tony award du Meilleur acteur, pour Morning's at seven, une pièce avec une distribution fantastique (Julie Hagerty et Christopher Lloyd, parmi d'autres).
Stephen Tobolowsky: Par rapport à Jamey Foster, Morning's at Seven était l'expérience inverse. Toute la ville a parlé de nous pendant huit mois. De grandes critiques, des critiques formidables. C'était magique ! C'est nous, les acteurs, qui avons décidé quand on voulait mettre un terme au spectacle... nous avions tous d'autres projets et nous voulions rentrer chez nous. Nous n'oublierons jamais l'expérience que cette belle pièce a apporté au public contemporain.
Nous avons été nominé pour plus de Tony Awards qu'aucune pièce dans toute l'histoire du théâtre. Nous les avons tous perdus mais on souriait. On a songé à faire publier une page de pub dans le New York Times... Morning's at Seven: A perdu le plus d'Awards qu'aucune autre pièce dans toute l'histoire du théâtre !!!
Julie Hagerty est extraordinaire...
Stephen Tobolowsky: Quand vous êtes sur scène avec Julie Hagerty, ou Holly Hunter - c'est comme jouer au tennis avec Andre Agassi. Chaque soir une pièce charie son lot de vérité, une vérité née du public, de vous, du destin. En tant qu'acteur vous devez veiller à produire du neuf chaque soir. Je me souviens d'un soir, que pendant The Miss Firecracker Contest, un homme dans le public est mort au tout début du spectacle.
La pièce s'est arrêtée, le rideau est tombé. Je suis allé en coulisses (j'étais le metteur en scène) et j'ai demandé à Holly Hunter si elle voulait continuer ou pas. Holly n'a même pas battu des cils. Elle a dit : « On continue ». Même si la première scène parlait précisément de la mort et de mourir. Elle n'a peur de rien.
Jouer avec Julie Hagerty consiste à amener toute votre vérité et toute votre énergie. Ne vous laissez surtout pas abuser par son personnage de stewardess fofolle dans Y-a-t'-il un pilote dans l'avion ? Julie peut tout jouer, de Roméo à Juliette. Avant d'aller à New York pour démarrer Morning's at Seven je travaillais sur le script dans un parc près de chez moi. Un acteur que je connais m'a vu et m'a demandé ce que je lisais. Je lui ai dit que j'allais à Broadway pour faire Morning's. Il a souri et m'a demandé qui était ma Myrtle (ma petite amie dans la pièce). J'ai répondu que c'était Julie Hagerty.
Il a souri de nouveau et m'a dit : « Je viens juste de travailler avec elle... Fais attention, elle va te balayer de la scène ». Je n'aime pas que quelqu'un m'utilise pour balayer la scène avec moi, alors j'étais prévenu. Pendant que nous répétions Julie semblait peu sûre d'elle, précautionneuse, voire mal à l'aise. Quand les producteurs du Lincoln Center sont venus nous voir jouer nous étions tous nerveux. J'ai entamé ma première scène avec julie, elle a mis le turbo et m'a cloué sur place. Avec elle vous devez tout donner parce qu'elle ne vous le sert pas sur un plateau.
Votre quasi-ubiquïté (pour notre plus grand plaisir) sur le grand et le petit écran vous laisse t'-elle assez de temps pour jouer ou diriger au théâtre ?
Stephen Tobolowsky: J'essaie de jouer ou de diriger une pièce par an afin de garder la main au théâtre. J'aime diriger aussi bien des classiques que de nouvelles pièces. les deux sont stimulantes.
Vous êtes un homme aux nombreux talents. En 1986 vous avez co-écrit avec David Byrne (leader des Talking Heads) le script de True Stories, le film de David Byrne. Comment a démarré cette collaboration ?
Stephen Tobolowsky: Un jour, alors que Beth Henley et moi quittions un cours, une voiture s'est arrêtée devant nous sur Santa Monica Boulevard. C'était Jonathan Demme, le réalisateur - un ami. Il nous a demandé ce que nous faisions et comme d'habitude nous n'avions rien de prévu. Il nous a emmené à l'Académie pour assister à une projection de son nouveau film, Stop Making Sense,. Les seules personnes dans toute la salle étaient David Byrne et les Talking Heads ainsi que Beth et moi.
On a vu le film (qui était formidable) et on est allé dîner. David a essayé de me tirer les vers du nez sur des choses du film que je n'aimerais pas. Il y en avait très peu. Ensuite il a demandé à Beth si elle voudrait l'aider à travailler sur le scénario d'une idée de film à lui : True Stories.
Beth a dit à David qu'elle était meilleure aux dialogues qu'à la conception des intrigues ou de la structure et elle lui a suggéré de discuter avec moi. Je suis allé chez lui le lendemain. La maison de David était complètement dépourvue de ce que la plupart des gens appellent du mobilier. Il y avait quelques chaises pliantes, et dans un coin une guitare et un amplificateur. Ainsi qu'une centaine de dessins au crayon fixés au mur.
David m'a demandé si je pensais être capable de faire de ces dessins un film. On a étudié les images en silence pendant près de deux heures. C'est un fabuleux artiste et les dessins étaient évocateurs. J'ai dit à David que je rentrais chez moi pour réfléchir à quelque chose et que s'il aimait le résultatil pourrait m'engager.
Le soir j'ai écrit un traitement de trente pages pour le film. Il a aimé et m'a engagé. Il a aussi engagé Beth pour travailler sur les dialogues. Beth et moi avons écrit le scénario du film en 19 jours !!! On l'a donné à David et on a plus eu de nouvelles pendant environ un an. Un jour je l'ai vu faisant du jogging de l'autre côté de la rue et il m'a crié que le film arrivait et qu'il avait beaucoup changé le script. David l'avait fait sien mais la base était restée celle que nous avions conçue. Je suis très fier du fait que David ait écrit la chanson Radiohead d'après les histoires que je lui ai raconté sur mes expériences psychiques à l'université.
Est-ce vrai que vous avez joué dans un groupe avec le célèbre musicien Stevie Ray Vaughan?
Stephen Tobolowsky: J'étais au lyçée et je jouais occasionnellement avec un groupe, parfois folk, parfois rock, appelé A Cast of Thousands. On nous avait sélectionné pour enregistrer deux chansons sur un album regroupement des groupes rock des lycées de Dallas. Cinq groupes... deux chansons chacun. Bobby Foreman avait persuadé Stevie Ray Vaughan, alors âgé de 14 ans, de jouer avec nous. Il était magnifique. C'était son premier enregistrement. Il était si doué, lumineux.
Quand j'étais à Memphis pour tourner Great Balls of Fire et je faisais la tournée des grands ducs avec le grand Jimmy Vaughn des Fabulous Thunderbirds. A l'aube on est entré dans un petit restaurant et Stevie était là. Je suis allé le voir, tout excité : « Hé Stevie!!! Stephen Tobolowsky!!! Cast of Thousands!!! » Stevie m'a regardé avec un air de chien battu et m'a répondu très sèchement : « Mec, non... faut pas venir ici » . On s'est assis, on a pris notre petit déjeuner et c'est là que Jimmy et Stevie ont conçu le double album qui fut finalement le dernier de Stevie.
A la télévision, vous êtes récurrent dans deux séries radicalement différentes : Deadwood and Les Experts: Miami...
Stephen Tobolowsky: On ne peut comparer Deadwood à quoi que ce soit de ce qui a été fait à la télévision. Des séries comme Les Experts nécessitent 8 jours pour tourner un épisode. Le final de Deadwood cette saison a été tourné en un mois. Deadwood a souvent deux réalisateurs et deux équipes travaillant simultanément sur les différents épisodes. Les scripts ne sont pas utilisables à temps car David Milch écrit et ré-écrit pendant que nous tournons.
Sur Les Experts: Miami, David Caruso aime que tout soit vivant et frais. Donc la plupart des scènes sont faites en une prise. Cela laisse plus de temps pour des angles de caméra plus créatifs. Certains matins je me montre à 7h00 et je termine deux scènes, ainsi que ma journée de travail, à 10.
Sur Deadwood j'arrive à 5h45 du matin , je répète, je vais dans ma caravane jusqu'à 15h00... puis je vais sur le plateau pour découvrir que David a réécrit la scène et qu'il faut réapprendre mes dialogues. C'est dur mais le résultat est fabuleux.
Avec votre participation a une très impressionnante liste de séries télévisées comment considérez-vous l'évolution de ce type de programmes sur les 20 dernières années ?
Stephen Tobolowsky: C'est très curieux. Les séries qui fonctionnent le mieux sont toujours originales : All in the Family, Seinfeld, New York District/New York Police Judiciaire. On pourrait croire qu'un medium qui est motivé par le profit devrait faire grand cas de l'originalité. Mais ce n'est pas le cas, la télévision est toujours à 95% dérivative. La plupart des gens s'empressent de suivre les traces d'une série à succès. Mais vous pouvez parier que personne ne suivra les traces de Deadwood.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Stephen Tobolowsky: En ce moment, je travaille ma façon de monter à cheval. Je fais de l'équitation. Mon épouse et moi-même allons faire une expédition à cheval en Islande et nous nous entraînons dans ce but. En fait nous aimons ça plus que tout. Sur le plan professionnel, je fais la promotion de Stephen Tobolowsky's Birthday Party dans divers festivals et je fais le tour des media. L'été est une période calme pour la télévision ici. Tous les exécutifs sont en vacances en France.
J'ai prévu de faire un ou deux films indépendants fin juin et en juillet. Je dirigerais Iron en automne. C'est une pièce très forte écrite par Rona Munro. Deadwood a exprimé un intérêt dans mon retour mais nous allons devoir attendre et voir si je survis aux réécritures.
A ce stade de votre carrière riche et créative le film de Robert Brinkmann est-il le plus beau cadeau d'anniversaire que vous pouviez souhaiter ?
Stephen Tobolowsky: Stephen Tobolowsky's Birthday Party a été un grand moment pour moi. J'ai pu voyager à travers le pays et rencontrer des tas de gens qui ont aimé le film.
En tant qu'acteur et metteur en scène quels sont vos modèles et influences ?
Stephen Tobolowsky: En tant qu'acteur j'admire le travail de Frederick March, Henry Fonda, Spencer Tracy, Katherine Hepburn, Cary Grant, Bob Hope, Jack Benny... bon sang, il y a tant de grands de la belle époque. J'admire aussi Robert Duvall, Robert Deniro, Jack Nicholson, Meryl Streep, Susan Sarandon...
En tant que metteur en scène ceux dont j'ai appris le plus sont Stein Winge, du Théâtre National de Norvège, Alan Parker, Ridley Scott, le grand et regretté Davey Marlin Jones, Jack Clay, et Lawrence O'Dwyer. Tous m'ont appris à penser au-delà des normes.
Pourriez-vous s'il vous plaît faire un cadeau à nos lecteurs et nous raconter une anecdote sur votre carrière que vous n'avez jamais raconté auparavant, même dans Stephen Tobolowsky's Birthday Party.
Stephen Tobolowsky: Quand je suis arrivé à Los Angeles en 1976, ma première pensée fut : « Maintenant que je suis là comment est-ce que je décroche un job ? Une audition ? » mais je n'avais pas de relations. Ca peut être désespérant. J'ai écrit une lettre au producteur de télé Aaron Spelling, qui était voisin de mes grands parents à Dallas quand il avait dix ans - un lien plus que pathétique. Pas de réponse bien sûr.
J'ai entendu qu'un agent venait de Dallas. Son nom était Kelley Green et elle était un agent à mi-temps qui vendait des cirets à la commission pour un grand magasin. Los Angeles a un climat désertique, alors des cirets à la commission me laissaient songeur. Mais elle s'en sortait ! Elle m'a eu une audition avec un réalisateur de Dallas, Larry Buchanan, en visite à L.A.
Si vous ne connaissez pas Larry Buchanan, il avait dirigé Tommy Kirk, une ancienne vedette Disney, dans Mars Needs Women et le grand Lyle Talbot dans Zontar, Thing from Venus. Pour ce qui concerne son nouveau projet disons que nous pouvons nous estimer heureux qu'il n'y ait que neuf planètes dans le système solaire. J'ai eu une audition générale. Pour ceux qui ne savent pas ce que ça signifie je n'auditionnais pas pour un rôle spécifique mais je rencontrais le réalisateur pour faire « bonne impression ».
J'ai attendu sur un vieux sofa pendant trois quarts d'heure lorsque monsieur Buchanan est apparu et m'a fait signe de rentrer dans son bureau. Il a fermé la porte et s'est assis derrière un large bureau. Il m'a lançé un regard dur, a tiré sur sa cigarette et a exhalé une bouffée. Il a commençé à parler : « donc tu veux être dans un film ? »
« Oui monsieur ». « Un film... Tout le monde veut être dans des films ». « Et bien, c'est pour ça que tout le monde vient à L.A. monsieur. Ils font des films par ici ».
Buchanan a regardé dans le vide en rêvassant. « Laisse moi te dire quelque chose. J'ai pratiqué presque tous les métiers de cette industrie. Mon Dieu, j'ai joué, fait l'éclairagiste, j'ai même tiré des câbles. J'ai tout fait ».
« Oui monsieur ».
« Il n'y a qu'une chose que je ne sais pas faire... »
« Oui monsieur »
« Je ne sais pas réparer l'air conditionné. Tu sais réparer l'air conditionné ? »
« Ah, non, monsieur. Je ne sais pas réparer l'air conditionné. J'appelle un réparateur. »
Buchanan a regardé en silence dans le vide. Il a tiré une autre bouffée de sa cigarette et a conclut: « Ouais... Tu peux partir ».
C'était ma première audition pour un film à Hollywood.
In English: http://tattard2.blogspot.com/2008/05/stephen-tobolowsky.html
(Entretien réalisé en 2005)
Stephen Tobolowsky est en fait un des plus brillants et des plus intéressants acteurs américains. Devant la caméra de Robert Brinkmann, il nous invite chez lui à l'écouter nous narrer des histoires sur sa vie et sa carrière dans le documentaire cinématographique Stephen Tobolowsky's Birthday Party.
Pourriez-vous, s'il vous plaît, nous dire quelques mots sur votre vie avant vos années en université et nous parler de votre famille.
Stephen Tobolowsky: Je suis né à Oak Cliff - à 35 kilomètres de Dallas, Texas. Ca ressemblait un peu à la Provence mais sans les montagnes. Nous avions des bois, des fleuves... et des rongeurs. Nous avons aux Etats-Unis quatre espèces de serpents vénimeux et les quatre vivaient dans nos bois ! Avec les scorpions (comme en Provence), les tarentules, les sangsues et les centipèdes. Billy Hart et moi avions formé le « Club des Animaux Dangereux ». Notre profession de foi était de capturer toutes les créatures mortelles qui vivaient dans nos bois. On a fait du très bon boulot.
Mon père était pédiatre. Un jour, quand j'avais douze ans, il est rentré à la maison très ému et a dit : « Maintenant je sais pourquoi je suis devenu médecin. J'ai sauvé la vie d'un bébé aujourd'hui. Personne n'arrivait à comprendre ce qu'il avait. J'ai vu que c'était une pneumonie. Je lui ai donné le bon traitement et il va vivre ».
J'ai dit à mon père il y a quelques années combien ce jour était émouvant et combien j'ai vu ce que c'était que de réussir et d'avoir un but dans la vie. Il m'a répondu : « Je n'ai pas la moindre idée de ce dont tu parles ».
Votre tante, Hermine Dalkowitz Tobolowsky, fut une personnalité très importante dans l'histoire de l'Etat du Texas.
Stephen Tobolowsky: Ma tante Hermine était une vraie, une véritable héroïne pour moi. C'était une femme de courage, d'intelligence et de compassion. Elle a co-écrit l'Amendement pour les Droits égaux aux Etats-Unis. Elle était sénateur de l'Etat du Texas, où elle a rédigé et fait passer l'Amendement pour les Droits égaux de cet état américain. On lui a tiré dessus, on l'a humiliée, insultée - mais elle a tenu bon et a changé notre pays. Et elle avait des poiriers dans son arrière-cour et, les dimanches, elle me donnait un sac en papier et je le remplissais à rabord.
Quand avez-vous eu l'idée de devenir acteur ?
Stephen Tobolowsky: J'ai toujours voulu être acteur. Quand j'étais jeune les autres enfants jouaient aux cowboys et aux indiens... je voulais jouer à faire des films. Je me battais contre moi-même. Je me tirais dessus, je m'étranglais, je tombais de falaises... Plus sérieusement, j'ai toujours joué dans des pièces.
A huit ans, j'ai obtenu le prix de deuxième meilleur acteur dans la catégorie poussins. Je jouais Hansel dans Hansel et Gretel. Je devais embrasser Marsha Housewright pendant qu'elle me nourissait avec une fraise avant que nous soyons sauvés par l'honnête forrestier. Ironiquement, je devais obligatoirement me coucher à 20 heures donc je ne pouvais pas rester pour la remise des prix et je n'ai pas pu faire de discours. Je me suis toujours demandé qui avait eu la première place.
En fait, je pensais que si je devenais acteur je vivrais toutes sortes d'expériences. Je combattrais des dinosaures, je ferais la guerre (ça semblait alors quelque chose de drôle), je volerais dans l'espace. J'ignorais que lorsque vous êtes VRAIMENT un acteur vous passez la plupart du temps dans une caravane et souvent vous n'y faites rien.
Vous avez étudié l'art dramatique à la Southern Methodist University de Dallas, Texas. Une de vos condisciples était une merveilleuse actrice, Patricia Richardson.
Stephen Tobolowsky: Cette classe à la SMU était extraordinaire. Vous avez mentionné Pat Richardson, c'est en effet une merveilleuse actrice. Elle était ma sœur à Broadway dans The Wake of Jamie Foster. Elle était mon épouse dans le film In Country, avec Bruce Willis. Je l'ai dirigée dans la pièce The Miss Firecracker Contest à New York.
Elle est incroyable ! Elle était enceinte alors que nous étions à New York et elle craignait d'avoir trop chaud. Je suis venu au théâtre un après-midi et elle cachait des thermomètres partout autour de la scène afin qu'elle puisse dire à tout moment quelle chaleur elle devait supporter. Le soir elle jouait... allant d'un bout à l'autre de la scène en vérifiant en même temps les thermomètres cachés.
Il ne faut pas oublier pour autant les autres de cette époque à la SMU. Kathy Bates... J'ai eu le plaisir de faire trois films avec elles depuis la SMU. Powers Boothe, que j'ai retrouvé sur la série Deadwood. Les designers John Arnone (lauréat d'un Tony Award), Francis Aronson, Robert Blackman, Joe Tompkins. La lauréate du prix Pullitzer Beth Henley, l'auteur James McLure... avec lequel je partageais une chambre à l'époque.
Jack Clay était un de vos professeurs à la SMU. Pourquoi vous a t'-il marqué et pour quelles raisons ?
Stephen Tobolowsky: J'ai été renvoyé du Programme professionnel d'Art dramatique lors de ma troisième année d'université par une enseignante qui me détestait cordialement. A ce jour je n'ai aucune idée de la raison pour laquelle elle me détestait autant. Je n'étais ni meilleur ni pire que les autres dans cette classe mais on m'a conseillé d'abandonner la comédie et de choisir une autre carrière. Je n'étais plus le bienvenu.
J'ai alors songé à abandonner. Puis je me suis énervé. J'ai pensé : « Hé, je paye leurs salaires ! » Ils ne sont pas les gardiens de mes rêves (où quelque chose comme ça). Donc j'ai rempilé. Mais personne ne m'enseignait. Personne ne m'adressait la parole. Ni scène, ni test. Personne ne répondait à mes questions. C'était l'ignorance totale molle et académique à grande échelle. J'ai continué à travailler... en toute inutilité. Et le désespoir s'est installé.
Puis un jour, alors que j'assistais au cours de Jack Clay, sans l'avoir préparé, il s'est tourné vers moi pour m'interroger. QUOI ? POUR M'INTERROGER ? Je me suis levé et j'ai peiné durant tout l'exercice. Il m'a fixé et avec dédain m'a dit : « Tobo, tu peux te rassoir. Ne viens jamais plus à ce cours sans l'avoir préparé ».
Je n'ai plus jamais commis cette erreur. Et à partir de là il m'a interrogé encore et encore. Il m'a donné deux fois plus de travail qu'aucun autre étudiant. Il m'a fait plus de critiques CONSTRUCTIVES que personne n'en avait jamais fait auparavant. Il m'a poussé comme personne d'autre dans ma vie. Il m'a aidé à m'intéresser de nouveau à ce que je faisais. C'était un grand professeur et je lui serais toujours reconnaissant.
Qu'avez-vous retenu de cette période et dont vous vous servez encore aujourd'hui ?
Stephen Tobolowsky: De la SMU j'ai appris à ne jamais renoncer. Si on vous dit non, si on vous tourne le dos, si on vous dit que vous n'êtes rien... continuez quand même.
Juste après la SMU quels furent vos premiers engagements ?
Stephen Tobolowsky: Rien ne bougeait avec la SMU alors j'ai commençé à jouer en tant que professionnel à Dallas... ce qui a rendu vraiment furieux les membres de la faculté qui avaient le sentiment que je ne savais pas jouer. J'étais une sorte d' « idole de matinée » en ville, j'étais jeune et j'avais des cheveux. J'ai joué Jesus dans Godspell, Algernon dans L'Importance d'être constant... Les filles me demandaient des autographes dans les lavomatiques. La vie était très belle.
J'ai alors entendu parler d'un film professionnel devant être tourné à Dallas et qui était produit par Martin Jurow, producteur de Diamants sur canapé - il avait travaillé aussi avec Marlon Brando !!! Mais le projet n'était pas de ce calibre-là, il s'agissait de Keep my Grave Open. Je jouais Robert, le garçon d'écurie et j'étais séduit puis assassiné sous la douche par une épée de samuraï. Un des bons côtés était que le directeur de la photo était John Valtenburger, le dernier étudiant de Sergeï Eisenstein encore en vie.
En tant qu'acteur vous avez eu le plaisir d'apparaître dans plus de 100 films ainsi que dans un nombre impressionnant de productions télé, de la comédie au drame, donnant de manière égale la quintessence de votre talent aux personnages les plus plausibles comme aux figures comiques les plus hilarantes. Qu'essayez-vous d'apporter à chacun de ces rôles, même les plus caricaturaux ?
Stephen Tobolowsky: Les gens pensent qu'ils sont compliqués mais ils sont seulement inconsistants. Ils se considèrent comme une phtoto instantanée : J'aime çi ou je n'aime pas ça. Je suis bon à ceci et pas si bon à cela.
Si j'arrive à trouver ces éléments sur un personnage peu importe que ce soit pour un drame comme Mississippi Burning ou une comédie déjantée comme Un jour sans fin. La tâche est la même : rester simple et authentique. Si vos réponses sont inconsistantes... c'est la complexité. Si je peux décrire mon personnage en un mot j'ai fait mon travail correctement.
A propos de Un jour sans fin (1993), en France vous êtes particulièrement connu pour votre participation à ce monument de poésie, d'invention et d'humour. Pourriez-vous nous parler de la façon dont vous avez approché la subtile construction de ces scènes, pendant que vous les prépariez avec le réalisateur Harold Ramis ?
Stephen Tobolowsky: Un jour sans fin était spécial en bien des façons. C'était vraiment un film merveilleux, même si ça n'a pas démarré ainsi. Le script original relevait plus de la formule d'un projet typique avec Bill Murray. Bill était dans une situation où il ne subissait aucune conséquence de ses actes et le premier script le décrivait couchant avec de nombreuses partenaires, commettant des crimes, étant disjoncté et fou sans que ça n'ait le moindre sens.
Après que nous ayons commençé le tournage la moitié du script a été abandonnée. Harold Ramis est revenu sur tout ça et s'est demandé ce qui arriverait vraiment si une personne avait tout le temps du monde. Que ferait-elle ? Comment réagirait-elle ? Le résultat : Bill se suicidant, ça a été déplaçé de la fin du film au milieu. Des scènes ont été ajoutées : Bill sauvant le maire, l'enfant tombant de l'arbre, les cours de piano, etc... Le film est devenu un poème boudhiste sur ce qui fait un Homme. C'était charmant.
Petite parenthèse intéressante : Harold Ramis n'avait pas décidé ce que ce « jour » serait. Donc non seulement nous avons tourné les scènes encore et encore, mais nous les avons tournées dans toutes les conditions météo... la pluie, la neige, le soleil... Finalement, Harold a décidé que le « jour » serait nuageux et que le temps reviendrait en arrière lorsque la neige commence à tomber. Nous avons tourné tout le film près de quatre fois.
Vous êtes un des éléments clé de Memento (2000). Comment avez-vous travaillé avec Christopher Nolan sur votre personnage ?
Stephen Tobolowsky: J'ai lu le scénario et je l'ai aimé immédiatement. Mon agent disait qu'il s'agissait d'un petit rôle et je lui ai répondu : non, c'est un rôle crucial... la mort de la femme de Sammy est un des moments du film qui vous prend aux tripes. J'ai rencontré Chris et je lui ai dit qu'il pourrait auditionner plein d'autres acteurs pour le rôle mais que je serais le seul à avoir été réellement amnésique ! J'ai dû subir une opération chirurgicale il y a quelques années et on m'a donné une anesthésie expérimentale qui ne vous fait pas dormir mais oublier. Pendant trois jours après cette opération j'ai été complètement amnésique et c'était terrifiant.
Sammy est un des rôles les plus difficiles que j'ai eu à jouer. Nous avons beaucoup improvisé dans ces scènes. J'ai réalisé que ce qui mène un acteur dans une scène est son but, son propos. Donc que ce passe t'-il si vous êtes amnésique et que vous ne pouvez donc pas vous souvenir de ce but ? La scène meurt. Je devais décider le moment de la laisser mourir.
Une moitié de mon cerveau devait se souvenir de ce que j'avais fait pour que la scène soit couverte de différents points de vue et l'autre moitié de mon cerveau devait oublier tout ce que j'avais fait.
Comment avez-vous travaillé avec Guy Pearce ?
Stephen Tobolowsky: Guy Pearce a été merveilleux sur le plateau. Plein d'humour, tout comme Chris Nolan. Le projet a été un grand plaisir.
Vous avez dirigé un film, Two idiots in Hollywood (1988), considéré comme culte dans certains cercles pour son sens de la satire. C'était basé sur votre propre pièce, écrite en 1984. Comment a surgi l'opportunité d'adapter cette pièce au cinéma ?
Stephen Tobolowsky: Je travaillais avec un groupe très large d'acteurs et d'auteurs baptisé Canyon Pictures. Le groupe incluait des auteurs comme Fred Bailey et Beth Henley, ainsi que des acteurs comme Kurtwood Smith et Mike Gainey. Nous avions même le danseur Bonny Oda Homsey de la compagnie de danse Martha Graham. J'ai écris Two Idiots pour ce groupe incroyable.
Ce fut un événement impliquant 25 acteurs. Il y avait des scènes dans le théâtre, dans le couloir, hors du théâtre, et sur Melrose Boulevard. On avait vendu toutes les places dès le premier jour et on a eu de très bonnes critiques, sauf de la part de Variety qui a déclaré que l'humour du spectacle était « en deçà de la dignité d'un enfant de neuf ans ». J'ai pris cette citation et je l'ai plaçée sur une bannière devant le théâtre. Avec ça notre succès était scellé.
Un producteur est venu voir le spectacle et m'a demandé si je voulais en faire un film. J'ai accepté. Il nous a donné 2 millions de dollars pour le tourner. Robert Brinckmann était notre directeur de la photo. Mais les deux compagnies de productions qui nous finançaient (Film Dallas and New World Pictures) ont fait faillite avant la sortie du film, ce qui nous a « plombés ».
Est-ce qu'on peut considérer que la pièce était, par certains égards, en avance sur son temps et a pavé la voie pour des duos comiques comme ceux de Bill & Ted ou Wayne's World ?
Stephen Tobolowsky: L'histoire de Two Idiots parlait de deux crétins complets qui ne faisaient rien d'autre que s'asseoir sur un canapé pour regarder la télévision et manger. Leur unique ambition est d'avoir des conquêtes sexuelles. C'était des années avant Beavis et Butthead.
Les similitudes sont frappantes. Tout comme les similitudes avec Wayne's World et Dumb & Dumber. Two Idiots a certainement précédé tous ces films et pour ça fut une réussite, mais c'est peut-être aussi comme la « Théorie des cent singes ». Peut-être que nous avons tous répondu à une évolution plus large dans le sens que le monde voulait plus de comédies stupides.
Vous avez travaillé avec des réalisateurs comme John Carpenter (Les aventures d'un homme invisible) ou, parmi de nombreux autres, Ridley Scott (Thelma et Louise). Qu'avez-vous appris de ces expériences et de ces réalisateurs en tant qu'acteur et metteur en scène ?
Stephen Tobolowsky: On apprend toujours. Lorsque vous travaillez avec de grands réalisateurs vous apprenez beaucoup. Pour généraliser : les grands réalisateurs apprécient les apports des autres. Les talents moindres sont sur la défensive et tentent de forcer les acteurs à retenir certaines options. Ces plateaux-là sont toujours tendus. Alan Parker et Ridley Scott sont de grands généraux. Ils ont une vision, de la clareté et une GRANDE PREPARATION. Ils ont une logistique formidable : de formidables monteurs, de formidables chefs d'équipe, de formidables cameramen. Les grands réalisateurs n'ont pas peur des surprises, ils s'en servent. Sur le plateau on sent que nous somme tous membres de la même équipe.
Une parenthèse sous forme de lettre d'amour à Alan Parker... J'étais supposé être sur Mississippi Burning pour deux semaines. A cause de la météo j'y suis resté dix semaines. Alan est venu me voir et m'a dit qu'il avait cru comprendre que la réalisation m'intéressait... et il m'a demandé si je voulais le suivre partout pour regarder comment il travaillait. Pendant deux mois il m'a fait assister à des réunions de prises de vue, de conception des décors, il m'a invité au montage et même aux réunions sur la promo du film.
Il m'interrogeait, il me demandait de réfléchir à l'emplacement des caméras pour telle ou telle scène... puis il m'expliquait patiemment ou j'avais pu faire erreur et ce que j'aurai dû faire. A l'époque je n'avais pas idée du cadeau que je recevais. C'est une des plus grande expérience d'apprentissage que j'ai jamais eu... et la plus généreuse.
Le premier film du directeur de la photo Robert Brinkmann, Stephen Tobolowsky's Birthday Party (2005), est un documentaire sur l'art de raconter des histoires qui vous utilise comme medium, vous filmant chez vous racontant à vos amis et à nous vos souvenirs et vos mésaventures.
Comment est née cette grande idée simple et comment Robert Brinkmann, son associé Andrew Putschoegl et vous-même avez travaillé pour la matérialiser sur grand écran ?
Stephen Tobolowsky: Robert et moi sommes devenus amis sur Two Idiots. Lorsque nous donnions une fête chez moi, après un verre ou deux je racontais des histoires de choses qui m'étaient arrivées. Il y a une quinzaine d'années Robert m'a dit qu'il voulait faire un film sur moi assis dans ma salle à manger racontant ces histoires. C'était un peu avant la naissance de mon premier fils et j'ai pensé : « Quel formidable présent pour mon fils. Voir dans la maison de son enfance son père jeune racontant des histoires sur sa vie ». Une idée formidable que nous avons promptement oublié les quinze années suivantes.
Dans l'intervalle, la National Public Radio m'a demandé de raconter certaines de mes histoires en direct sur leur antenne J'ai donné mon accord et vu comment les histoires fonctionnaient devant un public, pas juste dans une cuisine devant une poignée de personnes ayant bu. Et j'ai commençé à croire qu'il y avait peut être une valeur cinématographique à en faire un film. En octobre 2003, Robert m'a appelé par hasard et m'a dit qu'on devrait faire ce film avec mes histoires. Il ne faisait rien de précis à ce moment-là... je ne faisais rien de précis non plus... et ça semblait donc être le bon moment.
Il faut aussi mentionner que ces dernières années ont vu apparaître le numérique. Robert a toujours voulu faire le film en 35 millimètres. Il voulait que ça ait la chaleur et l'aspect d'un vrai film, pas d'une vidéo amateur. Avant le coût aurait été prohibitif. Avec le numérique nous avons été capables de produire ça nous-mêmes et Andy est le magicien technologique qui a été capable de monter une bonne partie du film avec un ordinateur Apple.
Parlons de votre travail au théâtre... The Wake of Jamey Foster (1982) est une pièce écrite par Beth Henley et dirigée par Ulu Grosbard, un merveilleux metteur en scène. Vous partagiez la scène avec de grands acteurs : Anthony Heald, Holly Hunter et Patricia Richardson.
Stephen Tobolowsky: On me demande souvent de discuter les différences du travail à l'écran et au théâtre. J'ai une position simple. Quand vous êtes au théâtre vous êtes confronté à Moliere, Ibsen, Tchekhov, Shakespeare, Tennessee Williams... en clair, les grands de la littérature occidentale. Quand vous faites un film vous accompagnez différents points d'intrigue dans une comédie ou vous vous demandez si Spiderman trouvera l'amour. Un film a un mérite visuel mais ce n'est que ça. Un acteur est toujours anobli lorsqu'il travaille avec de grands auteurs, de grands mots et de grandes idées.
Jamey Foster fut un tel succès lorsqu'on l'a testé à Hartford, Connecticut. On avait vendu toutes les places, on avait de superbes critiques dont Time Magazine qui disait que c'était une des pièces les plus fortes de la décennie. On anticipait tous une longue carrière à Broadway. J'ai loué une chambre d'hôtel pour huit mois.
Après notre avant-première, Patty LuPone (grande actrice et chanteuse très connue à Broadway, NDLR) est venue me voir dans la rue pour m'embrasser et me souhaiter la bienvenue à Broadway. Nous avions un hit... jusqu'à la première. Les critiques étaient horribles... on a fermé au bout de 28 jours (le minimum). Nous étions sous le choc. Qu'était-il arrivé ? Je n'en ai aucune idée. Le nouveau décor ? La relation du public avec la scène, la nouvelle distribution ? La compression du script ? Des réécritures inutiles ? Tout ce que je peux dire c'est qu'en fait la magie avait disparu. Ce n'était pas seulement les critiques.
En 2002 vous avez été nominé pour le Tony award du Meilleur acteur, pour Morning's at seven, une pièce avec une distribution fantastique (Julie Hagerty et Christopher Lloyd, parmi d'autres).
Stephen Tobolowsky: Par rapport à Jamey Foster, Morning's at Seven était l'expérience inverse. Toute la ville a parlé de nous pendant huit mois. De grandes critiques, des critiques formidables. C'était magique ! C'est nous, les acteurs, qui avons décidé quand on voulait mettre un terme au spectacle... nous avions tous d'autres projets et nous voulions rentrer chez nous. Nous n'oublierons jamais l'expérience que cette belle pièce a apporté au public contemporain.
Nous avons été nominé pour plus de Tony Awards qu'aucune pièce dans toute l'histoire du théâtre. Nous les avons tous perdus mais on souriait. On a songé à faire publier une page de pub dans le New York Times... Morning's at Seven: A perdu le plus d'Awards qu'aucune autre pièce dans toute l'histoire du théâtre !!!
Julie Hagerty est extraordinaire...
Stephen Tobolowsky: Quand vous êtes sur scène avec Julie Hagerty, ou Holly Hunter - c'est comme jouer au tennis avec Andre Agassi. Chaque soir une pièce charie son lot de vérité, une vérité née du public, de vous, du destin. En tant qu'acteur vous devez veiller à produire du neuf chaque soir. Je me souviens d'un soir, que pendant The Miss Firecracker Contest, un homme dans le public est mort au tout début du spectacle.
La pièce s'est arrêtée, le rideau est tombé. Je suis allé en coulisses (j'étais le metteur en scène) et j'ai demandé à Holly Hunter si elle voulait continuer ou pas. Holly n'a même pas battu des cils. Elle a dit : « On continue ». Même si la première scène parlait précisément de la mort et de mourir. Elle n'a peur de rien.
Jouer avec Julie Hagerty consiste à amener toute votre vérité et toute votre énergie. Ne vous laissez surtout pas abuser par son personnage de stewardess fofolle dans Y-a-t'-il un pilote dans l'avion ? Julie peut tout jouer, de Roméo à Juliette. Avant d'aller à New York pour démarrer Morning's at Seven je travaillais sur le script dans un parc près de chez moi. Un acteur que je connais m'a vu et m'a demandé ce que je lisais. Je lui ai dit que j'allais à Broadway pour faire Morning's. Il a souri et m'a demandé qui était ma Myrtle (ma petite amie dans la pièce). J'ai répondu que c'était Julie Hagerty.
Il a souri de nouveau et m'a dit : « Je viens juste de travailler avec elle... Fais attention, elle va te balayer de la scène ». Je n'aime pas que quelqu'un m'utilise pour balayer la scène avec moi, alors j'étais prévenu. Pendant que nous répétions Julie semblait peu sûre d'elle, précautionneuse, voire mal à l'aise. Quand les producteurs du Lincoln Center sont venus nous voir jouer nous étions tous nerveux. J'ai entamé ma première scène avec julie, elle a mis le turbo et m'a cloué sur place. Avec elle vous devez tout donner parce qu'elle ne vous le sert pas sur un plateau.
Votre quasi-ubiquïté (pour notre plus grand plaisir) sur le grand et le petit écran vous laisse t'-elle assez de temps pour jouer ou diriger au théâtre ?
Stephen Tobolowsky: J'essaie de jouer ou de diriger une pièce par an afin de garder la main au théâtre. J'aime diriger aussi bien des classiques que de nouvelles pièces. les deux sont stimulantes.
Vous êtes un homme aux nombreux talents. En 1986 vous avez co-écrit avec David Byrne (leader des Talking Heads) le script de True Stories, le film de David Byrne. Comment a démarré cette collaboration ?
Stephen Tobolowsky: Un jour, alors que Beth Henley et moi quittions un cours, une voiture s'est arrêtée devant nous sur Santa Monica Boulevard. C'était Jonathan Demme, le réalisateur - un ami. Il nous a demandé ce que nous faisions et comme d'habitude nous n'avions rien de prévu. Il nous a emmené à l'Académie pour assister à une projection de son nouveau film, Stop Making Sense,. Les seules personnes dans toute la salle étaient David Byrne et les Talking Heads ainsi que Beth et moi.
On a vu le film (qui était formidable) et on est allé dîner. David a essayé de me tirer les vers du nez sur des choses du film que je n'aimerais pas. Il y en avait très peu. Ensuite il a demandé à Beth si elle voudrait l'aider à travailler sur le scénario d'une idée de film à lui : True Stories.
Beth a dit à David qu'elle était meilleure aux dialogues qu'à la conception des intrigues ou de la structure et elle lui a suggéré de discuter avec moi. Je suis allé chez lui le lendemain. La maison de David était complètement dépourvue de ce que la plupart des gens appellent du mobilier. Il y avait quelques chaises pliantes, et dans un coin une guitare et un amplificateur. Ainsi qu'une centaine de dessins au crayon fixés au mur.
David m'a demandé si je pensais être capable de faire de ces dessins un film. On a étudié les images en silence pendant près de deux heures. C'est un fabuleux artiste et les dessins étaient évocateurs. J'ai dit à David que je rentrais chez moi pour réfléchir à quelque chose et que s'il aimait le résultatil pourrait m'engager.
Le soir j'ai écrit un traitement de trente pages pour le film. Il a aimé et m'a engagé. Il a aussi engagé Beth pour travailler sur les dialogues. Beth et moi avons écrit le scénario du film en 19 jours !!! On l'a donné à David et on a plus eu de nouvelles pendant environ un an. Un jour je l'ai vu faisant du jogging de l'autre côté de la rue et il m'a crié que le film arrivait et qu'il avait beaucoup changé le script. David l'avait fait sien mais la base était restée celle que nous avions conçue. Je suis très fier du fait que David ait écrit la chanson Radiohead d'après les histoires que je lui ai raconté sur mes expériences psychiques à l'université.
Est-ce vrai que vous avez joué dans un groupe avec le célèbre musicien Stevie Ray Vaughan?
Stephen Tobolowsky: J'étais au lyçée et je jouais occasionnellement avec un groupe, parfois folk, parfois rock, appelé A Cast of Thousands. On nous avait sélectionné pour enregistrer deux chansons sur un album regroupement des groupes rock des lycées de Dallas. Cinq groupes... deux chansons chacun. Bobby Foreman avait persuadé Stevie Ray Vaughan, alors âgé de 14 ans, de jouer avec nous. Il était magnifique. C'était son premier enregistrement. Il était si doué, lumineux.
Quand j'étais à Memphis pour tourner Great Balls of Fire et je faisais la tournée des grands ducs avec le grand Jimmy Vaughn des Fabulous Thunderbirds. A l'aube on est entré dans un petit restaurant et Stevie était là. Je suis allé le voir, tout excité : « Hé Stevie!!! Stephen Tobolowsky!!! Cast of Thousands!!! » Stevie m'a regardé avec un air de chien battu et m'a répondu très sèchement : « Mec, non... faut pas venir ici » . On s'est assis, on a pris notre petit déjeuner et c'est là que Jimmy et Stevie ont conçu le double album qui fut finalement le dernier de Stevie.
A la télévision, vous êtes récurrent dans deux séries radicalement différentes : Deadwood and Les Experts: Miami...
Stephen Tobolowsky: On ne peut comparer Deadwood à quoi que ce soit de ce qui a été fait à la télévision. Des séries comme Les Experts nécessitent 8 jours pour tourner un épisode. Le final de Deadwood cette saison a été tourné en un mois. Deadwood a souvent deux réalisateurs et deux équipes travaillant simultanément sur les différents épisodes. Les scripts ne sont pas utilisables à temps car David Milch écrit et ré-écrit pendant que nous tournons.
Sur Les Experts: Miami, David Caruso aime que tout soit vivant et frais. Donc la plupart des scènes sont faites en une prise. Cela laisse plus de temps pour des angles de caméra plus créatifs. Certains matins je me montre à 7h00 et je termine deux scènes, ainsi que ma journée de travail, à 10.
Sur Deadwood j'arrive à 5h45 du matin , je répète, je vais dans ma caravane jusqu'à 15h00... puis je vais sur le plateau pour découvrir que David a réécrit la scène et qu'il faut réapprendre mes dialogues. C'est dur mais le résultat est fabuleux.
Avec votre participation a une très impressionnante liste de séries télévisées comment considérez-vous l'évolution de ce type de programmes sur les 20 dernières années ?
Stephen Tobolowsky: C'est très curieux. Les séries qui fonctionnent le mieux sont toujours originales : All in the Family, Seinfeld, New York District/New York Police Judiciaire. On pourrait croire qu'un medium qui est motivé par le profit devrait faire grand cas de l'originalité. Mais ce n'est pas le cas, la télévision est toujours à 95% dérivative. La plupart des gens s'empressent de suivre les traces d'une série à succès. Mais vous pouvez parier que personne ne suivra les traces de Deadwood.
Stephen Tobolowsky: En ce moment, je travaille ma façon de monter à cheval. Je fais de l'équitation. Mon épouse et moi-même allons faire une expédition à cheval en Islande et nous nous entraînons dans ce but. En fait nous aimons ça plus que tout. Sur le plan professionnel, je fais la promotion de Stephen Tobolowsky's Birthday Party dans divers festivals et je fais le tour des media. L'été est une période calme pour la télévision ici. Tous les exécutifs sont en vacances en France.
J'ai prévu de faire un ou deux films indépendants fin juin et en juillet. Je dirigerais Iron en automne. C'est une pièce très forte écrite par Rona Munro. Deadwood a exprimé un intérêt dans mon retour mais nous allons devoir attendre et voir si je survis aux réécritures.
A ce stade de votre carrière riche et créative le film de Robert Brinkmann est-il le plus beau cadeau d'anniversaire que vous pouviez souhaiter ?
Stephen Tobolowsky: Stephen Tobolowsky's Birthday Party a été un grand moment pour moi. J'ai pu voyager à travers le pays et rencontrer des tas de gens qui ont aimé le film.
En tant qu'acteur et metteur en scène quels sont vos modèles et influences ?
Stephen Tobolowsky: En tant qu'acteur j'admire le travail de Frederick March, Henry Fonda, Spencer Tracy, Katherine Hepburn, Cary Grant, Bob Hope, Jack Benny... bon sang, il y a tant de grands de la belle époque. J'admire aussi Robert Duvall, Robert Deniro, Jack Nicholson, Meryl Streep, Susan Sarandon...
En tant que metteur en scène ceux dont j'ai appris le plus sont Stein Winge, du Théâtre National de Norvège, Alan Parker, Ridley Scott, le grand et regretté Davey Marlin Jones, Jack Clay, et Lawrence O'Dwyer. Tous m'ont appris à penser au-delà des normes.
Pourriez-vous s'il vous plaît faire un cadeau à nos lecteurs et nous raconter une anecdote sur votre carrière que vous n'avez jamais raconté auparavant, même dans Stephen Tobolowsky's Birthday Party.
Stephen Tobolowsky: Quand je suis arrivé à Los Angeles en 1976, ma première pensée fut : « Maintenant que je suis là comment est-ce que je décroche un job ? Une audition ? » mais je n'avais pas de relations. Ca peut être désespérant. J'ai écrit une lettre au producteur de télé Aaron Spelling, qui était voisin de mes grands parents à Dallas quand il avait dix ans - un lien plus que pathétique. Pas de réponse bien sûr.
J'ai entendu qu'un agent venait de Dallas. Son nom était Kelley Green et elle était un agent à mi-temps qui vendait des cirets à la commission pour un grand magasin. Los Angeles a un climat désertique, alors des cirets à la commission me laissaient songeur. Mais elle s'en sortait ! Elle m'a eu une audition avec un réalisateur de Dallas, Larry Buchanan, en visite à L.A.
Si vous ne connaissez pas Larry Buchanan, il avait dirigé Tommy Kirk, une ancienne vedette Disney, dans Mars Needs Women et le grand Lyle Talbot dans Zontar, Thing from Venus. Pour ce qui concerne son nouveau projet disons que nous pouvons nous estimer heureux qu'il n'y ait que neuf planètes dans le système solaire. J'ai eu une audition générale. Pour ceux qui ne savent pas ce que ça signifie je n'auditionnais pas pour un rôle spécifique mais je rencontrais le réalisateur pour faire « bonne impression ».
J'ai attendu sur un vieux sofa pendant trois quarts d'heure lorsque monsieur Buchanan est apparu et m'a fait signe de rentrer dans son bureau. Il a fermé la porte et s'est assis derrière un large bureau. Il m'a lançé un regard dur, a tiré sur sa cigarette et a exhalé une bouffée. Il a commençé à parler : « donc tu veux être dans un film ? »
« Oui monsieur ». « Un film... Tout le monde veut être dans des films ». « Et bien, c'est pour ça que tout le monde vient à L.A. monsieur. Ils font des films par ici ».
Buchanan a regardé dans le vide en rêvassant. « Laisse moi te dire quelque chose. J'ai pratiqué presque tous les métiers de cette industrie. Mon Dieu, j'ai joué, fait l'éclairagiste, j'ai même tiré des câbles. J'ai tout fait ».
« Oui monsieur ».
« Il n'y a qu'une chose que je ne sais pas faire... »
« Oui monsieur »
« Je ne sais pas réparer l'air conditionné. Tu sais réparer l'air conditionné ? »
« Ah, non, monsieur. Je ne sais pas réparer l'air conditionné. J'appelle un réparateur. »
Buchanan a regardé en silence dans le vide. Il a tiré une autre bouffée de sa cigarette et a conclut: « Ouais... Tu peux partir ».
C'était ma première audition pour un film à Hollywood.
In English: http://tattard2.blogspot.com/2008/05/stephen-tobolowsky.html
(Entretien réalisé en 2005)
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