jeudi 22 mai 2008

WHAT EVER HAPPENED TO ORSON WELLES?

« Du plus grand chef d’œuvre de l’Histoire du cinéma aux publicités pour le vin », tel est le résumé commun, si ce n’est paresseux, de la carrière peu commune d’Orson Welles, le premier renégat créatif de l’industrie du cinéma. En partageant ses points de vue très intéressants sur les différents aspects des grand mystères de Welles, l’historien du cinéma Joseph McBride donne au cliché de l’auto-destruction d’un génie le traitement définitif qu’il mérite et nous offre une étude sincère, honnête et unique des voyages d’un extraordinaire chevalier errant amoureux du cinéma.

« Ce qui est surprenant c’est que j’ai pu durer autant. » (Orson Welles, cité dans What Ever Happened to Orson Welles?, Page 18)

ET IL N’EN RESTA PLUS?

« Je me sens jeune, heureux, et prêt à faire des films. » (Orson Welles en 1982)

Le meilleur moyen de trouver la réponse à une énigme est d’établir un postulat correct. Un des clichés les plus tenaces de l’Histoire du cinéma est que, en 1941, Orson Welles a donné au monde Citizen Kane, que le réalisateur français François Truffaut a appelé « le film des films » puis , dans les années 1980, a tourné ces publicités pour le vin (« chaque vin en son temps »).

Parmi le public, l’opinion générale ne vaut guère mieux. La merveilleuse scène du film Last Action Hero, avec l’extrait de la version 1948 de Hamlet, réalisée par Laurence Olivier ( « Maintenant vous allez voir une scène du film de Laurence Olivier. Vous l’avez peut-être vu dans la publicité Polaroid – ou en Zeus dans Le choc des Titans ») pourrait facilement être transposée avec Orson Welles. Est-ce la voix de Robin Masters dans la série Magnum ou Unicron dans Transformers: le film (1986) ? Le Chiffre dans Casino Royale (1967)? Qui est ce Orson Buggy parodié par le grand comique britannique Benny Hill dans un des plus célèbres sketches de son show ?

Il y a bien quelque chose entre la caricature d’une carrière soi-disant ratée dans le domaine de la réalisation et les cendres de l’oubli. What Ever Happened to Orson Welles? A Portrait of an independent career comble le fossé de l’ignorance, avec l’aide de l’auteur Joseph McBride et de l’éditeur University Press of Kentucky – foyer d’une magnifique biographie de l’acteur Peter Lorre: The Lost One – A life of Peter Lorre.

ORSON, FILS PREFERE DE L’AMERIQUE

« En dépit de la reconnaissance que Welles, alors âgé de 25 ans, reçut pour son premier film, le retour de baton causé par son portrait fictif du puissant patron de presse William Randolph Hearst provoqua un dommage permanent à la carrière hollywoodienne de Welles. » (Joseph McBride, What Ever Happened to Orson Welles? Portrait of an independent career, Page 4)

« Dessinateur, acteur, poète, et seulement âgé de 10 ans ». Ainsi est présenté le jeune Orson Welles à l’attention du grand public au travers d’un article publié en 1926 par un journal local. Couverture de Time Magazine en mai 1938, à l’âge de 23 ans, coqueluche de la scène, vedette de la radio, Orson Welles est probablement le premier « Wonder Boy » de l’industrie de l’Entertainment – Time Magazine utilise les mots « Marvelous Boy » (What Ever Happened to Orson Welles? Portrait of an independent career, Page 30).

Lorsqu’il terrorise tout un pays avec son adaptation de La Guerre des Mondes, de HG Wells, pour la radio CBS tout semble alors possible pour un homme qui peut convaincre ses compatriotes que les Martiens envahissent les Etats-Unis. Et George J. Schaeffer, nouveau président de RKO Pictures, lui ouvre les portes de Hollywood avec un contrat pour deux films (signé le 21 juillet 1939) et une liberté totale de création.

« Mais engager l’audacieux et controversé Welles, qui allait aborder Hollywood d’une manière peu orthodoxe, était un pari majeur pour un nouveau président de studio. » (What Ever Happened to Orson Welles? Portrait of an independent career, Page 33) La relation entre Hollywood et les Auteurs est un des problèmes majeurs illustrant le paradoxe du fait que le cinéma est à la fois un art et une industrie, et Orson Welles est la quintessence du cas d’école de la complexité de ce paradoxe. Après tout, « les studios hollywoodiens voulaient d’abord Welles comme acteur, pas comme réalisateur » (Page 32). Welles triomphant, un pied dans l’Usine à rêves, prend le chemin de Xanadu.

A XANADU, KUBLA KHAN...

« Dès le début sur Citizen Kane, Orson Welles était un homme ciblé. » (Richard Wilson, assistant de Welles sur Kane, Page 32)

Perçu comme un outsider presque immédiatement par le système hollywoodien, soutenu (au moins au début) par Schaeffer mais pas par les autres décideurs entre les murs de la RKO, Orson Welles, d’une certaine manière, scelle sa carrière naissante en tant que metteur en scène lorsqu’il démarre le tournage de Citizen Kane (1941), son prototype de biopic basé sur la vie du magnat de la presse William Randolph Hearst – un homme moins magnanime que Rupert Murdoch bien des années après avec le Elliot Carver, le méchant de Demain ne meurt jamais (1997).

Offenser les Dieux n’est pas affaire sans conséquences, spécialement lorsqu’ils ont été dérangés par certaines de vos actions par le passé. « Welles était la bête noire des journaux de Hearst longtemps avant la controverse sur Citizen Kane. Ses vues politiques progressistes, exprimées oralement et par écrit, et son travail politiquement radical sur la scène new-yorkaise, ont fait de lui une cible de choix à la fin des années 1930» (What Ever Happened to Orson Welles? Portrait of an independent career, Page 45).

Des manoeuvres autour de la sortie du film font du tort à Kane malgré un plébiscite artistique – L’impressario Billy Rose dit à Welles : « Arrête là, petit, tu ne pourras pas faire mieux. Arrête pendant que tu es au sommet » (Page 42). Mais rien ne blessera plus Orson Welles, à l’époque, que les tourments subis par La splendeur des Amberson (1942), son film suivant pour RKO : « Ils ont détruit Ambersons et le film lui-même m’a détruit » (Page 62). Le journaliste de cinéma et réalisateur Peter Bogdanovich qualifia le sort de Splendeur de « plus grande tragédie artistique du cinéma ».

THE LONG AND WINDING ROAD

« Hollywood est une banlieue plaquée or pour les golfeurs, les jardiniers, les intermédiaires de toutes sortes et les stars de cinéma auto-satisfaites. Je ne suis rien de tout cela. » (Page 81)

Le plus grand des mystères d’Orson Welles est une croyance persistante que l’homme et sa carrière furent des ratages au-delà des promesses de Kane – Welles confia à propos du conseil de Billy Rose : « Peut-être qu’il avait raison ». Des chefs d’œuvres absolus comme La dame de Shanghai (1947) ou Le procès (1962) suffiraient normalement à remettre les choses en perspective mais What Ever Happened to Orson Welles? Portrait of an independent career n’est certainement pas une réhabilitation en 344 pages du maître. Le critique et spécialiste Joseph McBride conte les années « perdues » (au moins pour l’insconscient collectif américain) dans la vie créative de Welles, avec une touche personnelle du plus grand intérêt : « A l’âge de 23 ans, alors que je finissais mon premier livre sur Orson Welles, j’eu la bonne fortune non seulement de rencontrer le légendaire et insaisissable metteur en scène mais aussi, et même de manière plus improbable encore, je suis devenu un personnage dans un de ses films. »

Août 1970, le journaliste et auteur McBride essaie d’attirer l’attention du réalisateur bohème – revenu à Hollywood après ses mésaventures européennes – lorsqu’il rencontre Welles pour la première fois, grâce à Peter Bogdanovich (« J’ai Orson sur l’autre ligne »). Orson Welles va entamer des tests pour son nouveau projet de film, The Other side of Wind (« Est-ce que c’est un film de cinéma ? » demande Joseph McBride, « Nous l’espérons » répond Welles), l’histoire d’une fête désastreuse à Hollywood et le dernier jour de la vie d’un metteur en scène interprété par le réalisateur-acteur John Huston et imaginé par Welles comme une figure à la Ernest Hemingway.

Mais, derrière une situation dont rêverait tout journaliste de cinéma, se cache plus qu’une rencontre entre un réalisateur et un critique fasciné par ses œuvres (« Vous êtes le seul critique qui comprenne ce que j’essaie de faire »)… Orson Welles veut un rôle de cinéphile professionnel dans sa production et Bogdanovich croit que McBride serait parfait pour le personnage. Le tournage de
The Other side of Wind
durera six ans (« Vous êtes dans ce film depuis trois ans ? » demanda plus tard Huston), puis la finalisation compliquée du film sera surpassée par une longue bataille sur sa propriété.

L’AUDACIEUX

« Ca représente 2% de cinéma et 98% d’arnaque. Ce n’est pas une façon de vivre. » (Orson Welles, cité dans What Ever Happened to Orson Welles? Portrait of an independent career, Page 87)

« En partie par nécessité, en partie par choix, Welles a poursuivi sa propre conception des films en indépendant, largement en finançant ses propres œuvres et en luttant pour les terminer et les distribuer. » (Page 4) Alors, qu’est-il donc arrivé à Orson Welles après La splendeur des Ambersons? Qu’est-il donc arrivé à l’audacieux ? Joseph McBride donne au lecteur une vue en profondeur des nombreuses vies du chat au chapeau magique : auteur de chapitres majeurs de la grande Histoire du cinéma, acteur, scénariste, magicien, artiste vocal…

« Comme réalisateur, par exemple, je me paye sur mes boulots d’acteur. J’utilise mon propre travail pour financer mon travail. En d’autres termes je suis dingue. Mais pas assez dingue pour prétendre que je suis libre. » expliquait Welles. Premier des metteurs en scène hors du système, pionnier d’une véritable indépendance cinématographique, homme de la Renaissance dans un empire de philistins. What Ever Happened to Orson Welles? Portrait of an independent career n’est pas seulement la somme de l’érudition infinie de Joseph McBride sur Orson Welles, c’est le récit sur un des derniers aventuriers de l’industrie cinématographique par un des protagonistes d’une de ses aventures les plus passionnantes, narré avec humilité et honnêteté intellectuelle (« Mon idole était descendue de son piédestal pour me gifler en pleine face », Page 160).

Orson Welles n’est pas mort, il filme des scènes de son prochain film quelque part de l’autre côté du vent et Joseph McBride vous invite en tant que privilégiés à assister au tournage de sa dernière œuvre d’art : c’est peut-être Monsieur Arkadin, ou bien Une Histoire immortelle… Une sortie de The Other side of Wind est prévue pour 2008. La fascination pour son oeuvre est la plus grande des magies d’Orson Welles, et What Ever Happened to Orson Welles? Portrait of an independent career est le billet pour le prochain spectacle du maître (http://www.kentuckypress.com/viewbook.cfm?Category_ID=1&Group=42&ID=1324).

« Je suis amoureux du fait de faire des films » (Orson Welles, cité dans What Ever Happened to Orson Welles? Portrait of an independent career, Page 87)

In English: http://tattard2.blogspot.com/2008/05/what-ever-happened-to-orson-welles.html

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