mercredi 21 mai 2008

V POUR VENDETTA (VERTIGO/TITAN BOOKS)

Pour Amandine

Vertigo et Titan Books nous invitent à découvrir ou redécouvrir les cultissimes visions dystopiques d'Alan Moore et David Lloyd. «V» et sa vendetta sont de retour. C'est le futur, c'est V pour Vendetta et c'est maintenant. Ce n'est pas l'un de vos plus sombres cauchemars... c'est encore pire.

« London calling to the faraway towns. Now war is declared - and battle come down. » (The Clash, London Calling)

L'équilibre entre les différentes forces qui composent la société britannique repose sur un deal implicite et fragile entre ceux qui dirigent et ceux qui sont dirigés sur une base subjective d'intérêts communs. Et de nombreux penseurs, auteurs ou artistes, conscients presque à un seuil de préscience de la fragilité du deal, se sont régulièrement interrogés sur ce qui arriverait - dans un pays avec une constitution non-écrite - si le deal était rompu par un gouvernement n'ayant plus rien à offrir qu'un exercice excessif des attributs de ses fonctions régaliennes : police, justice et forces armées.

C'ETAIT DEMAIN

« La nécessité est le prix réclamé pour chaque manquement à la liberté humaine. C'est l'argument des tyrans et le credo des esclaves » (William Pitt)

Nombreux sont les livres et les productions télévisées ou cinématographiques britanniques qui osent s'aventurer « cinq minutes dans le futur » (comme le sous-titre de la série Max Headroom) pour spéculer sur l'idée d'une Angleterre dirigée par une dictature : 1984 de George Orwell (1950), bien sûr - ainsi que ses adaptations de 1954 (par la BBC) et de... 1984, et des feuilletons télé comme l'oublié The Guardians (1971), 1990 (1977), ou le sous-estimé Les Epées de feu (1987).

Cette catharsis politique et artistique a trouvé son expression non seulement en Angleterre mais aussi aux Etats-Unis (It can't happen here, le roman de Sinclair Lewis - écrit des années avant 1984, ou la mini-série V de Kenneth Johnson) ou in France (Les Hordes, 1991). Mais V for Vendetta est la plus proche de ces réflexions. Parce que le futur c'est dans cinq minutes.

« C'était horrible. Personne ne savait si la Grande Bretagne avait été frappée ou non. » (Evey Hammond)

V pour Vendetta est publié pour la première fois en 1982 par Warrior, magazine anglais indépendant et foyer de Dan Dare (le Buck Rogers anglais). Alan Moore apporte de véritables talents d'écriture et ses préoccupations politiques du moment : Margaret Thatcher est Premier ministre du gouvernement britannique conservateur. David Lloyd, un artiste qui a travaillé pour Marvel Comics UK, illustre les horizons ténébreux issus de l'esprit brillant de Moore. Ils donnent au personnage principal un élément décisif de sa mythologie : le costume et le masque de Guy Fawkes (« Souviens toi, souviens toi du 5 novembre... » ) V pour Vendetta s'arrète trois ans après son démarrage, avec l'interruption de Warrior juste avant la publication d'un épisode à peine terminé.

En 1988, DC Comics, maison de Batman et de Superman, publie en couleur (avec l'assistance des coloristes Steve Whitaker et Siobhan Dobbs) les épisodes de V pour Vendetta publiés par Warrior et enchaîne avec un nouveau matériel très attendu. Tony Weare rejoint David Lloyd et Alan Moore sur deux épisodes et dessine un épisode entier. La série complète est finalement réunie dans un magnifique roman graphique par Vertigo, une filiale de DC.

CINQ MINUTES DANS LE FUTUR

« Moi, je suis le roi du vingtième siècle. Je suis le croquemitaine. Le méchant... Le mouton noir de la famille. » (V)

Dans son introduction de V pour Vendetta, republiée dans la présente édition par Vertigo et Titan Books, Alan Moore confesse ce qu'il appelle « une certaine inexpérience politique » mais cette sentence est peut-être assez dure vu que l'efficacité de ses visions subsiste des années après le lancement de la série et la première édition du roman graphique.

1997, le Royaume Uni est dirigé par Flamme Nordique, un parti fasciste, après un « hiver nucléaire » et une longue série d'émeutes ainsi que d'autres évènements dramatiques. Evey Hammond, 16 ans, est arrêtée durant une opération de police par « Le Doigt » - la milice politique du parti - alors qu'elle tentait de se prostituer pour la première fois (« C'est la proposition la plus maladroitement formulée que j'ai jamais entendu. Vous ne faites pas ça depuis longtemps, n'est-ce pas ? ») Elle est sauvée des miliciens par un mysterieux anarchiste costumé qui se fait appeler « V » et porte un masque de Guy Fawkes, l'homme derrière la Conspiration des Poudres de 1605.

« Juste La Voix de Son Maître heure par heure . » (V)

La vie quotidienne de chacun dans le pays est surveillée par « Les Oreilles » et « L'œil ». « L'œil » est dirigé par Conrad Heyer, un homme faible manipulé par sa femme, Helen. Helen Heyer veut que son époux soit le prochain chef du gouvernement... et tirer les ficelles (« Je serais comme Eva Peron, tu sais »). Le chef du « Doigt » est Derek Almond, époux abusif de Rose Almond - qu'il aime menacer avec son revolver (« Ne t'inquiète pas, Rose. Je ne l'ai pas chargé. Pas ce soir. »)

La police légitime est « Le Nez », et son chef est Eric Finch, un flic sincère de la vieille école (« Bien que personnellement je n'adhère pas à ces histoires d'« Ordre Nouveau », c'est mon travail que d'aider à sortir la Grande Bretagne de ce gâchis »). Finch enquête sur l'affaire « V » et fait son rapport au Leader (« Que vous soyez encore en vie est une marque de mon respect pour vous et votre savoir-faire »), Adam J. Susan. Susan est censé être l'homme le plus fort du régime mais il se repose lourdement sur un système informatique appelée « Le Sort » (« Je t'en prie, donne moi un signe »).

« Le Sort » a la voix de Lewis Prothero, ancien commandant du camp de concentration de Larkhill et collectionneur de poupées (« Il collectionne des poupées, vous savez. C'est incroyable, n'est-ce pas ? Un grand garçon comme ça qui collectionne les poupées. C'est qu'il est sensible. Ca s'entend dans sa voix »). Prothero est en bonne place dans le collimateur de « V ». L'hallali de Flamme Nordique peut commencer...

OPERATION PEUR

« Nous ne devrions pas vivre ainsi. N'est-ce pas? » (Evey)

« On peut aussi détecter de la naïveté dans ma supposition qu'il faudrait une chose aussi mélodramatique qu'un début de conflit nucléaire pour mener l'Angleterre au fascisme » écrit Moore en 1988. « Le simple fait qu'une bonne partie du contexte historique de l'histoire découle d'une défaite des Conservateurs aux Elections générales de 1982 indique à quel point nous étions fiables dans nos rôles de cassandres » ajoute t'-il. Mais la fiabilité d'Alan Moore et David Lloyd en disciples de Cassandre est-elle vraiment si importante ?

« Voici le chaos. » (V)

Après tout des lézards de l'espace en unformes oranges n'ont jamais visité les Etats-Unis... Et les effets secondaires du national-socialisme, fascisme, communisme ou même de l'hyper-capitalisme à son point le plus extrême sont plus ou moins les mêmes (« Tu n'est pas censée savoir comment ils ont éradiqué la culture... éparpillée comme une poignée de roses mortes », V).

Même les lecteurs qui raisonnablement n'attendent pas que l'anarchie soit la solution au fascisme seront fascinés par la capacité de Lloyd et Moore à nous inviter à un efficace et dystopique exercice de terreur au quotidien. La destruction du Parlement (au début du livre), de la Tour Jordan, ou de la Tour de la Poste, voire l'assaut de « V » sur la chaîne de télévision NTV comme réponses à la dictature, démontre visuellement que ça peut arriver n'importe où - peu importe la précision de ces « cinq minutes dans le futur » offertes par les auteurs.

« Les recherches sur l'hormone sont pratiquement inutiles lorsque l'on utilise des rats et des lapins . » (Delia)

Maintenant que d'une certaine manière notre présent risque de ressembler de plus en plus à l'avenir décrit dans les grands films dystopiques produit par la MGM dans les années 1970, tels que Soleil vert ou L'âge de cristal, les peurs de V pour Vendetta sont universelles et intemporelles sur une grande échelle - la tyrannie, les perversions de la science, le terrorisme,... - ou sur une échelle plus petite - la solitude, le manque d'amour, l'hostilité, etc... L'originalité de la création d'Alan Moore et David Loyd se trouve là : leur intérêt se concentre à la fois sur la chute des dominos et sur chacun des dominos qui tombe.

UN CONTE DES ÂMES PERDUES

« Sois transie... Sois transfigurée... A jamais. » (V)

V pour Vendetta, le roman graphique, est riche des destinées de personnages imaginés avec une grande humanité et une grande lucidité (qui par définition n'exclut pas la cruauté) et une indiscutable virtuosité littéraire par Alan Moore. Des personnages perdus aux âmes blessées en quête de sortie dans un Londres qui ne leur appartient plus : l'amour pour le Leader, le pouvoir pour Madame Heyer, la haine pour Almond (« Apparemment il a oublié de le charger » - sa mort a un goût amer d'ironie), l'identité pour sa femme, des explications pour Finch, la vendetta pour « V », la figure du père pour Evey (« ...ou peut-être suis-je ton père ? »), etc...

« Je n'aurais pas dû prendre le LSD. » (Eric Finch)

David Lloyd et Alan Moore ont largement contribué à aider à la reconnaissance de la bande dessinée en tant que forme d'Art. V pour Vendetta est indispensable et accessible à un vaste public, quand bien même ce public ne serait pas en accord avec les messages d' Alan Moore (au travers de thèmes comme l'anarchie, la drogue, la religion...) La démonstration parfaite de cette accessibilité est que la puissance du roman graphique reste intacte même au-delà des messages de son scribe, dans une adaptation cinématographique mise à jour avec le contexte et les angoisses du 21ème siècle. « Les idées sont à l'épreuve des balles » dit « V ».

V pour Vendetta - le film et V pour Vendetta - le roman graphique sont complémentaires. Le film est un merveilleux hommage à la bande dessinée même avec ses différences. Peut-être qu'un jour Warner Brothers considèrera l'idée d'une mini-série de prestige pour la télévision qui collerait au livre, les mini-séries étant le format idéal pour adapter un roman qu'il soit graphique ou pas.

Vertigo et Titan Books vous donnent les clés de votre futur. Londres n'appartient pas au Leader, Londres n'appartient pas à Flamme Nordique, Londres n'appartient même pas à Evey Hammond ou à « V ». Londres vous appartient à VOUS.

« Il essaya d'extraire de sa mémoire quelque souvenir d'enfance qui lui indiquerait si Londres avait toujours été tout à fait comme il la voyait. » (George Orwell, 1984)

Aucun commentaire: