mercredi 21 mai 2008

JUAN ECHANOVE

A H.G.

Avoir l'honneur de pouvoir partager quelques pensées avec un artiste de la qualité de l'acteur espagnol Juan Echanove est comme une opportunité salvatrice de pouvoir ressentir l'essence de l'art de la comédie.

Cet homme de théâtre, de cinéma et de télévision, qui a travaillé avec Pedro Almodóvar et qui est aussi familier d'un public plus jeune pour son rôle de Mariano Cuellar dans la série Un Dos Tres, a la gentillesse de répondre à nos questions en dépit d'un emploi du temps extrèmement chargé. Rencontre avec un des artistes les plus intéressants d'Espagne.

Pourriez-vous nous dire quelques mots sur votre lieu de naissance, sur votre famille et sur votre enfance avant vos années de collège ?

Juan Echanove: Je suis né à Madrid en avril 1961. Mon père était ingénieur et mon enfance s'est déroulée dans une atmosphère de tranquilité familiale et de saine harmonie. A l'âge de 18 ans je suis entré simultanément à l'école d'Art dramatique de Madrid et à la Faculté de droit de Madrid. Je n'ai achevé ni mes études de droit ni mes études d'art dramatique parce que cette même année j'ai commençé à travailler professionnellement sur scène.

Votre premier contact avec la comédie a eu lieu au collège. En quelles circonstances et quel genre d'institution était cet établissement ?

Juan Echanove: J'ai étudié jusqu'à l'université au Collège des Frères ménésiens du Parc des avenues. Cette école fut fondée et est toujours dirigée de nos jours par les disciples de Jean Marie de la Mennais, éternel aspirant à la Sainteté, sans qu'il l'ait obtenue à ce jour (parmi d'autres choses, disent les Frères, à cause de la présence dans sa famille de Féli de la Mennais, un des plus radicaux philosophes et idéologues de la Révolution française - « des mécréants », comme ils les appelaient).

Durant ces années de formation chez les Ménésiens j'ai commençé à faire un peu de théâtre avec mes condisciples. Différents titres en fonction des gouts du public, comme Una tal Dulcinea, d'Alfonso Paso; Los ladrones somos gente honrada, de Enrique Jardiel Poncela; The Prince and the Showgirl, de Sir Terence Rattigan; The Chinese wall de Max Frisch; Tiempo del 98, Juan Antonio Castro; La venganza de la Petra, Carlos Arniches...

Je dois toutefois avouer que mes premières expériences scéniques ont plus à voir avec la musique qu'avec le théâtre vu que la première œuvre où j'ai eu un rôle était La rosa del azafrán (une zarzuela - un opéra comique espagnol typique - de Jacinto Guerrero). Il y a aussi une interprétation en solo et devant tous mes camarades, à l'occasion d'une célébration dont je ne me souviens plus, de la chanson Gwendoline de Julio Iglesias. La trace laissée dans l'école durant des générations m'a guéri de la peur pour tout le reste.

Pourriez-vous nous parler de votre formation à la prestigieuse RESAD (Real Escuela Superior de Arte Dramático). Quels étaient vos matières d'études ? Qui étaient vos professeurs ?

Juan Echanove: Durant mes brèves études artistiques mes matières principales étaient Expression corporelle et Danse, matières pour lesquelles j'ai été reçu avec mention honorable, ce qui était loin d'être chose aisée vu que ces mentions étaient distribuées respectivement par Marta Schinca et Elvira Sanz.

En tout cas je dois dire que mon meilleur souvenir de ce passage à la RESAD étaient les classes d'art de Lourdes Ortiz.

Vous êtes un des co-fondateurs de la compagnie artistique Compañía Vocacional del Coliseo Carlos III de San Lorenzo de El Escorial...

Juan Echanove: Cette compagnie était dirigée de manière avisée par Álvaro Custodio (un metteur en scène espagnol très intéressant, frère de l'actrice légendaire Ana Maria Custodio, ami de Federico Garci'a Lorca, époux de la tout aussi intéressante Isabel Richart et, par dessus tout, grand homme de théâtre). Les deux autres metteurs en scène n'ont malheureusement pas poursuivi dans cette voie: Jose Maria Escribano et Oscar Penas.

El Caso Almería (1983) a marqué vos débuts sur le grand écran en parallèle d'une liste respectable et conséquente de rôles sur scène...

Juan Echanove: La principale raison pour laquelle j'ai accepté de jouer le personnage est que je ressemblais physiquement à un des trois garçon assassinés par la Garde Civile à Almeria. C'était une expérience très intéressante et mon premier contact avec le cinéma. Et aussi le premier film d'Antonio Banderas...

La télévision a fait de vous un des visages les plus appréciés et les plus familiers du public espagnol (ainsi que du public français, nous y reviendrons...) Turno de oficio (1985) vous a donné l'opportunité d'être derrière la caméra en tant que réalisateur de quelques épisodes de la suite de la série originale pour TVE (Turno de oficio: Diez años después, 1995) .

Juan Echanove: Tout ce que je peux dire c'est que c'était une belle expérience. Le privilège d'avoir devant la caméra, avec le pouvoir de les diriger, mes « maîtres » Juan Diego, Juan Luis Galiardo, Pastora Vega... Ce fut un grand plaisir. En fait, je préfère réaliser pour la télévision que jouer pour la télévision.

En 1992 vous étiez Sancho sur scène pour le très réussi Don Quijote. Fragmentos de un discurso teatral, avec le grand Josep María Flotats dans le rôle de Quichotte.

Juan Echanove: Travailler avec Flotats... être dirigé par Scaparro, et un livret écrit par le plus grand scénariste du cinéma espagnol, Rafael Azcona, était un délice de la vie et une source de joie pour moi.

Quel est la place de l'œuvre de Cervantes dans votre vie en tant qu'acteur, réalisateur et en tant qu'homme ?

Juan Echanove: Cervantes est la grande source d'inspiration de mon sens de l'humour noir... et la racine profonde du Néoréalisme espagnol.

Avec le film Madregilda (1993), Francisco Regueiro vous a offert le défi extraordinaire de jouer un des rôles les plus risqués et les plus controversés qu'un acteur espagnol peut interpréter : Francisco Franco, ce qui vous a valu toute une série de récompenses.

Juan Echanove: Lorsque j'ai reçu la Coquille d'Argent du meilleur acteur au Festival de cinéma de San Sebastián je me souviens avoir dit que le cinéma est encore plus merveilleux qu'on pourrait l'imaginer, vu que dans mon cas, avec le personnage de Franco, j'ai pu constater qu'une chose capable de remplir votre vie de douleur peut un jour provoquer une des plus grandes joies.

Quel regard portez vous sur l'évolution de l'industrie espagnole du cinéma depuis les années 1980 ?

Juan Echanove: Et bien ma vision du cinéma tel que nous le faisons actuellement en Espagne est assez pessimiste. J'attends beaucoup des accords européens sur l'exception culturelle. Mais en général je dois dire que 80% du cinéma fait aujourd'hui manque pour moi d'intérèt.

Pedro Almodóvar est probablement le réalisateur espagnol le plus connu hors des frontières de l'Espagne. Comment avez-vous été engagé par Almodóvar sur La flor de mi secreto (La fleur de mon secret, 1995)?

Juan Echanove: Almodóvar me connaissait bien parce qu'il est un des rares réalisateurs qui va au théâtre et aime le théâtre. Sans oublier le fait qu'il est un de ces réalisateurs qui comprend ce qu'est le théâtre. Etre dirigé par lui, le plus perfectionniste de tout les réalisateurs avec qui j'ai travaillé, m'a laissé la conviction qu'il est tout simplement un des meilleurs avec lesquels j'ai pu travailler à ce jour.

La distribution était... magnifique ! Que pourrait-on dire d'autre, par exemple, de Marisa Paredes ? Elle est la Margarita Xirgu des 20ème et 21ème siècles.

Un Dos Tres (Un Paso Adelante, 2002-2005), la série de la chaîne Antena 3 est un succès mondial. Votre personnage de Mariano Cuellar y est passé du fourbe rival de l'Ecole Carmen Arranz (« qui ressemble à Charles Laughton », dit Carmen) à cet homme sensible, de culture et de goût, proche de la personne que vous êtes en réalité.

Juan Echanove: Un Paso Adelante m'a permis de me lier à un public - les adolescents - qui n'aurait certainement pas exprimé de l'intérèt pour des pièces comme Le Prix d'Arthur Miller sans cette série et le fait que j'y ai travaillé.

Dans un épisode, le fantastique duo comique formé par vous et l'acteur Alfonso Lara (Juan Taberner) partage quelques scènes avec Juan José Otegui, un acteur talentueux avec qui vous travaillez régulièrement à l'écran et sur scène. Pourriez-vous nous parler de monsieur Otegui et de vos collaborations avec lui ?

Juan Echanove: Otegui est une des raisons qui font que je continue à faire de la scène comme acteur, producteur et metteur en scène. Otegui est la scène... l'essence... la fidélité... l'illusion... la vocation... le savoir, le pouvoir de faire. Et il fait tout ça a 70 ans. Qui pourrait donner plus ? Qui a besoin de plus ?

En 1993 vous avez créé votre propre compagnie de productions artistiques, La Llave Maestra Producciones Artísticas, afin de produire pour le cinéma, la télévision et le théâtre. Avec cette compagnie vous avez co-produit El Precio (The Price), la pièce d'Arthur Miller.

Sur scène vous êtes acteur mais souvent aussi metteur en scène. Pourquoi aviez-vous besoin d'une compagnie de production à cette étape de votre carrière ? De quoi êtes vous le plus fier avec ce travail pour La Llave Maestra Producciones Artísticas?


Juan Echanove: Sans La Llave Maestra j'aurais été forçé de travailler dans ce métier sans aucune espèce de critère et sans objectif. Je produis pour que nous puissions être fiers d'un répertoire construit avec beaucoup de soins.

Vous êtes l'homme de tous les arts: acteur, metteur en scène, producteur, artiste vocal mais aussi chanteur. Comment avez-vous été invité à participer à l'album de Víctor Manuel et Ana Belén intitulé Mucho más que dos (1994)?

Juan Echanove: Grâce à cette invitation de Victor Manuel à partager la scène avec eux, j'ai eu l'occasion de vérifier par moi-même cette chose extrèmement dure est difficile qu'est cette profession embrassée avec dévouement par beaucoup de mes amis : la Musique. Ce fut une expérience inoubliable. Une de ces rares choses qui justifient tout dans une vie !

Avec votre livre Curso de cocina para novatos (Cours de cuisine pour les débutants), vous avez prouvé que vous êtes aussi familier avec l'art merveilleux de la Gastronomie. Etait-ce important pour vous de partager votre plaisir et vos connaissance avec ce livre ?

Juan Echanove: Il y a des gens qui passent la moitié de leur vie à taper dans une balle et à courir sur l'herbe... Moi pas. Je crois sinçèrement que ma façon de me relaxer est d'aider les autres à accèder au plaisir de l'excitation des sens. Si je n'étais pas devenu acteur je serais sans aucun doute devenu cuisinier.

Vous venez de terminer le tournage de Bienvenido a casa, un film écrit et réalisé par David Trueba. Quel rôle jouez-vous ?

Juan Echanove: David Trueba est un excellent réalisateur, le digne héritier de ses grands professeurs... Rafael Azcona... et bien sûr Fernando Trueba. Il est aussi un individu d'excellence. Son sens de l'humour est un des plus fins que j'ai jamais vu.

Je joue le rôle de Felix, un critique de cinéma aveugle avec un chien aussi aveugle que lui !

Sur quoi travaillez vous en ce moment?

Mon prochain projet est la direction de la pièce Visitando al Sr.Green (Visiting Mr Green, de Jeff Baron) pour le Teatro Bellas Artes de Madrid (Théâtre des beaux-arts de Madrid) avec une distribution formée de Juan José Otegui et Père Ponce. Cette pièce sera montrée en janvier.

In English: http://tattard2.blogspot.com/2008/05/juan-echanove.html

(Entretien réalisé en 2005)

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