vendredi 30 mai 2008

NICHOLAS MEYER

Nicholas Meyer est sans conteste un des artistes les plus importants du cinéma américain : romancier, scénariste, réalisateur, producteur, il a revisité avec intelligence le mythe de Sherlock Holmes, laissé son empreinte à la franchise Star Trek et marqué l'histoire de la télévision avec Le jour d'après, sa vision de l'apocalypse nucléaire. Adaptateur de Philip Roth, cet homme d'art et de culture nous accorde un entretien.

Nicholas Meyer, vous êtes définitivement un maître dans l'art de raconter des histoires. Quand avez-vous décidé de concevoir vos propres histoires. Quels livres vous en ont donné l'envie ?

Nicholas Meyer : J'ai commencé à m'intéresser à l'art de raconter des histoires en écoutant les histoires que mon père me lisait le soir avant que je ne m'endorme: cela allait de Winnie l'Ourson aux contes de fée des frères Grimm en passant par Histoires comme ça de Kipling et plus tard les mythes grecs. Vers l'âge de cinq ans je dictais mes propres histoires à mon père ; après deux années à faire ça comme passe-temps il m'a dit que je devrais écrire ces histoires moi-même et j'ai toujours procédé ainsi depuis.

Quels sont les films qui vous ont influencé ?

Nicholas Meyer : L'Opéra des gueux de Peter Brook, Henry V (tous deux avec Laurence Olivier ce qui est important), les Marx Brothers, les films de gangsters de la Warner Brothers, Le Tour du monde en 80 jours et une liste sans fin qui comprend Woody Allen, Hitchcock, Ford, John Huston (mon réalisateur américain favori), Louis Malle, etc...

Habituellement un raconteur d'histoire aime écouter, lire et regarder de bonnes histoires...

Nicholas Meyer : Mes goûts en matière d'histoires sont catholiques et éclectiques et tel est le cas avec ces metteurs en scène. Je ne me suis jamais soucié du fait que les histoires soient drôles ou sérieuses, si elles se passent dans le présent, si elles sont historiques ou si elles relèvent de la science-fiction. Tout ce qui m'intéressait c'est qu'elles soient de bonnes histoires.

Ma définition d'une bonne histoire est qu'une fois que vous l'avez entendue vous comprenez pourquoi quelqu'un a voulu vous la raconter. Henry James a dit que le moins que vous puissiez faire avec une œuvre d'art c'est qu'elle soit intéressante ; et que le plus que vous pouvez exiger et qu'elle vous remue.

Comment votre père et sa profession puis plus tard vos professeurs à l'Université de l'Iowa ont-ils contribué à l'édification de votre personnalité culturelle ?

Nicholas Meyer : Mon père était un psychanalyste, dont la principale préoccupation était donc par définition le comportement humain. Pourquoi et comment les gens font ce qu'ils font. Lorsque je l'écoutais parler de la recherche d'indices sur les raisons qui font que les gens se comportent comme ils le font parfois, cela me rappelait irrésistiblement Sherlock Holmes, une association qui m'a mené finalement à écrire le roman La Solution à 7% et qui a constitué une motivation qui m'aide dans ma façon d'écrire. L'Université de l'Iowa m'a enseigné la technique et le savoir faire. Tandis que le génie n'a pas besoin d'instruction, il y a fort à parier que le reste d'entre nous devra utiliser un peu d'aide. Avant l'Iowa je faisais les choses par intuition et par inspiration mais les deux ne m'ont pas réussi, je ne savais pas faire l'analyse (ce mot encore !) de ce qui ne fonctionnait pas et comment le réparer. Les cours d'écriture que j'ai suivi - comme les classes de théâtre et de mise en scène - m'ont aidé à organiser ma pensée et à codifier le processus.

Votre premier script pour la télévision, Judge Dee and the Monastery murders (1974), fut pour le pilote d'une série télé qui malheureusement ne se matérialisa jamais. Cette première confrontation avec les réalités du système hollywoodien vous a-t-elle aidé de quelque manière ?

Nicholas Meyer : Judge Dee n'est pas devenu une série parce que l'acteur qui jouait le rôle dans le pilote est décédé, pas à cause des réalités du système télévisuel. Le « système » est au mieux dysfonctionnel et n'aide pas à prendre des risques créatifs, ce qui était et demeure dommage. Ce n'est pas pour les susceptibles et les humiliations arrivent sous toutes les formes possibles et imaginables.

Votre adaptation pour le grand écran de La Solution à 7% était-elle une espèce de justice immanente pour l'artiste que vous êtes ?

Nicholas Meyer : La Solution à 7% était un coup de veine. Si le livre n'avait pas été un best-seller le film n'aurait jamais été fait. Les gens de Universal ont dit qu'ils ne voulaient pas considérer l'idée d'en faire un remake parce que Holmes est un drogué et que c'est donc (présentement) trop sombre pour eux. Vous imaginez ça ?

C'était demain est un remarquable thriller romantique. Un combat entre une vision de ce que le monde devrait être (Wells) et une vision de ce que le monde est vraiment (Stevenson). Ecririez-vous de la même manière aujourd'hui la scène de la chambre du Hyatt Regency où Stevenson illustre sa vision du monde avec un téléviseur ?

Nicholas Meyer : J'écrirais probablement la scène du téléviseur de la chambre d'hôtel dans C'était demain de la même façon, c'est-à-dire que je montrerai simplement ce qu'il y a sur le téléviseur et je laisserai les spectateurs - comme Stevenson - tirer leurs propres et inévitables conclusions. Il y aurait plus de télé « réalité », bien sûr, mais je pense que mon propos d'alors est aussi vrai maintenant si ce n'est plus.

« C'était la meilleure des époques, c'était la pire des époques...» a écrit Dickens. La transition entre deux époques semble être un thème récurrent dans votre œuvre depuis C'était demain jusqu'à Patriotes (Company Business) et bien sûr avec Star Trek II et Star Trek VI. Est-ce important pour vous de ressentir le sens de l'Histoire pour vivre bien sa propre histoire personnelle ?

Nicholas Meyer : Cela me choque que les gens soient ignorants de leur propre histoire. Si nous ne savons pas d'où nous venons comment pourrons nous nous rendre compte où nous allons et comment nous y rendre ? Dans mon travail, dès que j'ai l'occasion de dire quelque chose aux gens à propos de leur passé j'essaie de le faire et de travailler cet aspect.

La Colère de Khan et Terre inconnue sont deux tragédies shakespeariennes majeures dans l'hyperespace, servies par des acteurs flamboyants (Ricardo Montalban, David Warner, Christopher Plummer...) avec de magnifiques bandes originales et une direction épique. Comment avez-vous réussi à transformer ces deux space operas de la franchise Star Trek en « opéras dans l'espace » ?

Nicholas Meyer : Je ne suis pas sûr de comment j'ai pu faire des « opéras dans l'espace ». Ce que je sais c'est que je suis un grand fan d'opéra - à commencer par le Verismo, pas le Bel Canto - donc l'idée d'une exagération du type de matériel m'est venue naturellement, comme George Lucas l'avait fait avant moi avec Star Wars. Et puis si vous voulez que les choses soient « shakespeariennes » pourquoi ne pas utiliser les propres mots de Shakespeare ? Personne n'a écrit de meilleurs dialogues.

Le fait que j'ai un bagage musical m'a énormément aidé pour communiquer mes idées aux compositeurs avec lesquels j'ai travaillé sur mes films. J'aime toujours cette partie-là du travail. Le son dominera toujours l'image donc c'est fascinant d'inciter le compositeur à faire surgir les sons dont vous avez besoin pour compléter votre vision du film.

La musique est presque un acteur de vos films. Vous avez travaillé avec Mikos Rosza, James Horner, Michael Kamen et Clif Eidelman (pour Star Trek VI). Comment choisissez-vous vos compositeurs et comment collaborez-vous avec eux ?

Nicholas Meyer : Idéalement, la musique doit être la VOIX de votre film. J'utilise des morceaux temporaires lorsque je discute avec mes compositeurs et j'engage des discussions à bâtons rompus avec eux. Ce que je veux dans tous les aspects de la réalisation c'est de travailler avec des gens qui prendront mes idées et les rendront MEILLEURES.

Sur Star Trek VI, par exemple, j'étais fatigué de ces marches qui ont accompagné tous les génériques de ce type de films depuis le premier Star Wars. Je voulais quelque chose de mystérieux et de grondant - notre film était à propos de Klingons, après tout ! - et j'ai parlé à Cliff Eidelman de l'ouverture de L'Oiseau de feu de Stravinsky. Cliff a planché dessus et brodé ses propres riffs, et le résultat final était du pur Klingon.

Vos mots d'auteur ont été illustrés par d'autres (Sherlock Holmes attaque l'Orient-Express) ou par vous-même (C'était demain). Vous avez débuté votre carrière à Hollywood comme publiciste pour une Major et vous êtes aussi producteur. Est-ce que votre connaissance de ces différents aspects vous rend plus indulgent à l'égard de la façon dont le studio et le réalisateur traitent habituellement le travail du scénariste ?

Nicholas Meyer : J'ai été assez chanceux d'avoir mes scripts dirigés par des réalisateurs très talentueux. Néanmoins, je trouve très frustrant de voir ce que j'écris dirigé par d'autres. Inévitablement il y a des changements, parfois pour le meilleur mais en un grand nombre d'occasions cela devient trop différent de mes impulsions d'origine et de leur signification dans un sens qui ne va pas vers l'amélioration.

À travers vos différents métiers, vous aimez explorer des genres variés parfois simultanément. Par exemple Star Trek VI est un opéra dans l'espace mais aussi un intelligent whodunit et un thriller géopolitique. Une situation est-elle aisément transportable d'un genre à un autre ? Y a-t-il des situations intemporelles et universelles ou un « schéma de construction » commun à chaque genre ?

Nicholas Meyer : Habituellement, une oeuvre d'art qui réussit eu égard à un medium donné résistera voire défiera la possibilité d'une transition réussie vers un autre medium. Il y a une raison pour laquelle certaines histoires feront de bons romans, d'autres de bonnes pièces et d'autres encore conviendront pour l'écran. L'adaptation est un procédé délicat parce que vous voulez que le résultat final soit compréhensible par des personnes qui n'ont jamais lu ou vu l'original, le matériel « source ». Mais comment faire un film tiré des Frères Karamazov sans autre perspective que d'obtenir un quelque chose d'inférieur au roman ?

Chaque travail de transposition présente son propre lot de problèmes. Les pièces tendent à être bavardes et il y a moins d'action que dans les films ; les romans tendent à être plus longs que la plupart des films et nécessitent un élagage intensif. Il y a aussi les pensées intérieures et les sentiments qui sont difficiles (si ce n'est impossible) à externaliser. Et ainsi de suite.

Tandis que certaines situations peuvent être communes à des contextes variés (exemple : le mari découvre que sa femme a une liaison), c'est-ce qu'il y a avant et après de telles « scènes » qui constituent le schéma de construction EXTRAcommun de chaque genre.

Un de vos livres, Confessions Of A Homing Pigeon n'est pas très connu en France, même de ceux qui admirent votre travail. Pourriez-vous nous en parler ?

Nicholas Meyer : Confessions Of A Homing Pigeon est un roman autobiographique qui raconte beaucoup de ma propre histoire sous le masque d'un contexte fictif et de quelques modifications. C'est d'après moi le livre le plus personnel que j'ai écrit et je savais que ce ne serait pas un blockbuster mais cela m'était égal ; c'était un livre important à créer pour moi-même et en tant qu'auteur. Je ne pouvais pas continuer éternellement à me cacher derrière Holmes et le capitaine Kirk.

Je crois que cela s'appelait en français Confession d'un Pigeon voyageur, ce qui sonne pareil pour moi. C'est à propos de la vie et des amours d'un jeune orphelin qui habite en compagnie d'un oncle charismatique expatrié à Paris.

Il y a dans votre filmographie un titre inattendu: Dommage collatéral (2002). Comment vous êtes-vous retrouvé impliqué sur ce film ? Quelle était votre tâche en tant que producteur exécutif ?

Nicholas Meyer : Dommage collatéral a été écrit à l'origine par mon meilleur ami, Ronald Roose, lorsque cela s'appelait Prey. L'histoire était celle d'un professeur de collège qui se rend en Libye pour venger les décès de sa femme et de sa fille, tuées dans l'attentat de Lockerbie.

J'étais donc l'« exé » et j'ai aidé à la mise en place du projet chez Warner Brothers où Ronald et moi nous disions en plaisantant : « Maintenant n'oublie pas, ce type n'est pas Arnold Schwarzenegger, c'est Tom Hanks », ce que nous pensions être le point essentiel. Cinq années après ils ont saccagé l'ensemble et j'ai laissé mon nom au générique juste pour les enquiquiner.

À propos de projets plus personnels, vous savez comment distraire le public avec intelligence, élégance et style. L'art et l'industrie sont-ils conciliables ?

Nicholas Meyer : Il est important de se souvenir que le Théâtre du Globe avait pour finalité de faire de l'argent et c'est pourtant là que Hamlet, Le Roi Lear, Roméo et Juliette, etc. furent joués pour la première fois. L'art et le commerce ne sont pas irréconciliables, ils sont inextricablement entrelacés.

Les films coûtent trop à produire (alors qu'ils ne devraient pas coûter autant) pour se permettre de ne pas faire de profit à la fin de la journée. L'astuce, c'est de faire de l'art qui fait de l'argent ou, comme le disait Robert Bresson : « Mon travail n'est pas de trouver ce que le public veut lui donner, mon travail c'est de faire que le public veuille ce que je veux. »

Pouvez-vous nous décrire une journée typique dans la vie de Nicholas Meyer ?

Nicholas Meyer : Mes journées varient. Durant l'année scolaire, je commence par emmener une de mes trois filles à l'école, puis j'essaie de faire mon volume d'écriture le matin, quand je me considère frais pour ça. Je n'écris pas lorsque je ne travaille pas sur quelque chose de précis mais lorsque c'est le cas, j'essaie de le faire tous les jours - y compris les week-ends et durant les vacances ! Plus tard dans la matinée, lorsque je me bloque ou que je suis raide (selon ce qui se produit en premier), je fais une demi-heure d'effort sur mon vélo d'appartement et je lis quelque chose pendant que je pédale.

Parfois après, je fais quelques brasses, ce qui m'aide aussi à réfléchir à l'écriture et à ce que je vais faire après. Si ça se passe bien je retourne au travail, sinon j'utilise le reste de la journée pour des réunions d'affaires, des lancements de projets, etc. J'essaie d'être de retour à la maison pour dîner en famille et avec un peu de chance nous allons voir un film après.

En juin 2000, vous avez donné la quasi-totalité de vos documents personnels (manuscrits de livres, scénarii, traitements, etc.) à l'Université de l'Iowa, offrant ainsi aux chercheurs un instrument unique de compréhension de l'art de raconter des histoires avec des mots ou des images. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a amené à faire cette donation ?

Nicholas Meyer : L'Université de l'Iowa fut le premier endroit dans ma vie où je me suis senti vraiment heureux. Je pense que je me suis largement construit là-bas, grâce à son soutien et aux enseignements que j'y ai suivis. Comme il n'y avait pas de bourse en licence d'écriture lorsque j'étais étudiant, j'en ai fondé une et donc donner mes papiers participait de cette démarche.

J'essaie d'y retourner chaque fois que je le peux (je dois y animer des ateliers cet automne) et j'ai fait partie du conseil de la Fondation de l'Université de l'Iowa, ce dont j'ai toujours été très fier car on ne demande pas d'ordinaire aux artistes de le rejoindre.

Vous avez écrit le scénario de Sommersby (1993), une adaptation américaine d'un film français, Le Retour de Martin Guerre. Est-ce qu'il y a des réalisateurs, scénaristes ou acteurs de France ou du Québec que vous admirez ?

Nicholas Meyer : Je suis un grand fan du cinéma français - mon film préféré est La Règle du jeu de Renoir. J'aime des tas de films français, tout depuis Marcel Carné jusqu'à Truffaut et tout particulièrement Louis Malle. En ce qui concerne le cinéma québécois, j'ai beaucoup aimé Les Invasions barbares l'année dernière.

En 2003, vous avez écrit le script de La Couleur du mensonge (The Human Stain, La Tache humaine au Québec). Sur quoi travaillez-vous en ce moment et, après Holmes et Star Trek, explorerez-vous de nouveau la pop culture comme romancier, scénariste ou réalisateur ?

Nicholas Meyer : Je viens d'adapter The Crimson Petal & The White pour le cinéma et j'ai travaillé sur un pilote pour la télévision ainsi que sur des projets d'adaptation d'autres romans de Philip Roth et de Richard Russo. Je ne puis savoir quand ou si je reviendrais à la pop culture car je ne planifie pas ma carrière. Je saisis sur mon chemin ce qui me semble intéressant et j'essaie (c'est très dur !) d'intéresser les financiers aux choses qui m'intéressent moi.

In English: http://tattard2.blogspot.com/2008/05/nicholas-meyer.html

(Entretien réalisé en 2004)

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