Une conversation instructive, franche, chaleureuse et pleine d'humour entre Russell T. Davies, scénariste et producteur, patron de la franchise Doctor Who, et le journaliste Benjamin Cook - collaborateur régulier du Radio Times et de Doctor Who Magazine. Cette discussion se déroule entre février 2007 et mars 2008, durant une période plus que décisive pour la série télévisée à succès et ses spin-offs.
LA PLUS GRANDE HISTOIRE JAMAIS CONTEE
« Renouvelé? Vraiment? C'est ça, j'ai été renouvelé. C'est grâce au TARDIS. Sans ça je ne pourrai survivre. » (Le second Docteur, Power of the Daleks, 1966)
En 1963 Sydney Newman, responsable des dramatiques à la BBC, décide de lancer une série télé de science-fiction pour enfants à caractère éducatif. Avec pour héros un mystérieux vieil homme grincheux d'origine extra-terrestre appelé Le Docteur. Ce Docteur voyage à travers l'espace et le temps avec des compagnons humains dans une cabine d'appel de la police de couleur bleue - plus grande à l'intérieur qu'à l'extérieur. Newman demande à une brillante jeune femme dénommée Verity Lambert (http://thierryattard.blogspot.com/2008/04/verity-lambert.html) de produire la série. Après la première histoire elle est convaincue qu'il est crucial de poursuivre avec une histoire plus spectaculaire, et choisit en dépit des réticences de Donald Wilson, responsable des séries pour la Beeb, un script de Terry Nation où Le Docteur et ses compagnons affrontent des robots démoniaques ressemblant à des poivrières: Les Daleks.
Cette décision avisée rend le programme très populaire, mais c'est une idée simple qui va confèrer à Doctor Who une longévité extraordinaire: en 1966 William Hartnell, l'acteur qui joue le Docteur, doit quitter la série. Les producteurs et le responsable des scenarii décident de "régénérer" leur personnage de vieux grincheux en une espèce de clochard chaplinesque interprété par Patrick Troughton. Cinq autres acteurs suivront sa trace (avec des costumes, des personnalités et des compagnons différents) jusqu'à l'annulation en 1989 de ce qui était devenu à travers les années une véritable institution britannique.
Doctor Who est brièvement ressuscité pour le réseau américain Fox en 1996, avec un téléfilm co-produit par la BBC et Universal Television. Puis un long métrage cinéma est envisagé mais en 2003 la Corporation pense qu'il est temps que le Docteur fasse un véritable retour à la télévision. La productrice galloise Julie Gardner, Responsable des dramatiques pour BBC Wales (BBC Pays de Galles), est contactée par Jane Tranter, contrôleur en charge des dramatiques, qui lui offre de pouvoir s'occuper de la nouvelle version de Doctor Who. Gardner appelle Russell T. Davies, scénariste et producteur né à Swansea - créateur de classiques tels que Queer as Folk, Bob & Rose ou The Second coming - et avec qui elle a travaillé sur Casanova (qui met en vedette David Tennant dans le rôle du jeune Giacomo Casanova).
THE SHAKESPEARE CODE
« Avais-tu déjà pensé, vraiment, que Doctor Who serait si important pour la BBC? C'est sans doute ce qui est tout à la fois la chose la plus folle et la plus positive. » (Russell T. Davies à Benjamin Cook)
Le nouveau Doctor Who est lançé en mars 2005. Quatre saisons, deux séries dérivées Torchwood et The Sarah Jane Adventures), deux stars - Christopher Eccleston et David Tennant - et un spécial plus tard, le nouveau Who est à la hauteur du statut de série culte de la version antérieure, en étant le navire amiral de la qualité de la télévision britannique telle que perçue dans le monde entier. La série est devenue le principal aimant à profit de BBC Worldwide, la branche commerciale de la Beeb, et suscite chaque jours plusieurs milliards de mots en rumeurs, infos, commentaires et analyses sur des sites et forums internet, et dans la presse.
Doctor Who: The Writer's Tale, est construit autour d'une correspondance d'e-mails entre Russell T. Davies, "showrunner" et scénariste en chef de Doctor Who, et le journaliste Benjamin Cook. Elle démarre en février 2007 lorsque Cook a l'idée d'un article de magazine à propos du processus scénaristique sur un ou deux épisodes de Doctor Who écrits par Davies, et au-delà de ça, à propos de l'exploration du « méticuleux processus de création ». L'auteur accepte gracieusement bien qu'il n'y ait « que très peu de traces physiques du processus scénaristique à te montrer. Pas de notes. Je pense, et pense et pense encore...» Le cheminement de la pensée est précisément ce qui intéresse Cook et ils entament ce que Davies surnomme La Grande Correspondance (« ...on pourrait même en tirer un livre »).
D'après Benjamin Cook, le poids de l'attente semble être ce qui pousse Russell T. Davies a écrire. Et les attentes sont plus fortes que jamais en ce début de 2007, après les sommets atteints par la saison 3 (la meilleure saison à ce jour) et avant la figure imposée du méga-colossal démesuré spécial de Noël (aptement "pitché" comme étant un « croisement entre Titanic dans l'espace et L'Aventure du Poseidon! ») - grand moment des vacances de Noël tant pour les fans de Who que pour les télespectateurs britanniques en général.
DOCTOR WHO CONFIDENTIAL BACKSTAGE
« Il n'y aura pas de Doctor Who cette année. Russell était trop occupé à envoyer des e-mails à Ben. » (Benjamin Cook)
Illustré par des pages de scripts, de magnifiques photos jamais vues auparavant, des notes, des messages textos, des travaux de création artistique, ainsi que les propres dessins de Davies (1), Doctor Who: The Writer's tale est le "pass All Access" pour les coulisses du nouveau Who, un Doctor Who Confidential (la série compagnon de Doctor Who) avec plus de sentiments. L' exploration de ce qui anime un des plus importants scénaristes de ce siècle lorsqu'il crèe pour une des plus populaires franchises de la télévision contemporaine. L'écriture est au coeur de la production de séries télévisées au Royaume-Uni (http://dknowsall.blogspot.com/2008/11/boob-tube-how-long-should-series-last.html), ce qui a ce niveau pourrait suffire à faire de The Writer's tale un document du plus grand intérêt.
« Tout ça existe dans ce grand ragoût qui est dans ma tête parce que n'importe quelle histoire peut partir dans n'importe quelle direction. Ce n'est pas tant ce qu'on écrit que ce qu'on choisit qui compte - et je suis bon lorsqu'il s'agit de faire des choix». Turn left? Cook s'embarque pour un voyage privilégié au sein des choix quotidiens du Maître Esprit, à propos chacun des aspects de la préparation et du tournage de la quatrième saison de Doctor Who: l'introduction de la nouvelle assistante du Docteur (Penny?) mais « Est-ce qu'on peut faire revenir Donna [Noble, interprétée bien sûr par Catherine Tate] pour quelques épisodes » - demande Jane Tranter, les vedettes invitées pour le spécial (David Jason ou le Dennis Hopper? Kylie Minogue... « Oui. Kylie Minogue! Ha ha ha ha »), un script se passant durant la Duexième guerre mondiale par Mark Gatiss, des scripts en retard pour The Sarah Jane Adventures, le retour annuel d'une némésis de l'équipe de Torchwood, une race extra-terrestre "trop Primeval", etc... Et lorsqu'arrive le sujet de Russell T. Davies déclinant l'offre de s'occuper d'une cinquième saison (« Ce n'est pas une question d'argent, et tant Jane que Julie [Gardner] le savent »), le livre se transforme en la chronique journalière de l'Année de tous les dangers pour le programme le plus célébré de la télévision britannique.
VOYAGE OF THE DAMNED
« L'idée derrière ce livre, alors, était de découvrir exactement ce que c'est de vivre, et d'écrire, sous la pesanteur d'une telle attente » (Benjamin Cook)
Pesanteur est le mot qui convient pour résumer combien avoir en charge la destinée d'une icône telle que Le Docteur, qui a presque un demi-siècle d'Histoire, peut être un fardeau. Tout d'abord le poids des fans, de ceux que Davies a baptisé plutôt maladroitement les "ming-mongs". « J'ai parcouru Outpost Gallifrey pour lire combien je suis nul »... Russell T. Davies semble avoir un problème personnel avec Outpost Gallifrey (http://www.gallifreyone.com/), quand il décrit comment surfer sur ce forum a été une expérience quasi-traumatique pour la scénariste Helen Raynor, comme pour le compositeur Murray Gold. A cet égard, écrire un provocateur « Créer quelque chose n'est pas une démocratie. Les gens n'ont pas leur mot à dire » ne va certainement pas arranger les choses (et encore moins la remarque sur « l'inépuisable et impitoyable idiotie de la 'critique' sur internet » de l'écrivain renommé Philip Pullman dans sa préface pour le livre).
Ensuite, le poids de l'économie, depuis la très responsable préoccupation de ne pas gaspiller l'argent de la BBC (« Bien sûr que le problème du budget me terrifie. J'ai dépensé près de 500 millions de livres sterling, alors je vais devoir me calmer un peu. Où je pourrai bien leur demander de fermer BBC Three »), jusqu'aux réalités d'une franchise télé lucrative (à propos de yaourts aux fruits: « C'est le seul produit sous licence sur lequel Julie et moi étions hésitants, mais ce genre de choses peut valoir une fortune pour BBC Worldwide »). Enfin, le poids de décisions personnelles sur la quatrième saison. « Nous avions décidé que nous ferions une quatrième saison (la troisième de David [Tennant]) avec une fin impressionnante après laquelle on retirerait la série de l'antenne, juste pour un petit moment, à part le spécial. Comme ça on pourrait respirer un peu, puis une nouvelle équipe de production pourrait s'installer, trouver ses marques, et se préparer pour la saison 5 »...
A ce stade, la presse tabloïde se jette sur les plans de Davies et l'impression qu'on en retire est que l'équipe de Doctor Who a désespérement besoin des services de la Jenny Lewis de Primeval. Ce n'est pas la première fois, car il se souvient encore de la fuite à propos de Christopher Eccleston quittant la série. « On a plannifié ça de longue date »... mais les plans ne se déroulent pas toujours sans accroc: « ... quand David termine la saison 4, il part pour la Royal Shakespeare Company jouer Hamlet» et la production réalise qu'il ne sera pas dans la saison 4 à cause du calendrier. « ... je m'inquiétais du fait que David était personnellement tenu responsable pour 'l'année d'interruption', comme si on faisait ça pour qu'il puisse jouer Hamlet » Que dirait Francis Urquhart? (2)
Peter Fincham, controleur de la BBC à l'époque, s'inquiète aussi (« Pourquoi est-ce qu'on fait ça?! Pourquoi?! »): « J'ai dû aller dans le bureau extrèmement huppé de Peter Fincham, aujourd'hui, et lui expliquer pourquoi je ne serai pas sur une cinquième saison. Oh, il n'est pas content. C'était très délicat ». Les problèmes arrivent de toute part et Russell T. Davies s'inquiète également pour les équipes qui travaillent régulièrement sur la série, à Cardiff, après l'annonce que Doctor Who ne reviendrait pas avant 2010. Et un incendie ravage une partie des studios Cinnecittà Studios à Rome, où la production tournait l'épisode censé se passer à Pompeii - « Phil [Collinson, producteur] ne serait-il pas sorti pour fumer, et est-ce qu'il n'aurait pas laissé tomber sa cigarette? » demande candidement Benjamin Cook.
A LA CROISEE DES CHEMINS
« Steven, j'ai changé d'avis? Comment, 'Russell qui'?»
Journal subconscient de la saison 4, Doctor Who: The Writer's Tale est un instrument de choix pour une meilleure compréhension de ces moments de manipulation accrocheuse typiques du règne flamboyant de Russell T. Davies: la "Fille du Docteur" (« Allez, Russell, fuite ça et regarde internet exploser! »), le terrible "envoyez le clone" de la régénération avortée, le grand David Morrissey en Next Doctor dans une occasion manquée... Ce qui n'est pas compréhensible c'est ce moment anti-accrocheur dans la conversation entre "Invisible Ben" et Davies qui mène - « Quoi? Quoi? Quoiiii??? » - à l'abandon du cliffhanger de la saison, avec les Cybermen, au profit d'une bande-annonce après le générique de fin.
The Writer's Tale est une histoire de création et de créativité, un feuilleton corporatif, un roman d'aventure, une invitation à assister à la fin d'une époque pour la meilleure série de l'Histoire de la Télévision (avec un nouveau Docteur et une nouvelle équipe de production arrivant pour la saison 5), un tour de force du journaliste Benjamin Cook. C'est aussi un exercice de transparence pour Davies, auteur devenu de facto entrepreneur dans un environnement où piloter une institution telle que Doctor Who provoque souvent la controverse (« Nous avions besoin d'un désert. C'est aussi simple que ça » (3) ) - sur la voie tracée par le regretté John Nathan-Turner, le premier "showrunner" moderne de la franchise. Les 512 pages du livre ont du sens mais aussi de la sensibilité, lorsque la mère de David Tennant est évoquée, mais surtout dans la partie la plus émouvante de Doctor Who: The Writer's Tale: quand Howard Attfield, l'interprète du père de Donna Noble, doit être remplaçé par Bernard Cribbins (dans le rôle du grand-père de Donna), à cause de sa maladie.
Russell T. Davies va laisser les clés du Tardis à Steven Moffat, un autre représentant de cette génération brillante de scénariste qui rend la fiction télévisuelle britannique si unique. Queer as Folk a qualifié Davies en tant qu'auteur audacieux et novateur, et il a relançé Doctor Who pour ancrer la série dans les réalités de son époque. « Voilà la définition de Doctor Who. C'est la série qui revient ». Davies l'auteur va revenir après Doctor Who et on peut parier que le poids de notre attente égalera celui de ses propres attentes et de ses propres défis.
(1) A quand un livre réunissant exclusivement des dessins de Russell T. Davies sur la production de Doctor Who? A la manière du Will write and direct for food de Sir Alan Parker (http://thierryattard.blogspot.com/2008/05/le-ralisateur-et-scnariste-alan-parker.html).
(2) Personnage créé par le romancier Michael Dobbs, popularisé par la sublime interprétation de Ian Richardson dans la trilogie Château de cartes (House of Cards), et dont la phrase fétiche est: « Vous êtes libre de le croire, mais je ne puis faire de commentaire ».
(3) http://www.sfx.co.uk/page/sfx?entry=doctor_whobai
Doctor Who: The Writer's Tale (BBC Books/£30 - http://www.rbooks.co.uk/product.aspx?id=1846075718)
Site officiel de The Writer's Tale: http://www.thewriterstale.com/ (avec six scripts téléchargeables en format PDF).
LA PLUS GRANDE HISTOIRE JAMAIS CONTEE
« Renouvelé? Vraiment? C'est ça, j'ai été renouvelé. C'est grâce au TARDIS. Sans ça je ne pourrai survivre. » (Le second Docteur, Power of the Daleks, 1966)
En 1963 Sydney Newman, responsable des dramatiques à la BBC, décide de lancer une série télé de science-fiction pour enfants à caractère éducatif. Avec pour héros un mystérieux vieil homme grincheux d'origine extra-terrestre appelé Le Docteur. Ce Docteur voyage à travers l'espace et le temps avec des compagnons humains dans une cabine d'appel de la police de couleur bleue - plus grande à l'intérieur qu'à l'extérieur. Newman demande à une brillante jeune femme dénommée Verity Lambert (http://thierryattard.blogspot.com/2008/04/verity-lambert.html) de produire la série. Après la première histoire elle est convaincue qu'il est crucial de poursuivre avec une histoire plus spectaculaire, et choisit en dépit des réticences de Donald Wilson, responsable des séries pour la Beeb, un script de Terry Nation où Le Docteur et ses compagnons affrontent des robots démoniaques ressemblant à des poivrières: Les Daleks.
Cette décision avisée rend le programme très populaire, mais c'est une idée simple qui va confèrer à Doctor Who une longévité extraordinaire: en 1966 William Hartnell, l'acteur qui joue le Docteur, doit quitter la série. Les producteurs et le responsable des scenarii décident de "régénérer" leur personnage de vieux grincheux en une espèce de clochard chaplinesque interprété par Patrick Troughton. Cinq autres acteurs suivront sa trace (avec des costumes, des personnalités et des compagnons différents) jusqu'à l'annulation en 1989 de ce qui était devenu à travers les années une véritable institution britannique.
Doctor Who est brièvement ressuscité pour le réseau américain Fox en 1996, avec un téléfilm co-produit par la BBC et Universal Television. Puis un long métrage cinéma est envisagé mais en 2003 la Corporation pense qu'il est temps que le Docteur fasse un véritable retour à la télévision. La productrice galloise Julie Gardner, Responsable des dramatiques pour BBC Wales (BBC Pays de Galles), est contactée par Jane Tranter, contrôleur en charge des dramatiques, qui lui offre de pouvoir s'occuper de la nouvelle version de Doctor Who. Gardner appelle Russell T. Davies, scénariste et producteur né à Swansea - créateur de classiques tels que Queer as Folk, Bob & Rose ou The Second coming - et avec qui elle a travaillé sur Casanova (qui met en vedette David Tennant dans le rôle du jeune Giacomo Casanova).
THE SHAKESPEARE CODE
« Avais-tu déjà pensé, vraiment, que Doctor Who serait si important pour la BBC? C'est sans doute ce qui est tout à la fois la chose la plus folle et la plus positive. » (Russell T. Davies à Benjamin Cook)
Le nouveau Doctor Who est lançé en mars 2005. Quatre saisons, deux séries dérivées Torchwood et The Sarah Jane Adventures), deux stars - Christopher Eccleston et David Tennant - et un spécial plus tard, le nouveau Who est à la hauteur du statut de série culte de la version antérieure, en étant le navire amiral de la qualité de la télévision britannique telle que perçue dans le monde entier. La série est devenue le principal aimant à profit de BBC Worldwide, la branche commerciale de la Beeb, et suscite chaque jours plusieurs milliards de mots en rumeurs, infos, commentaires et analyses sur des sites et forums internet, et dans la presse.
Doctor Who: The Writer's Tale, est construit autour d'une correspondance d'e-mails entre Russell T. Davies, "showrunner" et scénariste en chef de Doctor Who, et le journaliste Benjamin Cook. Elle démarre en février 2007 lorsque Cook a l'idée d'un article de magazine à propos du processus scénaristique sur un ou deux épisodes de Doctor Who écrits par Davies, et au-delà de ça, à propos de l'exploration du « méticuleux processus de création ». L'auteur accepte gracieusement bien qu'il n'y ait « que très peu de traces physiques du processus scénaristique à te montrer. Pas de notes. Je pense, et pense et pense encore...» Le cheminement de la pensée est précisément ce qui intéresse Cook et ils entament ce que Davies surnomme La Grande Correspondance (« ...on pourrait même en tirer un livre »).
D'après Benjamin Cook, le poids de l'attente semble être ce qui pousse Russell T. Davies a écrire. Et les attentes sont plus fortes que jamais en ce début de 2007, après les sommets atteints par la saison 3 (la meilleure saison à ce jour) et avant la figure imposée du méga-colossal démesuré spécial de Noël (aptement "pitché" comme étant un « croisement entre Titanic dans l'espace et L'Aventure du Poseidon! ») - grand moment des vacances de Noël tant pour les fans de Who que pour les télespectateurs britanniques en général.
DOCTOR WHO CONFIDENTIAL BACKSTAGE
« Il n'y aura pas de Doctor Who cette année. Russell était trop occupé à envoyer des e-mails à Ben. » (Benjamin Cook)
Illustré par des pages de scripts, de magnifiques photos jamais vues auparavant, des notes, des messages textos, des travaux de création artistique, ainsi que les propres dessins de Davies (1), Doctor Who: The Writer's tale est le "pass All Access" pour les coulisses du nouveau Who, un Doctor Who Confidential (la série compagnon de Doctor Who) avec plus de sentiments. L' exploration de ce qui anime un des plus importants scénaristes de ce siècle lorsqu'il crèe pour une des plus populaires franchises de la télévision contemporaine. L'écriture est au coeur de la production de séries télévisées au Royaume-Uni (http://dknowsall.blogspot.com/2008/11/boob-tube-how-long-should-series-last.html), ce qui a ce niveau pourrait suffire à faire de The Writer's tale un document du plus grand intérêt.
« Tout ça existe dans ce grand ragoût qui est dans ma tête parce que n'importe quelle histoire peut partir dans n'importe quelle direction. Ce n'est pas tant ce qu'on écrit que ce qu'on choisit qui compte - et je suis bon lorsqu'il s'agit de faire des choix». Turn left? Cook s'embarque pour un voyage privilégié au sein des choix quotidiens du Maître Esprit, à propos chacun des aspects de la préparation et du tournage de la quatrième saison de Doctor Who: l'introduction de la nouvelle assistante du Docteur (Penny?) mais « Est-ce qu'on peut faire revenir Donna [Noble, interprétée bien sûr par Catherine Tate] pour quelques épisodes » - demande Jane Tranter, les vedettes invitées pour le spécial (David Jason ou le Dennis Hopper? Kylie Minogue... « Oui. Kylie Minogue! Ha ha ha ha »), un script se passant durant la Duexième guerre mondiale par Mark Gatiss, des scripts en retard pour The Sarah Jane Adventures, le retour annuel d'une némésis de l'équipe de Torchwood, une race extra-terrestre "trop Primeval", etc... Et lorsqu'arrive le sujet de Russell T. Davies déclinant l'offre de s'occuper d'une cinquième saison (« Ce n'est pas une question d'argent, et tant Jane que Julie [Gardner] le savent »), le livre se transforme en la chronique journalière de l'Année de tous les dangers pour le programme le plus célébré de la télévision britannique.
VOYAGE OF THE DAMNED
« L'idée derrière ce livre, alors, était de découvrir exactement ce que c'est de vivre, et d'écrire, sous la pesanteur d'une telle attente » (Benjamin Cook)
Pesanteur est le mot qui convient pour résumer combien avoir en charge la destinée d'une icône telle que Le Docteur, qui a presque un demi-siècle d'Histoire, peut être un fardeau. Tout d'abord le poids des fans, de ceux que Davies a baptisé plutôt maladroitement les "ming-mongs". « J'ai parcouru Outpost Gallifrey pour lire combien je suis nul »... Russell T. Davies semble avoir un problème personnel avec Outpost Gallifrey (http://www.gallifreyone.com/), quand il décrit comment surfer sur ce forum a été une expérience quasi-traumatique pour la scénariste Helen Raynor, comme pour le compositeur Murray Gold. A cet égard, écrire un provocateur « Créer quelque chose n'est pas une démocratie. Les gens n'ont pas leur mot à dire » ne va certainement pas arranger les choses (et encore moins la remarque sur « l'inépuisable et impitoyable idiotie de la 'critique' sur internet » de l'écrivain renommé Philip Pullman dans sa préface pour le livre).
Ensuite, le poids de l'économie, depuis la très responsable préoccupation de ne pas gaspiller l'argent de la BBC (« Bien sûr que le problème du budget me terrifie. J'ai dépensé près de 500 millions de livres sterling, alors je vais devoir me calmer un peu. Où je pourrai bien leur demander de fermer BBC Three »), jusqu'aux réalités d'une franchise télé lucrative (à propos de yaourts aux fruits: « C'est le seul produit sous licence sur lequel Julie et moi étions hésitants, mais ce genre de choses peut valoir une fortune pour BBC Worldwide »). Enfin, le poids de décisions personnelles sur la quatrième saison. « Nous avions décidé que nous ferions une quatrième saison (la troisième de David [Tennant]) avec une fin impressionnante après laquelle on retirerait la série de l'antenne, juste pour un petit moment, à part le spécial. Comme ça on pourrait respirer un peu, puis une nouvelle équipe de production pourrait s'installer, trouver ses marques, et se préparer pour la saison 5 »...
A ce stade, la presse tabloïde se jette sur les plans de Davies et l'impression qu'on en retire est que l'équipe de Doctor Who a désespérement besoin des services de la Jenny Lewis de Primeval. Ce n'est pas la première fois, car il se souvient encore de la fuite à propos de Christopher Eccleston quittant la série. « On a plannifié ça de longue date »... mais les plans ne se déroulent pas toujours sans accroc: « ... quand David termine la saison 4, il part pour la Royal Shakespeare Company jouer Hamlet» et la production réalise qu'il ne sera pas dans la saison 4 à cause du calendrier. « ... je m'inquiétais du fait que David était personnellement tenu responsable pour 'l'année d'interruption', comme si on faisait ça pour qu'il puisse jouer Hamlet » Que dirait Francis Urquhart? (2)
Peter Fincham, controleur de la BBC à l'époque, s'inquiète aussi (« Pourquoi est-ce qu'on fait ça?! Pourquoi?! »): « J'ai dû aller dans le bureau extrèmement huppé de Peter Fincham, aujourd'hui, et lui expliquer pourquoi je ne serai pas sur une cinquième saison. Oh, il n'est pas content. C'était très délicat ». Les problèmes arrivent de toute part et Russell T. Davies s'inquiète également pour les équipes qui travaillent régulièrement sur la série, à Cardiff, après l'annonce que Doctor Who ne reviendrait pas avant 2010. Et un incendie ravage une partie des studios Cinnecittà Studios à Rome, où la production tournait l'épisode censé se passer à Pompeii - « Phil [Collinson, producteur] ne serait-il pas sorti pour fumer, et est-ce qu'il n'aurait pas laissé tomber sa cigarette? » demande candidement Benjamin Cook.
A LA CROISEE DES CHEMINS
« Steven, j'ai changé d'avis? Comment, 'Russell qui'?»
Journal subconscient de la saison 4, Doctor Who: The Writer's Tale est un instrument de choix pour une meilleure compréhension de ces moments de manipulation accrocheuse typiques du règne flamboyant de Russell T. Davies: la "Fille du Docteur" (« Allez, Russell, fuite ça et regarde internet exploser! »), le terrible "envoyez le clone" de la régénération avortée, le grand David Morrissey en Next Doctor dans une occasion manquée... Ce qui n'est pas compréhensible c'est ce moment anti-accrocheur dans la conversation entre "Invisible Ben" et Davies qui mène - « Quoi? Quoi? Quoiiii??? » - à l'abandon du cliffhanger de la saison, avec les Cybermen, au profit d'une bande-annonce après le générique de fin.
The Writer's Tale est une histoire de création et de créativité, un feuilleton corporatif, un roman d'aventure, une invitation à assister à la fin d'une époque pour la meilleure série de l'Histoire de la Télévision (avec un nouveau Docteur et une nouvelle équipe de production arrivant pour la saison 5), un tour de force du journaliste Benjamin Cook. C'est aussi un exercice de transparence pour Davies, auteur devenu de facto entrepreneur dans un environnement où piloter une institution telle que Doctor Who provoque souvent la controverse (« Nous avions besoin d'un désert. C'est aussi simple que ça » (3) ) - sur la voie tracée par le regretté John Nathan-Turner, le premier "showrunner" moderne de la franchise. Les 512 pages du livre ont du sens mais aussi de la sensibilité, lorsque la mère de David Tennant est évoquée, mais surtout dans la partie la plus émouvante de Doctor Who: The Writer's Tale: quand Howard Attfield, l'interprète du père de Donna Noble, doit être remplaçé par Bernard Cribbins (dans le rôle du grand-père de Donna), à cause de sa maladie.
Russell T. Davies va laisser les clés du Tardis à Steven Moffat, un autre représentant de cette génération brillante de scénariste qui rend la fiction télévisuelle britannique si unique. Queer as Folk a qualifié Davies en tant qu'auteur audacieux et novateur, et il a relançé Doctor Who pour ancrer la série dans les réalités de son époque. « Voilà la définition de Doctor Who. C'est la série qui revient ». Davies l'auteur va revenir après Doctor Who et on peut parier que le poids de notre attente égalera celui de ses propres attentes et de ses propres défis.
(1) A quand un livre réunissant exclusivement des dessins de Russell T. Davies sur la production de Doctor Who? A la manière du Will write and direct for food de Sir Alan Parker (http://thierryattard.blogspot.com/2008/05/le-ralisateur-et-scnariste-alan-parker.html).
(2) Personnage créé par le romancier Michael Dobbs, popularisé par la sublime interprétation de Ian Richardson dans la trilogie Château de cartes (House of Cards), et dont la phrase fétiche est: « Vous êtes libre de le croire, mais je ne puis faire de commentaire ».
(3) http://www.sfx.co.uk/page/sfx?entry=doctor_whobai
Doctor Who: The Writer's Tale (BBC Books/£30 - http://www.rbooks.co.uk/product.aspx?id=1846075718)
Site officiel de The Writer's Tale: http://www.thewriterstale.com/ (avec six scripts téléchargeables en format PDF).
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