samedi 3 mai 2008

THE LOST ONE - A LIFE OF PETER LORRE

Voici l'histoire d'un petit homme gentil déchiré entre son âme errante et profonde d'artiste et son image publique. L'histoire d'un étranger dans des mondes étranges, dans le plus étrange d'entre tous : Hollywoodland. L'histoire d'un éternel émigré égaré pour l'éternité dans l'ombre d'une lettre plus grande que lui : un M.

Voici l'histoire d'un homme aux mille vies à la recherche d'un endroit où il aurait pu se poser. L'histoire de ses succès et de ses échecs. Voici l'histoire de Peter Lorre, celui qui était perdu.

« Nous vivons une époque où on exagère prodigieusement le prétendu glamour de la méchanceté, de la colère, de la dureté, de toutes les soi-disantes fautes primales. Et bien la gentillesse est presque identifiée à la faiblesse et à l'attraction. D'après moi, il est beaucoup plus fascinant de rendre la gentillesse fascinante... » (Peter Lorre)

LE VOL DU PERROQUET

Né le 26 juin 1904 en Hongrie, László Loewenstein était censé demeurer employé de banque à Vienne pour faire plaisir à sa famille mais le rôle d'un nain dans une production scolaire de Blanche Neige et les sept nains et - plus sérieusement - ses vrais débuts d'acteurs sur la scène du Kammerspiele de Vienne en décidèrent autrement.

En 1922, son implication avec le Théâtre de la Spontanéité fondé par Jacob Levy Moreno - le père du concept de Psychodrame - aida le jeune László à perfectionner sa technique devant des spectateurs tels que Arthur Schnitzler. Mais Moreno lui donna plus que cette opportunité, en le présentant à son cercle d'amis, et lui trouva son nom professionnel : Peter Lorre - la conjonction du prénom de son ami Peter Altenberg, la ressemblance de László Loewenstein avec un personnage de la littérature populaire allemande, et le mot Lorre (le son d'un perroquet prononçant le prénom Lora!)

Peter Lorre déménagea à Breslau, Allemagne, en 1924, pour démarrer sa carrière professionnelle d'acteur mais les effets secondaires d'une appendisectomie déclenchèrent une succession de problèmes de santé menant à une addiction à la drogue.

« Tout le monde a besoin de l'aide de tout le monde. » (Bertolt Brecht)

Le jeune acteur poursuivit son travail sur scène du Schauspilhaus de Zurich au Kammerspiele de Vienne, où il gagna le respect des critiques, et arriva finalement à Berlin avec l'idée de rencontrer Bertolt Brecht. Intéressé par Peter Lorre à cause de son type inhabituel (« Je n'avais pas l'air d'un acteur ») Brecht lui donna le rôle d'un « collégien à moitié demeuré » dans Pioniere in Ingolstadt, une pièce de Marieluise Fleißer (1928), avec laquelle il devint en une nuit la coqueluche des amateurs de théâtre ( « J'étais devenu le centre d'intérêt de toute la scène berlinoise »).

LA LETTRE ECARLATE

« Si tu attends un tout petit peu, le méchant homme en noir viendra. » (M, 1931)

L'actrice Celia Lovsky, la future première madame Lorre, invita Fritz Lang - le réalisateur numéro un d'Allemagne - et Seymour Nebenzal, co-fondateur de la compagnie de production Nero-Film AG, a une répétition en costumes de la pièce Frühling Erwachen, une tragédie de Frank Wedekind où Lorre jouait le rôle principal.

« Qu'il ait pu de manière si convaincante se transformer en un meurtrier compulsif d'enfants va bien au-delà de la réaction publique dans les rues où les mères avec des enfants, à ce qu'il paraît, fuyaient l'acteur dès qu'elles le croisaient. » (Stephen D. Youngkin, The Lost One - A life of Peter Lorre, Page 61)

Le personnage de l'assassin d'enfants Hans Beckert dans M le Maudit (M), le film de Lang (co-écrit par le Maître avec son épouse Thea von Harbou), propulsa Peter Lorre au rang de vedette internationale mais, à certains égards, scella le reste de sa carrière tel un fardeau, si ce n'est une malédiction. Une célébrité basée sur une telle carte de visite (« J'étais un meurtrier, mais j'étais l'idole des salles de cinéma ») incita Lorre à développer et cultiver un sens de l'humour déjà très cynique. A une dame insupportable qui lui disait combien elle avait été impressionnée par son rôle, l'acteur répondit : « Ça vous a vraiment plu à ce point, madame ? Et bien, envoyez-moi votre fille demain matin. »

LOST IN LA MANCHA

Peter Lorre and Celia Lovsky quittèrent une Allemagne tourmentée pour l'Autriche deux jours avant l'infâme incendie du Reichstag, et rejoignirent un groupe d'émigrés à Paris après une halte en Tchecoslovaquie. Parmi eux : Billy Wilder et Franz Waxman (alors Franz Wachsmann). Ironiquement, Joseph Goebbels, le sinistre ministre de la propagande, visita les studios de l'UFA juste après l'exil de la star et demanda à voir Peter Lorre parce que Hitler voulait le rencontrer. Informé que l'acteur était juif il répliqua sèchement : « Je ne veux plus jamais entendre ce nom. »

Le rôle du terroriste dans la première version de L'homme qui en savait trop (1934), tourné par Hitchcock en Angleterre, sauva Lorre de la faim et de l'ennui, et un contrat de cinq ans avec Columbia Pictures l'autorisa à déménager à Hollywood avec Celia - même si Harry Cohn, le patron du studio, n'avait pas d'idée précise de ce qu'il allait faire de ses talents.

Le désir sincère de Peter Lorre de s'adapter à la vie de Hollywoodland (« Tant qu'Hollywood veut de moi, j'ai envie d'Hollywood ») et son souhait de travailler sur des projets ambitieux de son cru, tel qu'une adaptation du Bon soldat Švejk - de l'humoriste tchèque Jaroslav Hasek, furent rapidement confrontés au système des studios et à son manque total d'imagination. Son premier film américain, Mad Love (1935), où il interprétait un chirurgien dément, marqua le début d'une lutte constante contre l'étiquetage.

« J'ai fait la série des Moto à dessein. Je voulais enlever le goût de M du palais cinématographique du fan américain. » (Peter Lorre)

Après la fin de son contrat avec Columbia, Peter Lorre devint Mr. Moto - le détective japonais créé par l'écrivain John P. Marquand - dans une série de films produits par 20th Century-Fox entre 1937 et 1939. Même avec l'aide du cascadeur habile Harvey Parry, les aventures du limier asiatique si poli ( « Ne vous inquiétez pas. J'essaie seulement de forcer ce coffre ») épuisèrent rapidement l'enthousiasme de l'acteur voire sa santé fragile, sans parler de ses espoirs de gagner la respectabilité intellectuelle à laquelle un acteur révèlé par Brecht pouvait s'attendre.

WB LE BENI

« Tout comme Alfred Hitchcock avait sauvé Lorre à Paris, transformant un anonymat imminent en renommée internationale, John Huston à son tour sauvait Lorre d'une disparition dans le monde de la série B ou même en deçà... » (Stephen D. Youngkin, The Lost One - A life of Peter Lorre, Page 178)

Considéré par John Huston comme le choix idéal pour jouer Joel Cairo dans son adaptation du Faucon maltais (1941), Peter Lorre s'entendit si bien avec Humphrey Bogart que les deux acteurs devinrent amis et rois auto-proclamés de l'irrévérence sur les plateaux de la Warner Bros. Par exemple, ils adoraient appeler Jack Warner, le tzar du studio - dont la devise était « Chaque acteur est une merde », « la krotte » (avec un « k »).

Après All through the night, Lorre faillit rater un autre rendez vous à l'écran avec Bogey dans Casablanca (1942) à cause d'un engagement avec Universal sur L'agent invisible, et forma un duo avec le corpulent acteur britannique Sydney Greenstreet dans plusieurs films qui ont laissé une trace dans la culture populaire.

« Tant qu'ils me payent, et bien, je serais tout ce qu'ils veulent que je sois, un Martien, un cannibale, un monstre, un roi, même Bugs Bunny, je m'en fiche » avoua Peter Lorre a un ami durant sa période Warner Bros. et Jack Warner testa certainement sa patience avec The Beast with five fingers (1946), un chant du cygne du genre horrifique co-écrit par le grand Curt Siodmak. Finies les années dorées des traits d'esprit cyniques, des canulars de collégiens et de la camaraderie.

L'EGARE

Trois semaines après la fin de son contrat avec la Warner Brothers, Peter Lorre créa sa propre société de production avec Mickey Rooney et le manager de la vedette. Face aux conséquences de cette idée peu avisée, de son addiction à la drogue et contre l'intérèt malveillant du Comité du Congrès sur les activités anti-américaines (à cause de son amitié avec Bertolt Brecht), Lorre décida de partir pour l'Europe en 1949 avec Kaaren Verne, sa seconde épouse.

« J'ai essayé de faire le comédien, puis le clown, mais en vain. J'étais catalogué comme le méchant de service. » (Peter Lorre)

En 1951, il réalisa, co-écrivit et joua dans Der Verlorene (The Lost One), un film obsèdant tourné en Allemagne sur les heures sombres de ce pays sous le régime hitlérien. Les conditions chaotiques de la production et le chaos de la vie personnelle de sa vedette ainsi que le refus du public allemand de revenir à l'époque sur cet aspect de son passé affectèrent le film, qui gagna une reconnaissance artistique bien des années après le décès de son réalisateur.

Rejeté par Hollywood, rejeté en tant qu'artiste, Peter Lorre retourna aux Etats-Unis. Là, il essaya de remettre sa vie en ordre et trouva un secours professionnel à la télévision (sa participation dans une adaptation de Casino Royale dans le rôle du premier adversaire de James Bond en 1954 est demeurée célèbre) et à la radio.

LE MONDE PERDU

Après un adieu aux jours glorieux du grand écran avec Humphrey Bogart et John Huston (Plus fort que le Diable) et son rôle dans 2000 lieues sous les mers, Lorre perdit son long combat contre le cataloguage avec des apparitions clins d'oeil à son image de personnage sinistre (« J'ai besoin de l'ambiance des caméras et de l'illumination des spot-lights. Je ferai des films jusqu'à ma mort ») et des comédies horrifiques pour la American International Pictures telles que Le croque-mort s'en mèle.

Peter Lorre mourut en 1964.

« Mon nom est Peter Lorre. J'espère que vous me croyez. »

The Lost One - A life of Peter Lorre par Stephen D. Youngkin (The University Press of Kentucky, $39,95) est bien plus qu'une magnifique biographie d'un acteur fascinant (complètée par une annexe impressionnante et une somme conséquente de notes), c'est presque un roman sur ce qui fait un Homme : ses rêves, ses espoirs, ses mésaventures, ses choix... The Lost One est le livre définitif sur le Cinéma, depuis les débuts de l'ère du parlant en Europe jusqu'à l'âge d'or de Hollywood, avec des protagonistes illustres : Fritz Lang, Alfred Hitchcock, Humphrey Bogart ou John Huston - pour n'en nommer que quelques uns.

L'ouvrage de Stephen D. Youngkin est inspiré, intéressant, intelligent, distrayant et émouvant. Cette contribution à l'Histoire du Cinéma devrait être adaptée, pas pour un téléfilm du dimanche après-midi mais pour un vrai film de cinéma. Cinéphiles ou non, si vous ne deviez acheter un seul livre sur les films ou les acteurs cette année, ce doit être The Lost One - A life of Peter Lorre.

« Nous sommes de l'étoffe dont les rêves sont faits » (Shakespeare)

In English: http://tattard2.blogspot.com/2008/05/lost-one-life-of-peter-lorre.html

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