mercredi 5 novembre 2008

POUR UNE POIGNEE DE RECONFORT (A PROPOS DE LA SORTIE DE QUANTUM OF SOLACE)

Remerciements spéciaux à François Justamand

« C'est un monde nouveau, avec de nouveaux ennemis, et de nouvelles menaces. Mais vous pouvez toujours compter sur un homme... » Et bien au moins ses producteurs le peuvent: Quantum of Solace, le nouveau 007 - sorti le 31 octobre - bat tous les records pour son premier week-end en Europe: 1,3 millions d'entrées en France (sur 3 jours) et £ 15 384 217 pour sa sortie au Royaume-Uni, marché test par nature pour la franchise. Le film sort le 14 novembre aux Etats-Unis.

Avec une note de 261 millions de dollars pour un film de 105 minutes, peut-être le film le plus couteux minute par minute jamais réalisé (http://www.deadlinehollywooddaily.com/new-bond-wannasee-double-casino-royale-questions-about-quantum-of-solace-cost/), l'échec n'était pas une option pour Sony, MGM et Eon Productions, les forces derrière Quantum. Les explications de ces très bons chiffres du premier week-end sont multiples: des dates de sorties pertinemment planifiées, pas de concurrence réelle, le succès commercial de Casino Royale - le précédent, et le prestige d'un des mythes les plus solides de la pop culture: James Bond.

Mais lequel exactement? Le personnage créé par Ian Fleming pour ses romans? Sean Connery dans James Bond 007 contre Docteur No (1962) et Bons baisers de Russie (1963)? Ou le sommet de l'évasion extravagante sur grand écran établi dans Goldfinger (1964): le super-espion séducteur et suave combattant des vilains mégalomanes, avec un petit peu d'aide sous la forme de gadgets, des voitures pleinement équipées pour permis de tuer, et des filles tout droit sorties de rêves de Hugh Hefner. Le tout avec cette ingéniosité et cette sagacité typiquement britanniques, au shaker et pas à la cuillère.

Les livres demeurent rarement intacts lorsqu'ils sont adaptés au cinéma. Honnêtement et avec tout le respect dû à l'oeuvre de Ian Fleming, la seule façon convenable d'être aujourd'hui fidèle à ses romans serait de produire des mini-séries se passant à l'époque des livres et avec les normes de qualité d'un Poirot avec David Suchet. Sans l'alchimie qui fit de Sean Connery la star immortelle du dyptique Docteur No/Bons baisers de Russie (longtemps avant que les producteurs ne décident que Quantum of Solace serait une suite) la création de Fleming aurait été transposée uniquement en bande dessinée (http://thierryattard.blogspot.com/2008/04/james-bond-007-spy-who-loved-me.html) et pour l'épisode d'une anthologie oubliée de la Préhistoire de la télévision.

Goldfinger a fait le cinéma commercial moderne et imposé les canons d'un genre à part entière pour des générations allant tous les deux ans (sauf exceptions) voir UN JAMES BOND, « la marque déposée du grand spectacle moderne »: élégance, action, aventure, lieux exotiques, voitures classieuses, la gigantesque tanière du méchant conçue par Ken Adam, les traits d'esprit, les fabuleux génériques, le talent de John Barry et CE thème. Le thème le plus célèbre au monde: The James Bond theme.

Et ce Bond-là a perduré pendant quarante ans avec flamboyance, beaucoup de hauts, quelques bas, essayant parfois maladroitement d'émuler des phénomènes du Box Office de leurs temps, comme Shaft pour Vivre et laisser mourir (1973), les films de la Shaw Brothers pour L'homme au pistolet d'or (1975), où même La guerre des étoiles - prototype des "franchises" telles que nous les connaissons aujourd'hui, pour Moonraker en 1979. Mais toujours avec un si ce n'est plus de ces moments construisant sa gloire éternelle et toujours dans le respect de l'âme du James Bond cinématographique: évasion à grand spectacle garantie. A cette époque Bond était synonyme de sensations cinématographiques vendues par des génies de la publicité imaginant les plus grands slogans et commandant de magnifiques affiches peintes. Nous connaissions le nom, nous connaissions le numéro.

Alors vint Meurs un autre jour (2002), avec ses excès et ratés sous le poids des mesures de catégories d'audience et contre le reflet d'un miroir déformant appelé Austin Powers. A ce moment-là votre humble serviteur, depuis longtemps amateur de James Bond, pensait qu'il était temps d'aider la franchise à ne pas finir en sujet perpétuel de rigolade pour Mad Magazine, et théorisa pompeusement devant ses infortunés amis le soi-disant manque de crédibilité de 007 au 21ème siècle - insistant sur le fait que ses espions favoris de l'écran étaient Harry Palmer et George Smiley (ce qui est toujours le cas, à propos...)

James Bond avait atteint le sommet de sa popularité en tant qu'un des « Trois B », la Sainte Trinité des Swinging Sixties: Les Beatles, Bond et Batman. A l'âge sombre d'un monde post-11 septembre, le Batman subit un "reboot", et un délai de 4 ans entre Meurs un autre jour et Casino Royale (2006) vit l'émergence de super agents de fiction brutaux et sans humour: Jack Bauer, tourmenté sauveur 7 jours par semaines, et le nouveau Jason Bourne incarné par Matt Damon. Mission: Impossible III, un des meilleurs thrillers d'action jamais réalisé, fit le reste et acheva de convaincre les producteurs des James Bond, qu'un reformatage était le seul moyen de faire de 007 un des "B" de l'action, avec Bourne et Bauer (le Ethan Hunt de Tom Cruise étant le quatrième mousquetaire).

« C'est un monde nouveau, avec de nouveaux ennemis, et de nouvelles menaces. Mais vous pouvez toujours compter sur un homme... » L'ennui avec Casino Royale c'est que l'homme et tout ce qui a fait du personnage un mythe moderne de la culture populaire sont portés disparus. Et nous avons dû attendre 4 longues années d'habituelles rumeurs et spéculations (empirées à l'ère d'internet), nous laisser convaincre par l'idée de changement substantiels, et accepter Daniel Craig en tant que nouveau James Bond (pourquoi pas? Il était excellent dans Layer Cake) avec les meilleurs sentiments et intentions... pour un résultat plutôt désespérant (1). Le Box Office a plebiscité les choix de Barbara Broccoli et Michael Wilson, patrons de la série lançée par Albert R. Broccoli et Harry Saltzman en 1962, mais à ce jour les pro et les opposants au rebootage façon « James Bourne » sont toujours en train de discuter si le film est du pur Bond ou non (2).

Rétrospectivement, Meurs un autre jour a été le déclencheur si ce n'est le bouc émissaire de ce reboot. Die Another Day n'est ni meilleur ni pire qu'un autre épisode de la franchise. Le film a essayé d'être à la hauteur du titre de « Marque déposée du grand spectacle moderne» hérité des années d'or de 007, dans un monde (une pensée ici pour le regretté Don LaFontaine...) où il y a un blockbuster sorti de l'usine Hollywoodland par semaine, et où les Allemands d'action concept produisent plus de séquences d'action spectaculaires dans un épisode d'Alerte Cobra que l'industrie cinématographique dans 144 minutes de Casino Royale. Hollywood sait cela, louez donc un des films récents du grand Bruce Willis.

Meurs un autre jour est le Bond Ultimatum du 007 "vieille école". Avec Quantum la suprématie de Bond reste incontestée du point de vue du Box Office mais il ne reste pratiquement rien aujourd'hui de la mémoire de Bond, la Bond Identity: un logo sur des affiches, le thème de James Bond sur les bandes-annonces. Pourquoi pas après tout? Vraiment. Tout change, il y a peut-être maintenant un Bond pour chaque génération: un dinosaure sexiste, mysogine, relique de la Guerre froide ou un instrument brut. Votre humble membre du Gang des chaussons aux pommes n'ira pas voir Quantum of Solace, une régénération gâchée dans Doctor Who c'est assez de déception pour cette année. Sans rancune aucune, Monsieur Bond...

« Voyez le cercueil, il a les mêmes initiales que vous: J.B.
- Je préfère que ce soit lui plutôt que moi. »
(Opération Tonnerre, 1965)


(1) Nous développerons notre avis sur Casino Royale dans un prochain article.

(2) Plus généralement, Furious D à propos du cas « Bond, James Bond » : http://dknowsall.blogspot.com/2008/11/cinemaniacal-bond-james-bond.html (voir aussi: http://dknowsall.blogspot.com/2008/02/cinemaniacal-1-shaken-not-stirred.html).

In English: http://tattard2.blogspot.com/2008/11/fistful-of-solace.html

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