vendredi 30 mai 2008

WARREN MURPHY (L'IMPLACABLE)

Warren Murphy est un des plus brillants et des plus prolifiques écrivains américains. Avec Richard Sapir, il a créé L'Implacable, une série de best-sellers littéraires qui contient tout ce dont un lecteur peut rêver pour apprécier de grands moments d'aventure, d'action, d'humour et de satire sociale. En tant que scénariste il a donné à Clint Eastwood le script de La Sanction, chef d'œuvre définitif du thriller cinématographique.

Comment avez-vous rencontré Richard Sapir et comment est né L'Implacable ?

Warren Murphy : J'ai été journaliste et rédacteur en chef mais au début des années soixante j'oeuvrais dans la politique à la mairie de Jersey City, dans le New Jersey, comme secrétaire personnel du maire. Dick Sapir était chargé par le journal local de couvrir les activités de la mairie et c'est ainsi que nous sommes devenus amis et partenaires de bar. Nous tentions tous les deux de percer depuis longtemps dans l'écriture, mais sans succès, et après une longue nuit bien arrosée on a décidé d'écrire un livre ensemble.

C'était probablement l'idée de Dick d'écrire à propos d'un assassin utilisé par le gouvernement américain pour protéger les libertés du pays, mais c'était il y a longtemps et je n'en suis pas sûr. J'ai trouvé les noms des personnages, Remo, Chiun, la Maison de Sinanju, mais la première chose qui a surgi de tout ça c'est le titre du livre : Created, the Destroyer, la paraphrase d'une citation de la Bhagavad-Gîtâ (en France : Implacablement Vôtre, NDA).

Richard Sapir et vous-même avez réussi à vendre Implacablement Vôtre à Pinnacle Books en 1971. La publication de L'Executeur, créé par Don Pendleton, a t'-elle eu une influence sur le lancement du personnage du point de vue de votre éditeur ?

Warren Murphy : Nous avons terminé le manuscrit le 25 juin 1963 - je me souviens bien de la date, parce que mon fils, Brian, est né ce jour-là - mais nous étions en avance sur notre temps et personne ne voulait le publier. Ce manuscrit est resté chez un agent pendant presque 8 ans jusqu'au jour où une jeune secrétaire de chez Pinnacle Books discuta avec son dentiste, un spécialiste new-yorkais dénommé Joseph Sapir, le père de Dick.

Celui-ci apprit le métier de la jeune femme, ce qu'éditait son employeur et lui dit : « Mon fils a écrit un livre de ce genre », et elle lui répondit (avec une roulette dans la bouche), « Dites lui de me l'envoyer et je le montrerais à un des responsables éditoriaux ».

A l'époque Pinnacle avait commençé à publier la série L'Executeur et cherchait une autre série littéraire. Notre agent leur a envoyé le livre et ils l'ont acheté trois jours après. Donc oui, le succès de la création de Don Pendleton nous a ouvert des portes mais en vérité nous avions écrit notre livre bien avant son premier Executeur.

Les deux premiers Implacable sont d'excellents thrillers mais n'ont pas les caractéristiques distinctives de la série : humour, satire sociale, parodies et références à l'actualité. Elles apparaissent avec le troisième livre, Puzzle chinois.

Warren Murphy : Souvenez-vous que nous avons écrit le premier livre en 1963 et que nous avons été publiés et consacrés huit ans plus tard. Lorsque Pinnacle Books a voulu un second livre nous ne savions même pas comment nous allions nous y prendre et on a donc fait ce qu'on pouvait.

Les deux premiers livres étaient corrects mais sans plus. C'est seulement avec le troisième opus, Puzzle chinois, que Sapir et moi avons décidé que nous allions faire dans la satire et l'humour. Chemin faisant on en est arrivé à notre mythologie : le jeune occidental impétueux entrainé aux arts secrets par un maître oriental âgé et impénétrable.

Ça nous convenait parce que, honnêtement, nous craignions de nous ennuyer à mourir si nous avions dû réécrire le même livre encore et encore, comme Pendleton devait le faire. L'éditeur en chef détestait Puzzle chinois mais notre responsable éditorial, Andy Ettinger, savait que c'était novateur et différent. Il s'est accroché et le livre a été publié.

Vous avez écrit le script de La Sanction. Comment avez-vous été impliqué sur ce film ? Clint Eastwood était-il un lecteur de L'Implacable ?

Warren Murphy : En dépit de cette « image publique » de talent taciturne et minimaliste qu'il avait à l'époque, Clint Eastwood a toujours été un homme hautement intelligent et très complexe. Il s'est avéré qu'il avait lu quelques Implacable et certains livres de ma série Razoni and Jackson.

Un jour sans crier gare il m'a appelé de Hollywood et m'a demandé si j'avais lu La Sanction, le roman de Trevanian. Je lui ai répondu que non. Il m'a demandé si j'avais déjà écrit un scénario et là encore je lui ai répondu non. Il m'a dit : « Nous nous entendons bien, n'est-ce pas ? » et il m'a demandé si je pouvais écrire un script. J'ai répondu que oui et il m'a dit : « Lisez La Sanction et voyez si vous pouvez en tirer un script ».

Pendant cette conversation il était très nonchalant, à la limite du coma (...) C'est seulement plus tard que j'ai appris que son option sur le livre allait expirer, qu'il n'avait pas réussi à obtenir un scénario et qu'il m'avait appelé en désespoir de cause. J'ai acheté le livre, je l'ai lu, trouvé que c'était plaisant mais que ça n'apportait pas grand chose et dit à Eastwood que je pouvais écrire le script.

Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez travaillé sur cette adaptation?

Warren Murphy : Ma première mission était de me rendre à la bibliothèque et de trouver un livre sur l'art d'écrire un scénario parce que non seulement je n'en avais jamais écrit mais en plus je n'en avais jamais vu. J'ai lu ce livre et j'ai écrit le script en huit jours. C'est mon premier jet que Clint a porté à l'écran.

Plus tard je l'ai vu à Hollywood pour les derniers ajustements du scénario. Clint Eastwood a crédité mon seul nom au générique du film mais la Writers' Guild a décidé que je devais partager le crédit avec deux autres, y compris Trevanian (alias Rodney Whitaker, auteur du livre, NDA) - dont les scripts avaient été jugés inutilisables par Clint.

Après tant d'années Clint est reconnu comme étant très intelligent et déterminé ; il sait exactement ce qu'il veut et engage les professionnels conformément à ses objectifs. C'est un homme avec qui il est agréable de travailler et la vérité est qu'il m'a donné alors une fausse image de Hollywood, parce que je pensais que tout le monde là-bas était comme lui - audacieux et ne craignant pas de prendre une décision. J'ai appris plus tard combien cette idée était fausse.

Comment se passait votre collaboration avec Richard Sapir sur un Implacable? Comment trouviez-vous les idées ? (les intrigues, Chiun et son addiction pour les soaps ou se comportant avec Remo comme une parfaite « mère juive »...)

Warren Murphy : Dick et moi avions une curieuse façon de travailler. Nous vagabondions autour d'une idée intéressante, le plus souvent à l'aide de beaucoup de vodka et de tonic. Nous nous amusions aussi avec la partie caractérisation - la « mère juive », les soaps, Remo avatar de Shiva l'Implacable, etc...

Alors Dick écrivait la première moitié du livre et me l'envoyait pour que je poursuive, sans ébauche de la suite. Je voyais où l'histoire devait aller, écrivait ma moitié et réécrivait ensuite le tout pour que ça se tienne.

Le producteur Larry Spiegel a acheté les droits d'adaptation de L'Implacable au début des années quatre-vingt et Remo sans arme et dangereux n'a été tourné qu'en 1985. D'après vous pourquoi est-ce que cela a pris aussi longtemps pour adapter L'Implacable à l'écran ?

Warren Murphy : Les films prennent une éternité à se monter. Prenez Le Seigneur des anneaux, par exemple, et combien cela a pris du temps avant que quelqu'un soit assez intéressé pour le faire correctement. Donc je ne pense pas que cela ait pris un temps exagéré pour faire de L'Implacable un film.

De plus, nous étions une espèce de « livre furtif ». Nous vendions des millions d'exemplaires chaque année mais sous les radars des critiques des journaux ou groupes importants. Les seuls qui semblaient vraiment nous connaître étaient les scénaristes qui nous volaient des choses pour leur propre film.

Quels étaient vos relations avec la production depuis le développement du projet jusqu'au tournage ?

Warren Murphy : Dick et moi avons écrit un script, plusieurs en fait, mais le problème était qu'ils différaient trop de ce qui se faisait habituellement. Alors la production a fini par engager un autre scénariste. Son scénario était assez bon mais l'erreur fatale est que le vilain n'était pas à la hauteur. On ne peut avoir de grand héros s'il n'y a pas face à lui de méchant à la hauteur. Pensez à James Bond : ses adversaires voulaient détruire le monde ou voler l'or de Fort Knox. Le méchant du film vendait des fusils défectueux au gouvernement !

Donc le film était bon mais seulement une fraction de ce qu'il aurait pu être. Dick et moi avons essayé d'expliquer le défaut aux gens de la production mais comme c'étaient tous des génies ils ne nous ont pas écouté.

Est-ce qu'on peut considérer que le pilote télé qui a suivi fut le clou dans le cercueil d'une autre tentative d'adaptation ?

Warren Murphy : Le pilote était correct, en fait l'histoire était meilleure parce qu'elle était tirée d'une nouvelle que Dick et moi avions écrit. Il y a un intérêt continu dans des projets d'adaptation télé ou cinéma de la série, mais un des problèmes maintenant est que tellement d'éléments ont été pillés dans d'autres films que certaines personnes peuvent être pardonnées si elles pensent que c'est du « déjà vu ».

J'imagine de toute façon que ça se concrétisera un de ces jours ; nous travaillons en ce moment sur des comics et il y a un projet de jeu vidéo. On verra ce que ça donne.

En tant que romancier talentueux et scénariste efficace pensez-vous qu'une adaptation peut-être à 60% au moins fidèle à l'original ?

Warren Murphy : Les films et les livres relèvent de deux formes d'art différentes, et même quand on pense qu'un film a été très fidèle au livre dont il est tiré, le fait est que le film n'est qu'une fraction du livre. Une bonne adaptation cinématographique d'un livre doit être fidèle à la « trame intellectuelle » de l'œuvre sous-jacente, comme c'est le cas du Parrain, Jusqu'au bout du rêve ou Sur les quais, etc.

Dans vos livres le regretté Richard Sapir et vous-même avez souvent pris pour cible avec beaucoup d'humour l'industrie de l'Entertainment. Quel est votre sentiment sur le système hollywoodien ?

Warren Murphy : Dick et moi nous étions franchement écoeurés qu'il y ait autant d'idiots à Hollywood en charge de la responsabilité de dépenser des millions de dollars avec l'argent des autres. Je pense que nous avons reflété ça dans les livres que nous avons écrit plus tard.

Vous êtes le créateur d'une autre importante série de livre appelée The Trace, qui est totalement inconnue dans les pays francophones, à l'exception d'une série télé oubliée du nom de Murphy, l'art et la manière d'un privé très spécial (Murphy's Law, 1988)...

Warren Murphy : The Trace était assez différent de L'Implacable et, bien sûr, je suis fier d'avoir écrit sept livres de cette série, livres qui ont reçus plusieurs récompenses nationales dont un Edgar. La série télé était très bien mais n'avait pas grand chose en commun avec les livres dont elle était tirée.

A cette époque la censure dominait la télévision. Trace, dans les livres, était un alcoolique avec une petite amie prostituée, une ex-femme qu'il détestait, et deux enfants - « Machintruc et la fille » - dont il se souciait encore moins. C'était trop osé pour la télé d'alors... N'oubliez pas que c'était bien des années avant New York Police Blues ou Les Sopranos. Alors ils ont considérablement adouci leur série. C'était bien écrit, bien joué et Maggie Han était ravissante, mais ce n'était pas vraiment proche de mes livres.

A partir de 1982, Richard Sapir et vous avez commençé à travailler avec d'autres auteurs sur L'Implacable. Sapir est mort en 1987, vous avez petit à petit arrêté de travailler sur le titre et engagé des « Ghost Writers » (« Auteurs fantômes », auteurs rémunérés mais non crédités sur la couverture du livre, NDA).

Warren Murphy : J'ai commencé à travailler avec des Ghost Writers alors que Dick et moi écrivions la série depuis 5 ou 6 ans. Nous avions d'autres projets et parfois c'était tout simplement que nous ne pouvions pas trouver le temps de travailler sur un Implacable. Alors j'ai engagé de jeunes écrivains que je connaissais, je leur demandais de m'écrire un premier jet que je réécrivais afin d'essayer de garder l'esprit de L'Implacable.

Plus tard, alors que Dick travaillait sur des romans importants et que j'avais plusieurs séries en cours plus le travail avec Hollywood, j'ai engagé Molly Cochran - qui est finalement devenue mon épouse - en tant que Ghost à plein temps et Molly a écrit une quinzaine de livres au début des années quatre-vingt. Molly était fabuleuse et ses livres atteignaient leurs objectifs, mais je dois insister sur le fait que j'ai toujours réajusté ce qu'un Ghost écrivait pour essayer de le maintenir dans la ligne de ce que Dick et moi faisions.

Vers la fin des années quatre-vingt, Dick et moi étions tellement occupés que nous avions décidé d'arrêter L'Implacable. Mais Dick est décédé, laissant derrière lui un fils de 1 an et j'ai dû faire face à un dilemme. Ecrire la série sans Dick Sapir n'aurait pas été aussi drôle, mais je voulais la garder en vie pour sa famille. Alors je l'ai contractualisée à différents éditeurs.

Ces éditeurs - d'abord Signet puis Gold Eagle - choisissaient les Ghost Writers, mais j'ai eu la chance d'avoir d'abord Will Murray, un vrai fan de L'Implacable, puis Jim Mullaney, un autre fan, et tous les deux étaient fabuleux et ont maintenu la série à un très haut niveau. Mullaney a quitté la série il y a quelques années et depuis les fans de longue date pensent que la qualité des livres a décliné.

Quel est contractuellement votre niveau de contrôle avec les différents éditeurs ?

Warren Murphy : Contractuellement, j'ai maintenant très peu de contrôle sur le contenu de la série ; c'est une erreur monumentale que je me suis permis et s'il y a un nouveau contrat ça n'arrivera plus.

Vous avez co-écrit le script de L'Arme fatale 2 avec Shane Black. Comment avez-vous travaillé sur ce film ?

Warren Murphy : Shane Black, un scénariste très talentueux, a écrit le premier Lethal Weapon. Il était fan de mes livres et m'a invité à travailler sur le deuxième film. Bien que j'ai beaucoup de considération et d'admiration pour Shane, il est devenu rapidement évident que nous avions du mal à travailler ensemble. Ma manière de travailler est de m'assurer que l'histoire est absolument en place avant même que je n'écrive le premier mot. Je pense que Shane travaille plus « du fond de son pantalon », écrivant tout d'une traite à partir du commencement de l'histoire.

Donc, après que nous nous soyons arrangés pour produire ensemble une première version, nous avons d'un commun accord quitté le projet, lequel fut achevé par d'autres, mais soyons clairs : Shane Black est un très grand scénariste, il a bien plus de talent que moi... Cependant les partenariats doivent fonctionner sur différents plans et le nôtre n'a pas pu le faire. C'est bien dommage.

A part L'Implacable et The Trace, vos livres sont très connus et appréciés dans les pays anglophones mais ils sont malheureusement inconnus de nos lecteurs francophones. Pouvez-vous nous parler du reste de votre œuvre littéraire.

Warren Murphy : A part L'Implacable, j'ai écrit différentes choses, seul ou en association avec Molly Cochran, allant des mystères en lieux clos (Leonardo's Law), au grand roman à suspense (The Ceiling of Hell), en passant par le fantastique (World Without End). Parmi beaucoup d'autres, avec Molly, j'ai écrit Grandmaster - un roman d'espionnage épique - qui a été récompensé d'un Edgar, et The Forever King, une légende arthurienne moderne.

Mes livres ont reçu plus d'une douzaine de récompenses nationales dont deux Edgars, deux Shamus, plus beaucoup de nominations et de récompenses pour l'ensemble de ma carrière. Toutefois, je suppose que ce dont je suis le plus fier est ma réputation d'enseignant en écriture.

L'oeuvre littéraire de Maître Chiun est malheureusement inconnue en France, Le Manuel de l'assassin et ses suites n'ont pas d'éditions françaises et sont quasi-mythiques chez les fans français. Suivez-vous le devenir de votre création au niveau mondial ?

Warren Murphy : La France a été le pays le plus constant en matière de réimpression des Implacable ; à un moment ou un autre, nous avons été publiés dans une douzaine de pays différents, mais c'est arrangé par le département droits de l'éditeur et les auteurs ont très peu de contrôle sur ça. En fin de compte les deux versions du Manuel de l'assassin et le livre de la sagesse de Chiun, La Voie de l'assassin, seront publiés en France et dans d'autres pays, lorsque j'aurais une bonne équipe éditoriale pour travailler sur ces projets.

Vous avez créé une compagnie internet, vous êtes très actif sur le front de L'Implacable en créant des ouvrages dérivés, en regagnant le contrôle total du titre et vous travaillez avec votre fils, Brian. Comment avez-vous démarré ces opérations ?

Warren Murphy : Une des raisons pour lesquelles j'ai créé ma compagnie d'édition internet, Ballybunion Books, est que Gold Eagle n'était clairement intéressée par la promotion de L'Implacable ou de toute espèce de dérivé. J'ai eu le sentiment alors qu'il était important de faire ça moi-même. Il est bien triste que quelques esprits sombres aient tenté de saper le succès de Ballybunion mais, au bout du compte, je suis sûr qu'on va y arriver.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment et quels sont vos projets?

Warren Murphy : Je travaille en ce moment sur différentes séries littéraires: une sur une agence de détectives privés, l'autre sur un groupe secret qui combat les extrémistes religieux. Lorsque j'en aurais fini avec ça je me prendrais un peu de repos et je travaillerai à l'amélioration de mon jeu au golf.

In English: http://tattard2.blogspot.com/2008/05/warren-murphy.html

(Entretien réalisé en 2005)

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