vendredi 16 mai 2008

FRIEDRICH WILDFEUER & KARSTEN RÜHLE

Oubliez Wisteria Lane, oubliez l’île des tristes naufragés, oubliez ces gens « ordinaires » avec des super-pouvoirs ou la CTU… Si les meilleures séries proviennent aujourd’hui du Royaume-Uni, l’Allemagne arrive en seconde position avec le dernier thriller d’action en date, la série GSG9 – la réponse allemande à MI-5 (Spooks) . Bien qu’occupés par le tournage de cette série produite par Typhoon (une compagnie de production de cinéma et de télévision extrêmement dynamique) pour Sat.1 – la chaîne derrière Le Destin de Lisa/Le destin de Bruno (Verliebt in Berlin)Friedrich Wildfeuer et Karsten Rühle, « showrunners » de GSG9 répondent à nos questions.

Friedrich Wildfeuer, Karsten Rühle, merci beaucoup d’avoir accepté cet entretien. Typhoon AG est une compagnie de production très active. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur vos carrières respectives avant de travailler sous la bannière de Typhoon, et à propos de la création de cette compagnie ?

Friedrich Wildfeuer : Après mes études de droit et l’examen d’entrée au barreau, j’ai commencé comme chef des affaires commerciales chez VPS Filmdistribution à Munich. Après, j’ai travaillé une année pour la chaîne ZDF puis continué ma carrière durant sept ans chez RTL, où j’ai travaillé au développement de séries, de programmes de fiction et au marketing. Mon plus gros projet, là-bas, était la série à succès Hinter Gittern [soap carcéral inspiré du feuilleton culte australien Prisoner : Cell Block H, NDA]. J’ai quitté RTL avec Marc Conrad et nous avons fondé Typhoon en 1999.

Karsten Rühle : Après ma Maîtrise artistique en Communication de masse à l’Université de Leicester (Grande Bretagne), j’ai suivi un atelier de production de films indépendants à UCLA, avant d’entrer dans l’industrie de l’Entertainment à mon retour en Allemagne en tant que producteur adjoint d’un soap quotidien pour UFA. J’ai rejoint Typhoon en tant que producteur d’une série hebdomadaire ainsi que des dernières saisons de Abschnitt 40. GSG 9 est la première série que je produis avec Friedrich Wildfeuer dès la première phase de conception.

Il y a onze ans, RTL a révolutionné la perception de la programmation de fictions télévisées en Allemagne, lorsqu’elle a donné le contrat de la série Alerte Cobra à Hermann Joha – qui a littéralement inventé un genre avec sa compagnie action concept. Depuis deux ans Sat.1 semble donner le ton des nouvelles tendances en matière de fictions télévisées en Allemagne.

Comment percevez-vous l’évolution de ces tendances depuis 1995 ?


Friedrich Wildfeuer : Je crois qu’Alerte est une série vraiment unique et en réalité il n’y a jamais eu en Allemagne de tentative fructueuse de copier ce genre. La raison est définitivement basée sur les coûts d’une série d’action et un concept vraiment unique : des voitures rapides, l’ « Autobahn », des policiers et des cascades trépidantes.

Sat.1 a testé, ces dernières années, beaucoup de nouveaux formats avec des résultats mitigés. Une des raisons de cela est le retour en force des séries américaines sur les petits écrans allemands sous l’impulsion de la franchise CSI. Il y a aussi le fait que les séries américaines ont un grand nombre d’épisodes, ce qui est un énorme avantage parce que les chaînes peuvent sécuriser un créneau horaire pour une année. Une série peut se constituer une communauté de fans plus facilement avec un créneau fixe sur une année. La télévision est un media d’habitude.

Une série allemande arrive avec un nombre maximum de 13 épisodes par an. De plus, nous avons 30 chaînes gratuites de télévision, donc la concurrence est forte. Pourtant, Sat.1 travaille dur pour fixer de nouvelles tendances et je crois que le moment du retour sur cet investissement va arriver.

GSG9 est la bonne surprise de cette saison en Allemagne. Pourriez-vous nous parler de la création de la série et de la façon dont vous l’avez vendue à Sat.1 ?

Friedrich Wildfeuer : Le développement du format a pris beaucoup de temps. J’ai créé une série sur le Bundesgrenzchutz, rebaptisé en 2005 Bundespolizei – le GSG9 est une unité spéciale de la Bundespolizei. Sat.1 aimait le concept mais préférait centrer la série sur les gens du GSG9. Au début, j’étais sceptique quant au fait de pouvoir raconter des histoires à propos d’une unité spéciale qui se trouve à devoir résoudre des situations qui, normalement, sont résolues en quelques minutes.

Nous avons donc centré la série autour du GSG9 – les hommes derrière les cagoules. Quel genre de personnes risquent leur vie pour très peu d’argent ? Ils constituent un petit cercle, une élite. C’est extrêmement difficile d’entrer au GSG9. Donc, on essaie d’amener autant de personnages que possible dans un show structuré autour d’intrigues. On s’est aussi occupé du casting principal d’une manière très approfondie.

Karsten Rühle : Nous avons dû faire nos devoirs en obtenant toutes les informations sur le GSG9. En faisant ça j’étais préoccupé par le type d’histoires qu’on pourrait raconter dans des épisodes d’une heure, sachant que la vie quotidienne des membres du GSG9 n’est pas aussi intéressante qu’on pourrait l’imaginer. Comparée à l’attente des téléspectateurs, leur routine quotidienne est, en fait, ennuyeuse. L’étape suivante a été de créer des histoires comportant à la fois de l’action et des scènes dramatiques. Les auteurs ont travaillé très dur pour trouver l’équilibre, mais je considérais comme vital, de trouver un sujet pour chaque épisode. On a appelé ça la « colonne vertébrale dramatique » de la série.

Un des aspects les plus intéressants de la production de GSG9 est que la série n’est pas une énième tentative allemande de dupliquer les succès US du genre ou même action concept mais plutôt un effort très ambitieux d’égaler les standards de qualité d’une série comme MI-5 (Spooks), spécialement avec des scripts contenant leur dose de suspense intelligent et une utilisation narrative efficace de l’action « hors champs » - comme dans l’épisode 3, lorsque le terroriste du bus est abattu.

Quelles étaient vos références durant la conception de la série ?

Friedrich Wildfeuer : En fait, aucune série ne nous a inspirés ou servi d’exemple. Nous ne connaissions pas la série américaine The Unit – certaines personnes nous ont critiqués en disant que notre série copiait celle-là. Nous n’avons vu des épisodes de The Unit qu’un tout petit peu avant de commencer à tourner la saison 1 de GSG9. Karsten Rühle et moi n’avons jamais vu Spooks. On a créé ce format en se servant énormément de notre expérience acquise sur notre série policière Abschnitt 40, une série que nous avons produite pour RTL et qui a reçu plusieurs récompenses importantes.

Karsten Rühle : C’est drôle que vous mentionniez la séquence du terroriste abattu car cette séquence est, en fait, pour moi la plus importante de la série. Je savais que si on faisait la séquence telle que Jorge Papavassiliou l’a tournée, le public accepterait et croirait que Geb avait pris la décision qui s’imposait en abattant le terroriste en face de lui – autrement, le bus aurait explosé. D’un autre côté, cette séquence en dit long sur la tactique du GSG9 : n’utiliser son arme que s’il n’y a pas d’alternative. Cette décision doit être prise en quelques secondes et cela représente énormément de responsabilité.

Parlons de la distribution et des personnages. Quelles étaient vos exigences quand vous avez travaillé les personnages avec les scénaristes et comment avez-vous choisi les acteurs avec ces éléments à l’esprit ?

Hormis des visages relativement « frais » (d’excellents acteurs) pour des téléspectateurs hors Allemagne, on peut noter la présence dans la distribution de André Hennicke, un des plus talentueux acteurs d’Allemagne, et la révélation de Bülent Sharif et Marc Benjamin Puch. Pourriez-vous nous parler d’eux et du reste de la distribution régulière ?


Friedrich Wildfeuer : Comme le script, le casting est un élément extrêmement important pour la réussite d’une série. Pour Geb, nous cherchions un acteur avec de la dignité et de la chaleur humaine, et non un « dur ». En Ben Puch, on a trouvé le Geb parfait. Fort, crédible et chaleureux. Bülent, dans le rôle de Demir, est un garçon jovial qui n’a pas toujours le contrôle de ses émotions.

Karsten Rühle : Comme Friedrich Wildfeuer et moi avons travaillé sur d’autres séries en commun, nous savons tous les deux combien la notion d’ « ensemble » est importante. La distribution devait être, dès le début du projet, envisagée comme un « groupe de garçons ». Différents personnages, différentes nationalités, différents looks – mais tous cools et appréciables par le public. Faire cette distribution était très amusant, parce que personne dans l’équipe ne savait à quoi ressemble un agent du GSG9 mais chacun avait une image à l’esprit. Le réalisateur du premier épisode, Hans Günther Bücking avait déjà travaillé avec le « vrai » GSG 9.

Avec la directrice de casting, Sabine Weimann, il a mis plus de quatre mois à constituer l’ensemble, parce que nous savions que la réussite du premier épisode serait mise en péril si le public ne trouvait pas crédibles les acteurs jouant les membres du GSG9. La crédibilité était une des raisons pour laquelle nous avons insisté sur le choix de « talents inconnus », excepté pour André Hennicke.

Le terrorisme est un des thèmes majeurs de la série, particulièrement le radicalisme islamiste. Aux Etats-Unis, une série comme 24 est un motif constant de préoccupation pour les représentants de la communauté islamique. Avez-vous eu des réactions de la communauté turque ou, plus largement, de la communauté musulmane, à propos de la manière dont certaines histoires de GSG9 pourraient être interprétées ?

Friedrich Wildfeuer : Nos histoires traitent de toutes sortes de terrorisme et pas seulement du terrorisme aux motivations islamistes. On parle aussi des néo-nazis ou du conflit du Kosovo. Nous essayons aussi de trouver un équilibre dans les scripts entre différentes opinions et différents points de vue. Dans un épisode nous avons parlé des vols aériens de la CIA – sujet qui a fait la une de l’actualité en Allemagne.

Karsten Rühle : Nous n’avons pas vraiment de réaction, hormis que la communauté turque aime l’idée que nous ayons créé un personnage turc dans une force d’élite allemande.

Le personnage de Demir a-t-il été créé pour contrebalancer un possible malentendu ou est-ce simplement que, depuis Erdogan Atalay dans Cobra 11, les séries allemandes intègrent les réalités sociales du pays ?

Friedrich Wildfeuer : Le personnage de Demir a été créé avant tout parce que les vrais membres du GSG9 proviennent de différentes origines ethniques.

Karsten Rühle : Nous utilisons le personnage pour les deux raisons que vous évoquez, c’est vrai. Le plus important étant néanmoins le fait que le personnage contrebalance le terrorisme religieux. On a trouvé ainsi une excellente clé de compréhension du monde religieux de l’Islam, et des problèmes de la communauté en Allemagne, confrontée au radicalisme islamiste et à l’image biaisée donnée par les medias sur le sujet.

Demir nous donne aussi la possibilité de poser des questions qui dérangent – pas seulement à propos de l’Islam, mais aussi à propos de la manière officielle dont l’Allemagne traite la religion islamique et le radicalisme islamiste. Spécialement, lorsque nous avons trouvé nous-mêmes qu’il était difficile de répondre aux questions posées dans la série, par exemple : est-ce qu’il est autorisé de torturer quelqu’un pour sauver un grand nombre de personnes ?

Comment réussissez-vous à trouver l’équilibre entre des histoires crédibles, les séquences d’action, l’humour et les moments d’émotion ? (avec les vies personnelles des membres de l’équipe ?)

Friedrich Wildfeuer : Il n’y a pas d’autre recette que de travailler dur et de toujours vérifier que tous les éléments sont bien équilibrés dans le script.

Karsten Rühle : Parce que toute l’équipe est inspirée par l’idée de créer un nouveau format, cet équilibre est ce sur quoi nous travaillons le plus. Même si nous avons des réalisateurs et scénaristes expérimentés, créer un format prend du temps. Entre la première idée de l’épisode avec le terroriste dans le bus, épisode que vous avez mentionné, et le script final, se sont écoulés 12 mois. Nous avons eu l’idée dès le début de la conception de la série, mais dans cet épisode, il était extrêmement compliqué de trouver l’équilibre que nous recherchions pour pouvoir le tourner en 11 jours.

Nous sommes de plus en plus rapides, car les auteurs, réalisateurs et acteurs ont de plus en plus confiance en eux-mêmes. Typhoon et Friedrich Wildfeuer me donnent toujours la possibilité de vérifier et de refaire des choses durant le tournage, même pendant le tournage.

La crédibilité est un des aspects séduisants de GSG9. Avez-vous des conseillers techniques et les acteurs doivent-ils s’entraîner pour les séquences d’action ?

Friedrich Wildfeuer : Nous avons un ancien membre du GSG9 dans notre équipe qui lit tous les scripts et vérifie tous les aspects relatifs à la crédibilité. Et les acteurs se sont entraînés avec de vrais membres des forces spéciales.

Combien de temps faut-il pour tourner un épisode ?

Friedrich Wildfeuer : Pour la première saison, le tournage d’un épisode durait 11 jours et demi.

Karsten Rühle : Le budget nous permet ces 11 jours et demi. Les consultants sont sur le tournage pour les séquences d’action. Toutefois, le travail principal de nos conseillers du GSG9 se fait conjointement avec les scénaristes avant la version finale du script.

Quels sont les taux d’audience de la série ? Une deuxième saison est-elle en discussion ?

Friedrich Wildfeuer : Après un bon démarrage avec 13% sur les groupes cibles, l’audience a baissé du fait de la forte concurrence du football, spécialement de la Ligue des Champions. Puis, c’est remonté sur les quatre derniers épisodes pour arriver à des scores plus hauts que ceux du premier. Nous venons juste de commencer le tournage de la saison 2 avec 12 nouveaux épisodes.

Pourriez-vous nous présenter les autres productions cinématographiques ou télévisuelles de Typhoon AG ? La compagnie a un passé solide en matière de production télévisuelle mais allez-vous étendre vos activités dans le cinéma ?

Friedrich Wildfeuer : On peut avoir un très bon aperçu des productions de Typhoon sur notre site internet. Nous produisons aussi des films pour le cinéma. Le premier fut The Experiment, qui a très bien marché avec 1,7 millions d’entrées et un beau succès critique. Le deuxième était Bluthochzeit, d’après la bande-dessinée belge Lune de Guerre. En ce moment, nous avons un film appelé Freischwimmer en post-production.

Typhoon a aussi produit, pour RTL, une émission comique à succès durant des années, ça s’appelait Freitag Nacht News. Ce programme a été supprimé l’année dernière. Maintenant on se concentre sur des fictions de qualité : des films de cinéma, des téléfilms et des séries.

De quoi êtes-vous les plus fiers sur l’ensemble de vos carrières respectives et sur GSG9 en particulier ? Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Friedrich Wildfeuer :: Je suis fier de toutes les productions Typhoon et particulièrement de The Experiment et de Abschnitt 40, une série policière qu’on produisait pour RTL. Un de nos sommets fut aussi la mini-série Blackout. GSG9 est spécial parce qu’il est très difficile de créer une série avec une unité d’élite qui va au-delà de l’action pure. C’était notre but et nous sommes sur la bonne voie.

Karsten Rühle : Je travaille sur la seconde saison de GSG9 et sur le développement d’un film pour Pro7 d’après le roman Le cercle de sang par Jérôme Delafosse.

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